Au plan des principes généraux, la loi du 8 août 2016 permet de négocier avec les partenaires sociaux un abaissement du niveau de majoration des heures supplémentaires sans aller en deça de 10 %.
On se souvient qu’en plein conflit des raffineries, en mai dernier, craignant que la contestation de la loi « Travail » ne s’étende au secteur des transports, les ministres avaient eu des mots d’apaisement envers les routiers en prétendant que la configuration particulière de leurs salaires, fondée sur les temps d’équivalence majorés, les mettait à l’abri de tous risques de diminution négociée en entreprise selon le mécanisme de la loi « Travail » alors en discussion.
Un écrit en ce sens avait même été adressé par le ministre de tutelle, le 20 mai, à la branche route de la CFDT qui l’avait interpellé.
Cette lettre d’apaisement aurait dû interpeller ses destinataires : dans un même mouvement, écrire péremptoirement que le « régime dérogatoire – relatif à la qualification et au paiement des heures des conducteurs — n’est pas modifié par le projet de loi travail » et, un paragraphe plus loin, préciser laconiquement que « nous allons nous attacher… à expertiser s’il est nécessaire de procéder à des ajustements du décret 83-40 » devrait inquiéter quiconque sait décrypter la langue de bois et y dénicher de réelles contradictions…
Qu’en est-il réellement à l’aune de la version maintenant définitive de la loi du 8 août ? Celle-ci, ainsi que le suggérait le ministre, laisse-t-elle survivre un régime « à part » pour les conducteurs ou, au contraire, par la négociation, pourra-t-on alléger leur rémunération majorée, comme il sera possible de le faire pour toutes les autres catégories de salariés ?
Avant de répondre à ces questions, une rétrospective éclairante doit être opérée.
Les majorations de salaire des conducteurs pour les heures effectuées au-delà de la 35e heure hebdomadaire (ou 152 h/mois) sont de 25 % (puis 50 %, dès la 44e heure) que ces heures soient supplémentaires, si le conducteur est affecté à une activité de messagerie, ou soient d’équivalence s’il est affecté à une autre activité (grand routier, transport à la demande…).
Une majoration similaire s’applique à ces heures qu’elles soient supplémentaires ou d’équivalence.
Cette assimilation des deux catégories d’heures au même régime rétributif est la conséquence de l’articulation du décret 83-40 et de l’accord conventionnel du 23 février 2002. C’est de cette construction à deux étages dont se prévalait le ministre dans sa réponse à la CFDT.
Pour ce qui est des heures supplémentaires, celles effectuées dès la 36e heure hebdomadaire pour les messagers, ou après la 39e heure, pour les conducteurs courtes distances ou la 43e pour les grands routiers, aucun doute : par application de la loi du 8 août 2016, par une négociation dans l’entreprise conclue avec des syndicats majoritaires (ayant obtenu 50 % + une voix aux dernières élections), l’employeur peut réduire le taux de majoration de ces heures. À noter qu’une telle négociation peut être conduite avec les élus en cas de carence avérée (et recherchée) des syndicats.
Eh bien, pour celles-ci la loi se borne à prévoir que la rémunération des temps d’inaction caractérisant le régime d’équivalence doit être prévue par la convention collective nationale (CCN) ou l’accord collectif qui instaure ce régime (article L3121-14 du code du travail, tel que résultant de l’article 8 de la loi Travail).
Pour l’avenir des équivalences dans d’autres professions le terrain paraît balisé : l’accord conclu au niveau de la branche pour instaurer ce mode de calcul du temps de travail prévoira nécessairement la rémunération des heures creuses.
Ce dispositif de texte cadenasse-t-il la rémunération conventionnelle des conducteurs en imposant le taux majoré de 25 % pour les équivalences au nom d’un accord conventionnel vieux de 13 ans ? Probablement pas, au moins à ce jour, et pour deux raisons :
→ la loi nouvelle stipule que c’est l’accord instaurant l’équivalence dans un secteur donné qui doit en fixer la rémunération. Or, dans le transport, ce régime de temps de travail a été fixé par décret… et le texte conventionnel de 2002 est loin d’être explicite sur la question de la rémunération des heures creuses,
→ mais surtout, les principes généraux de cette loi nouvelle confèrent à la CCN une fonction supplétive : l’accord d’entreprise prévaut, ce n’est qu’à défaut d’un tel accord que la CCN s’applique !
Reste que la loi « Travail » prévoit la possibilité pour les signataires des deux bords des conventions collectives de créer leur chasse gardée en prévoyant que certains dispositifs s’imposent à l’accord d’entreprise qui ne pourrait y déroger, cette concession demandée par la CFDT porte un nom de baptême ronflant : l’ordre public conventionnel. Là et là seulement figure le moyen juridique sérieux permettant de rendre inaltérable le mécanisme conventionnel de rémunération des équivalences. La balle est donc dans le camp de la négociation paritaire de branche. On sait d’expérience que ce champ conventionnel est bourbeux et que l’enlisement y est quasi systématique… Yaka, faucon, dit le langage entrepreneurial, souvent pour illustrer sa propre impuissance…