Si diverses solutions existent pour améliorer la santé et la sécurité des salariés (équipements, dispositifs d’accompagnement, formations…), il est essentiel d’impliquer les collaborateurs dans une démarche de prévention si l’on souhaite faire baisser la sinistralité, notamment routière. Car le comportement des conducteurs a un impact majeur sur la sinistralité de la flotte et donc sur le coût de l’assurance. En proposant des formations de conduite responsable aux chauffeurs et en communiquant sur les risques liés aux accidents, il est possible de réduire de manière significative le nombre de sinistres. Le respect des indications des constructeurs en matière de maintenance technique constitue aussi un prérequis indispensable. Et là encore, les collaborateurs jouent un rôle dans cette démarche. Alors que, selon une étude du spécialiste en gestion de flotte Traxall France, il apparaît que 85 % des véhicules de flottes d’entreprise roulent sous-gonflés. Et seuls 15 % des conducteurs vérifient la pression de leurs pneus tous les mois.
Des actions de formation et de sensibilisation, c’est ce qu’a initié leGroupe Blondel (02) chez qui trois principales causes d’accident du travail ressortent : les chutes de hauteurs (chauffeurs et caristes qui tombent en descendant ou en montant dans leurs camions/cabines), la manutention manuelle (port de charges) et les chutes de plain-pied (trou dans la chaussée, trottoir, morceau de palette, etc.). Objectif : « rappeler aux salariés qu’ils sont les principaux acteurs de leur santé », indiquent Laurie Holub, coordinatrice QHSE, et Moussa Touré, directeur HSE et conformité des infrastructures. Le Groupe Picard (31) a, par exemple, mis en place des flashs afin de sensibiliser l’ensemble du personnel sur les causes d’accidents les plus fréquentes : en octobre dernier notamment, avec la diffusion d’un flash sur le respect de la règle des trois appuis (un pied et deux mains ou deux pieds et une main).
À 600 kilomètres de là, le groupe breton Eonnet, qui a activé depuis 2021 un plan de prévention du risque routier moyennant une enveloppe annuelle de près de 300 000 euros (hors primes qualités), contre 100 000 euros au démarrage, s’appuie, quant à lui, sur trois formateurs internes pour sensibiliser les conducteurs et réduire les risques. Une équipe que Nicolas Didier souhaiterait étoffer. Depuis le 1er janvier dernier, chaque nouvel entrant a également accès à une série de vidéos e-learning qui abordent différents thèmes : constats, conseils les plus évidents en matière de manœuvre… « Si le taux d’ouverture est trop faible, c’est néanmoins un outil supplémentaire pour la prévention », est d’avis le responsable QHSE.
Mettre à disposition du matériel de manutention adapté pour éviter au maximum le port de charge manuel est aussi une piste à privilégier, comme le confirme le groupe Eonnet, qui a investi, en deux ans, 200 000 euros dans l’achat de transpalettes électriques. Et pour lutter contre la sinistralité routière, divers accessoires (freinage d’urgence, régulateur de vitesse adaptatif, alerte au franchissement de ligne, aide au maintien dans la voie, correcteur de trajectoire…) peuvent aussi être des atouts majeurs à la disposition des conducteurs.
Les Transports Perbet (Saint-Étienne, 42), qui emploient 110 personnes, n’ont, quant à eux, pas hésité à investir dans des dashcams. Un dispositif déployé depuis trois ans. Ces caméras embarquées, incluses dans l’offre télématique de Samsara, sont aujourd’hui installées sur l’ensemble de la flotte (80 moteurs), à raison d’une caméra par véhicule. « Au départ, le but était de couvrir l’entreprise dans certains litiges d’assurance, car nous avions constaté que les angles morts étaient responsables, dans de nombreux cas, des accidents. Or, beaucoup de ces accrochages étaient dus à des véhicules qui nous forçaient le passage », explique l’exploitant Mathieu Orel. Si ces caméras ont l’avantage de fournir des éléments objectifs lorsqu’il faut constater un accident de la circulation, elles permettent aussi de renforcer la sécurité des chauffeurs, mais également de favoriser des bonnes pratiques de conduite. Ce qu’il confirme : « Le comportement des conducteurs a changé. Ils limitent désormais leurs ardeurs au volant. » Résultat : une réduction de la sinistralité de 20 % à 25 % et une consommation de gasoil en recul avec des économies à la clé.
Pour diminuer la sinistralité, l’analyse des causes des accidents est également recommandée par divers organismes spécialisés dans la prévention, notamment l’INRS (Lire Trois questions à Éric Veretout). Dans un but : dégager des pistes de prévention. « Si l’on veut de la prévention, il faut des données », confirme Nicolas Didier chez Eonnet, où tous les accidents routiers sont saisis dans le logiciel DRM (drivers relationship management), un outil utilisé depuis trois ans qui permet à l’entreprise d’analyser les causes, mais aussi de déclencher un entretien post-accident avec le conducteur concerné. Une mission notamment confiée à une assistance qualité sécurité environnement embauchée depuis septembre 2023.
Depuis l’année dernière, Blondel déploie, quant à lui, une application pour faciliter la déclaration des accidents par les chauffeurs, ce qui permet au groupe de tracer quasiment en temps réel les accidents. « C’est un moyen de les responsabiliser encore un peu plus », indique le transporteur, qui peut aussi être plus réactif sur l’analyse et le traitement des constats. Et, depuis cinq ans, les entités du groupe les plus sinistrées ont nommé un référent pour analyser les accidents (routiers + travail).
Avec leur assureur, une compagnie allemande, les Transports Avril situés à Saint-Magne-de-Castillon (33) mettent en place un nouveau dispositif afin que les conducteurs soient systématiquement appelés dans les trois jours suivant un sinistre. « Ainsi, nous souhaitons les responsabiliser, car le matériel représente un coût direct, sans parler des coûts indirects (mauvaise image de l’entreprise…). L’exploitation et le service RH viennent, quant à eux, de suivre une formation pour savoir comment procéder en cas de sinistre », indique Frédéric Avril, le PDG qui emploie 105 conducteurs. Ce dernier avoue ne pas faire partie des bons élèves en matière de sinistralité. « Nous n’avons pas été très performants sur le sujet. La sinistralité a augmenté d’au moins 18 à 20 % ces deux dernières années. D’où l’importance d’agir », reconnaît-il. En cause selon lui : « le laxisme » et « le manque inattention », principalement des jeunes conducteurs. Une hausse du taux de sinistres matériels qui a conduit sa compagnie d’assurances à augmenter les cotisations. Le coût de l’assurance pour assurer sa flotte de véhicules (85 moteurs et 45 semi-remorques) devrait ainsi augmenter de 15 % en 2024, passant de 190 000 euros à près de 220 000 euros. Pour limiter cette hausse et inverser la tendance, l’entreprise a donc décidé de réaliser depuis l’année dernière des essais de manœuvre sur l’arrimage des marchandises sur route dès l’intégration d’un nouveau conducteur, car « le niveau de formation n’est pas à la hauteur », estime le transporteur. Selon lui, les intérimaires seraient aussi en grande partie responsables de la sinistralité dans l’entreprise. Comme il est difficile, d’après lui, d’activer des leviers à destination de cette population, il a donc décidé d’avoir moins recours à l’intérim cette année. Des actions qui doivent répondre à un objectif ambitieux : « Diminuer la sinistralité de 50 % en 2024. »
La lutte contre l’accidentologie et une meilleure prévention sont avant tout une priorité sur le plan humain pour contribuer à la sécurité des collaborateurs. Mais les petits accrochages du quotidien sont aussi un défi pour les gestionnaires de flottes. Et cette vision de la prévention peut aussi être vue comme un levier de la performance, notamment économique puisqu’elle permet de réaliser des gains financiers. Et, alors que les dirigeants cherchent des économies ligne par ligne, celle des contrats d’assurance est particulièrement scrutée alors que les coûts explosent. Faire baisser sa sinistralité est sans nul doute un moyen d’agir.
Pour Nicolas Didier, chez Eonnet, investir dans la prévention sert clairement la compétitivité de l’entreprise, dont les actions engagées depuis trois ans portent bel et bien leurs fruits après plusieurs années marquées par une fréquence d’accidents routiers trop élevée. « Notre ratio S/P (sinistre sur prime) est d’environ 0,65, contre plus de 0,90 il y a trois ans. L’indice de fréquence qui prend en compte tous les accidents avec ou sans arrêt de travail a, quant à lui, baissé de plus de 10 % entre 2021 et 2023. Les accidents avec arrêt de travail ont reculé de 31 % depuis 2018 et de 17,5 % depuis 2021. Enfin, nous observons des arrêts de travail moins longs : le taux de gravité (durée des accidents de travail avec arrêt) est en baisse de 42 % sur la même période », se félicite le responsable QHSE. De quoi maîtriser l’augmentation (10 %) du coût de l’assurance, ce poste représentant « plusieurs millions d’euros » par an pour le groupe.
Même constat positif au sein du Groupe Blondel qui relate une baisse du nombre d’accidents du travail, de maladies professionnelles ainsi que du nombre de jours d’arrêt. « Au sein des Transports Blondel, nous avions comptabilisé 60 jours d’arrêt de travail en 2022 liés aux accidents. Un chiffre qui est tombé à neuf jours en 2023 », illustrent Laurie Holub et Moussa Touré. Alors que chez les Transports Grimonprez (59), les jours d’arrêt sont passés de 2 200 à 1 700 entre 2022 et 2023. Faire baisser la sinistralité a permis au groupe non pas de faire baisser ses cotisations d’assurance – il débourse près de deux millions d’euros pour assurer sa flotte, soit une hausse de 30 à 40 % sur les deux dernières années, d’après Caroline Templier, la responsable juridique –, mais de négocier des contrats avec engagement de durée, dits « LTA » (long term agreement). Mathieu Orel, chez les Transports Perbet, assure, quant à lui, que l’usage des dashcams a permis de diminuer la prime d’assurance de sa flotte. S’il n’est pas en mesure de chiffrer cette diminution avec précision, il évoque toutefois « une baisse significative ».
Des dashcams, c’est justement un dispositif que souhaite expérimenter Eonnet dans les prochaines semaines. Et pourquoi pas les caméras à l’intérieur des cabines des camions une fois que les freins juridiques seront levés. Cette année, le groupe breton va aussi travailler en lien avec des agences d’intérim afin de mieux sensibiliser les intérimaires qui représentent environ 10 % de ses effectifs en période de vacances et lors des pics d’activité. Ici, le but est de diffuser des fiches de fonction, dans lesquelles l’entreprise va compiler tous les savoirs (savoir-faire et savoir-être) de la structure, associées à des modules de formations. Il envisage aussi de changer de solution de télématique pour avoir un seul et même outil à l’échelle du groupe, et ce, dans le but de généraliser les méthodes de prévention. Et il n’exclut pas de renouveler encore sa campagne pour lutter contre les distracteurs au volant. Autre piste : « mettre en lumière des conducteurs et conductrices ayant des comportements vertueux », prolonge Nicolas Didier. L’idée serait d’« identifier une personne par filiale qui dénote par l’absence d’accidents, sa proactivité sur la prévention des risques… et serait en capacité d’être référente pour porter les messages de prévention du groupe et devenir formateurs ».
À noter aussi que l’AFT est chargée par l’État et les organisations professionnelles de la branche de lancer un portail d’informations sur la prévention des risques routiers dont la mise en ligne est annoncée pour la fin de l’année. Le but ? « Regrouper en un seul et même lieu l’ensemble des actions et informations délivrées par les partenaires de la branche transport (organisations professionnelles, Klesia, etc.). Cette plateforme aura aussi pour vocation de recenser des informations spécifiques applicables à chaque entreprise de la filière d’un point de vue juridique et réglementaire », indique la déléguée générale de l’AFT Valérie Dequen.
Enfin, pour sa part, Blondel s’engage aux côtés de Marie Delatour, une paratriathlète victime d’un accident de la route (voir encadré, ci-dessous). Une manière comme une autre d’aborder le sujet de la prévention tout en marquant les esprits de ses collaborateurs et, à terme, contribuer à une amélioration de la performance globale de l’entreprise.
Le Groupe Blondel s’engage aux côtés de Marie Delatour
Le 25 janvier dernier, le Groupe Blondel, implanté à Saint-Quentin en Picardie, a annoncé un partenariat avec Marie Delatour, para triathlète qui sera porteuse de la Flamme Olympique dans son département et en passe de réaliser son rêve : participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Un partenariat qui, d’après le transporteur, va au-delà du simple soutien financier et s’inscrit notamment dans la prévention de la sécurité routière. En effet, le choix de cette sportive n’est pas anodin puisqu’elle a surmonté un grave accident de voiture en 2015, avec un traumatisme crânien et de multiples fractures. Elle a connu un an de dépendance totale, deux ans en fauteuil roulant et quatre ans avec un rollator. « Marie Delatour est un exemple que je souhaitais mettre en lumière auprès des collaborateurs du Groupe Blondel. Sa force de caractère, son histoire liée à la sécurité routière nous rappelle que la vigilance sur les routes doit être de chaque instant. Ce message, je voulais le partager avec mes conducteurs », déclare Grégoire Blondel à la tête d’un groupe de 3 000 collaborateurs (dont 1 800 conducteurs environ), réalisant 330 millions d’euros de chiffre d’affaires.