La loi « travail » peut-elle vraiment changer les pratiques de négociations sociales des entreprises ?

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Chaque mois, une question inspirée de récents bouleversements des règles sociales et la reponse de Jean-Luc Allègre, qui engage ici un cycle d’articles sur la loi « travail » du 8 août 2016.

Michel Rocard écrivait à propos de sa méthode de gouvernement voilà 34 ans : « Une seule solution, la négociation ! ». L’aphorisme est-il applicable, trois décennies plus tard, aux entreprises ? En ne raisonnant que sur les principes, la réponse est incontestablement « oui » : quel chef d’entreprise ne s’est pas plaint des lourdes extravagances du code du travail en espérant pouvoir les alléger, ou s’y soustraire, par accord avec ses salariés ?

La loi à tout faire a vécu, vive les lois internes que les intéressés, employeurs et salariés, sont capables de concevoir « pragmatiquement » en prenant en compte les réalités vraies des entreprises et capables d’appliquer sans recourir aux arbitrages judiciaires !

Même le socle de droits communs à une profession qu’est la Convention Collective ne trouve plus grâce aux yeux des tenants du pragmatisme. Donc, en principe, une loi principalement dédiée à la négociation d’entreprise qui affiche une volonté de la simplifier, de la rendre accessible au plus grand nombre et opposable à la loi ou à la convention collective devrait trouver preneur dans les entreprises.

Par-delà la théorie, en pratique, se dégagent… d’autres principes ! Et ces principes, qu’ils soient juridiques ou plus psychologiques agissent encore comme des freins indiscutables au changement radical espéré.

Le premier de ces freins est clairement psychologique : notamment dans les moyennes entreprises, mais pas que dans celles-ci, le modèle d’exercice des pouvoirs reste campé sur la décision unilatérale du « boss ».

Le patron patronne et n’entend généralement pas partager son pouvoir avec quiconque. Or, la négociation repose sur une idée simple : substituer à l’octroi la décision partagée, en espérant que le mode d’élaboration de la norme par la négociation en permettra une meilleure appropriation par ceux qu’elle concerne.

Cette réticence à franchir le pas de la co-détermination des règles du jeu se nourrit de pas mal d’idées reçues sur l’insuffisante formation des négociateurs salariaux ou encore leur incapacité à apprécier un intérêt autre que catégoriel. Bref, on est peu disposé, du côté patronal, à lâcher du pouvoir, même cantonné, même si ce lâchage est fondé sur un donnant-donnant qui rend gagnantes les deux parties.

Cette posture favorise une forme de statu quo dans lequel les organisations syndicales les plus oppositionnelles font leur miel : seul le rapport de force permet des avancées, seule la lutte oblige l’employeur à « plier ».

Paradoxe apparent : CGT et patronat de droit divin se tiennent par la main !

Ces modèles reposent sur une vision figée du social, une vision qui fait triompher un état du droit hérité des grands combats ouvriers. La loi fait beaucoup, la Convention Collective fait le reste et les accords passés en entreprise ne peuvent qu’améliorer les bases légales et conventionnelles.

Les juristes ont qualifié ce bloc inaltérable de « pyramide ». Bien vu : comme celle de Kéops, elle date franchement et paraît inexpugnable puisque toute évolution suppose de mouvementer a minima sa base, la loi, avec les lourdeurs et les vicissitudes que l’on pressent.

L’immobilisme qui naît de ce système cantonne la négociation d’entreprise à la cerise sur le gâteau et ne s’accommode évidemment pas des nécessités de souplesses qu’impose une économie volatile.

La loi « travail » accentue un lent processus de rénovation des règles fondamentales du droit du travail engagé, sur la notion d’accord majoritaire, dès 2004 par un ministre nommé Fillon. Le social, refrain connu, se rit des alternances politiques…

Cette rénovation place la négociation d’entreprise au centre du dispositif permettant l’adaptation permanente des règles aux situations variées que connaissent les entreprises.

C’est ainsi que l’accord pourra dorénavant s’imposer à la Convention Collective devenue supplétive en de nombreux domaines, la Loi se cantonnant à l’énonciation d’un socle de droits minimum et à l’affirmation de principes d’ordre public.

Cet accord d’entreprise rend légistes les partenaires sociaux. Les syndicats se voient confirméS dans un rôle essentiel. Leurs délégués sont les négociateurs naturels, les élus de l’entreprise ne pourront les remplacer qu’en cas de double carence de désignation : soit celle observée classiquement par absence de désignation par un syndicat représentatif, soit celle résultant de l’appel à la négociation des syndicats opéré par l’employeur soucieux de négocier et demeurer sans effet.

Nouveauté appréciable, la loi fait disparaître l’obligation d’approuver par une instance conventionnelle les accords conclus avec les élus après cette double carence. Cette instance conventionnelle, conçue dans le transport sur un mode bureaucratique, avait eu un réel effet de repoussoir pour bon nombre d’entreprises…

C’est dans ce cadre formel, fondé sur le principe de prévalence des syndicats, que pourront s’élaborer des règles d’entreprise s’imposant à la CCN et adaptant les principes généraux fixés par la loi.

Durée du travail, aménagement du temps de travail, fixation des congés payés, jours fériés… voilà d’ores et déjà les larges champs ouverts aux négociations par la loi du 8 août 2016. Ces enjeux forts suffiront-ils à modifier les états d’esprit et permettront-ils enfin aux partenaires sociaux des entreprises de s’emparer de la seule question sociale qui vaille, celle de la conciliation de l’efficacité économique et de la protection des travailleurs ? Bon nombre d’observateurs avisés en doutent…

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