Six ans : c’est le temps qu’il aura fallu aux partenaires sociaux de la branche pour s’entendre sur un accord pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Alors que les discussions à son sujet avaient commencé en 2014, ce texte de 39 pages n’a été finalisé que le 4 juin dernier, puis signé au cœur de l’été par, côté patronat, des représentants de la FNTR, de TLF, de l’OTRE et de la Confédération nationale de la mobilité (CNM) et, côté syndicats de salariés, de la FGTE-CFDT, CGT, FO-UNCP, CFTC et CFE-CGC. « Un plan sectoriel signé en 2014 avec l’État et Pôle Emploi, avait eu peu d’effets faute d’être concret et coordonné, et il n’y avait rien sur ce sujet dans la convention collective », explique Erwan Poumeroulie, responsable des affaires juridiques et sociales à la FNTR. Pourtant, les branches ont l’obligation de négocier sur ce sujet… « C’est un sujet compliqué pour nous, en tant que fédération, avance-t-il, car historiquement, il ne mobilise pas les entreprises, voire – comme la pénibilité – en braque certaines. Par ailleurs, les négociations salariales ont souvent pris le devant pendant ces six ans. » L’accord signé finalement rappelle les obligations légales des entreprises à ce sujet, prévoit d’accompagner celles-ci par la diffusion de bonnes pratiques et officialise la volonté de renforcer l’égalité en matière de salaires, d’évolution de carrière, d’accès à la formation, ou encore de faciliter l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. « Ce texte reste assez symbolique, admet Erwan Poumeroulie. Mais il est une première étape qui permet de faire piloter le sujet par la commission paritaire de branche et de lui consacrer un financement stable. Il vise aussi à envoyer un signe aux employeurs. » Le signe qu’il est urgent d’agir. Même si le rapport de situation comparée de 2018, sur lequel l’accord est basé, se félicite que l’écart de salaires entre femmes et hommes ne soit « que » de 6 % contre 18,5 % dans les autres branches, il pointe aussi que les femmes ne représentent que 10,61 % des effectifs du transport routier de marchandises et même 3 % des conducteurs du TRM.
Le chantier de la féminisation des effectifs est cependant complexe, car il concerne une lutte contre les stéréotypes, lutte qui « mériterait d’être encore développée, estime Erwan Poumeroulie. En considérant par exemple les contraintes familiales comme un frein à l’embauche de femmes, les entreprises véhiculent ces stéréotypes ». Un transporteur de l’ouest de la France par exemple, pensant bien faire, envisage de « réserver » les trajets intersites à des femmes, « parce que les hommes préfèrent partir à la semaine pour gagner plus », pense-t-il. Mais peut-on généraliser ainsi les envies de chaque sexe ? « Non, estime de son côté Michel Chalot, patron des transports éponymes. Les femmes préfèrent souvent le travail posté, mais certains hommes aussi, comme ceux qui sont agriculteurs à côté de leur emploi. » Ces stéréotypes étant généralement inconscients, Kuehne+Nagel a formé ses équipes RH, fin 2019, à les repérer et prévoit de le faire également en e-learning pour tous ses managers, à partir de fin 2020. « Il s’agit par exemple de réfléchir à ce qui, à compétences égales, peut faire pencher le choix vers un candidat au détriment d’une candidate », explique Hervé Gnoni, DRH du groupe.
Une sensibilisation qui pourrait être utile, estiment certains, pour les représentants syndicaux : des DRH, dirigeants ou représentants de la branche font état d’une indifférence d’élus du personnel au sujet de l’égalité femmes-hommes, voire d’une opposition franche à voir celles-ci au volant des véhicules… « Il faut le dire, il y a de bons vieux machos, lance Michel Chalot. Ils disent qu’une conductrice ne saura pas changer une roue, mais ils oublient de dire qu’eux-mêmes ne changent plus celles de leur véhicule ! »
L’enjeu de cette lutte contre les préjugés est de parvenir à pallier les difficultés de recrutement. D’après le rapport de situation comparée dans la branche, les filles représentent 4 % des apprentis préparant un CAP de conduite, 5 % un bac pro… « L’image traditionnelle du routier les refroidit, confirme Christian Luckel, directeur de la formation professionnelle et technologique du lycée Émile-Mathis, à Schiltigheim (Bas-Rhin). En BTS gestion des transports et logistique associée, nous avons six ou sept filles sur 30 élèves, mais pour le bac pro conduite routière, il n’y en a aucune en terminale et deux en première comme en seconde. » C’est pourquoi il veille à avoir des femmes parmi les enseignants. « Proposer des modèles est toujours plus efficace que les discours », assure-t-il.
Dominique Podesta, DRH du groupe Heppner, estime important d’axer les efforts sur la mise en avant de dimensions nouvelles et de plus en plus centrales du transport : la relation client et le digital. « Dans les métiers d’Heppner, dont c’est le cœur, assure-t-elle, les femmes représentent déjà la moitié de l’encadrement. » De son côté, Valérie Jimenez, présidente de la société éponyme, communique énormément sur son effectif mixte « pour donner envie aux femmes de venir ». Elle sait ainsi que le bouche-à-oreille fera savoir qu’elle a levé le seul obstacle à l’intégration d’une mécanicienne (par l’autorisation d’utiliser seule le vestiaire collectif) ou encore demande régulièrement à l’une de ses salariées (superviseuse, responsable d’exploitation, développeuse informatique…) d’aller témoigner auprès de jeunes. « Voir des femmes heureuses de travailler chez nous permet à d’autres d’oser postuler, assure la dirigeante. Souvent, les femmes se jugent durement, pensent ne pas être capables. J’étais comme ça, moi aussi. Mais la technique, ça s’apprend. Ce qui compte, ce sont les compétences et les valeurs de la personne. »