« On peut parler de dérégulation des flux »

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La crise sanitaire et économique n’épargne personne, pas même un champion du cousu main logistique comme STEF. Le numéro un européen du « froid » a subi de plein fouet les dégâts causés par le confinement et l’arrêt ou le quasi-arrêt de l’économie au premier semestre. Ses résultats* ont été divisés par deux. Marc Vettard, le directeur général délégué du groupe STEF, revient pour l’Officiel des transporteurs sur cette conjoncture inédite…
L’Officiel des transporteurs : STEF a communiqué ses résultats du premier semestre 2020 fortement à la baisse… Votre groupe a subi de plein fouet cette crise inédite ?

MARC VETTARD : Cette crise a été d’une ampleur exceptionnelle et personne n’était vraiment préparé à l’affronter. Du jour au lendemain, la prévision du confinement a provoqué des comportements totalement aléatoires de la part des consommateurs, qui ont constitué des stocks de précaution. Pour assurer notre mission d’approvisionnement des populations, nous avons dû mettre en place des moyens exceptionnels qui pèsent aujourd’hui lourdement sur nos résultats du premier semestre. La crise nous a fait perdre près dès deux tiers de notre résultat opérationnel. Les deux activités les plus durement touchées ont été la restauration hors domicile, avec la fermeture des lieux de restauration, et les produits de la mer, du fait du quasi-arrêt de la filière et de l’absence de flux chez les grossistes.

Quel a été l’impact Covid sur vos autres activités ?

M.V. : Nos autres activités ont heureusement mieux résisté : c’est le cas de l’activité GMS, qui s’est montrée dynamique grâce notamment au fort développement de l’e-commerce, et de l’activité « tempéré sec alimentaire » qui a bien résisté, portée par le développement de nouveaux dossiers sur le marché du chocolat. Je crois que ce qu’il faut surtout retenir de cette crise, c’est que la chaîne logistique a été à la hauteur des enjeux. Elle a tenu bon : il n’y a pas eu de rupture dans l’approvisionnement et elle a permis à l’ensemble de la population de s’alimenter. La profession, souvent dans l’ombre, a « fait le job ». Beaucoup de secteurs ont été, à juste titre, mis à l’honneur. Malheureusement, le nôtre n’a quasiment pas été cité… Peut-être n’avons-nous pas su valoriser suffisamment le rôle que nous avons joué. Il faut également souligner l’attitude exemplaire de l’ensemble de nos collaborateurs : animés par le sens de leur mission, ils se sont mobilisés et ont fait preuve d’un engagement sans faille, dans des conditions difficiles.

On a beaucoup évoqué – et on continue de le faire – un renchérissement des plans de transport (beaucoup de retours à vide et de kilométrages supplémentaires), une désorganisation de ces mêmes plans, un surcoût lié aux équipements de protection sanitaire… Chez STEF, avez-vous vécu tous ces dérèglements de plein fouet ?

M.V. : Les surcoûts engendrés par cette désorganisation ont été considérables. On peut même parler de dérégulation des flux, et cela partout en Europe, les mêmes causes ayant produit les mêmes effets. Or, nos réseaux, comme ceux de nos confrères, sont des réseaux fixes, avec une couverture territoriale complète et des flottes de camions dont on ne peut réduire le dispositif en raison d’une baisse d’activité. Alors, logiquement, quand un réseau à charges fixes perd une part significative de ses volumes, les effets de la sous-optimisation de ses moyens sont considérables.

Comment STEF a-t-il pu, dans un tel contexte de désorganisation, gérer au cordeau son recours à la sous-traitance, sans que cela coûte à l’entreprise et sans que cela pénalise vos sous-traitants ?

M.V. : Cela a coûté à l’entreprise, nos résultats du premier semestre en attestent. Cela a coûté car nous avons opté pour une attitude partenariale et responsable avec nos sous-traitants. Nous avons fait le choix de maintenir autant que possible leur activité en raison des relations durables que nous entretenons avec eux. Il n’était pas envisageable pour nous de fragiliser tout ce que nous avons construit pendant tant d’années. Nous avons, par ailleurs, opéré certaines adaptations du service en accord avec nos clients en aménageant nos plans de transport ou en assouplissant les créneaux horaires de livraison de façon à mieux optimiser nos camions. Cela a contribué à amortir les effets.

Le groupe STEF a, en plein confinement, décidé une hausse unilatérale de ses tarifs de 8,5 %. Une initiative qui a provoqué une levée de boucliers chez les chargeurs et vous a poussé à renoncer. Cette hausse était-elle dictée par les contraintes de marché que vous venez d’évoquer ou relevait-elle d’un opportunisme commercial qui a été évoqué sur les réseaux sociaux en pleine bronca ?

M.V. : Si notre demande de contribution exceptionnelle a été inappropriée sur la forme, elle était justifiée par la réalité économique, comme en témoignent nos résultats. Comme je le disais, la nécessité de maintenir un service ouvert à 100 % malgré la baisse des flux a considérablement renchéri nos coûts. À cela, il faut rajouter que nous avons été parmi les premiers, avant les annonces gouvernementales, à attribuer une prime à nos collaborateurs, ce qui représente environ 8 M€ sur l’ensemble de nos organisations en France. Comme dans tous les secteurs d’activité en première ligne, nous avons largement investi afin de protéger nos collaborateurs.

Nous pensons avoir réagi de la bonne manière en revenant immédiatement sur cette mesure mal perçue par nos clients. Ceux-ci ont été soulagés par cette position d’ouverture et ils ont compris que nous aussi faisions face à une situation inédite. D’ailleurs, bon nombre d’entre eux ont accepté de nous accompagner, soit sur le plan économique, quand ils le pouvaient, soit sur le plan opérationnel. Ensemble, nous avons su faire émerger de nouvelles solutions, mettre en place des plans de continuité spécifiques et adapter nos plans de transport.

On parle depuis le début de crise inédite. Ce qui l’est aussi, même si vous venez d’en expliquer les facteurs, c’est de découvrir des résultats aussi dégradés dans les comptes d’un groupe comme STEF…

M.V. : Nous nous attendions à ce type de résultats. Loin de nous l’idée de minorer cette période, mais il nous faut aller de l’avant. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est que notre activité retrouve des couleurs. On se rapproche du point zéro. Alors, oui, l’année 2020 ne sera pas un grand millésime mais nous sommes d’ores et déjà tournés vers le futur qu’il nous faut construire avec nos clients et nos collaborateurs.

On évoque beaucoup en ce moment la présence d’un épais brouillard sur l’économie. Comment un groupe comme STEF peut-il redresser la barre dans un tel climat ?

M.V. : Oui, le brouillard est persistant car nous pensons que cette crise est loin d’être terminée. On le voit bien, le virus est en train de tourner autour de nous de façon préoccupante. Nous ne sommes pas encore en mesure d’anticiper les impacts que cette situation aura sur nos activités mais l’agroalimentaire est un secteur résilient, je reste donc confiant. Nous nous devons cependant de rester attentifs.

Comment STEF aborde-t-il la fin de l’année et l’exercice 2021, avec quel correctif de stratégie s’il y en a un ?

M.V. : Nous avons été conduits à mettre entre parenthèses certaines orientations ou certains projets mais il n’y a pas de changement de cap. Nous sommes convaincus que cette crise, au-delà de ses impacts immédiats sur les entreprises, n’aura fait qu’accentuer les tendances qui existaient déjà. Elle a renforcé la fragmentation – déjà existante – des achats de produits alimentaires avec, en toile de fond, une accélération de la part de l’e-commerce et une généralisation de l’omnicanalité. La part du e-commerce alimentaire se situait à près de 5 % avant la crise, elle a grimpé à 10 % et devrait se stabiliser autour de 8 % d’ici à la fin de l’année. Cette évolution confirme nos choix. Elle a également généré des changements dans les consciences, avec l’émergence d’attentes toujours plus fortes à l’égard de l’environnement, de la sécurité alimentaire. Mais ces tendances étaient déjà présentes. À nous maintenant d’appuyer sur la pédale d’accélérateur.

On ne lève donc pas le pied sur les grandes orientations ?

M.V. : Exactement. Pour autant, la croissance sera-t-elle au rendez-vous comme nous l’avons prévue ? La réponse est évidemment « non », on l’a bien vu au premier semestre. Mais encore une fois, cela n’hypothèque pas nos projets pour 2021. Nous restons optimistes et sommes convaincus du bien-fondé des choix que nous avons faits en matière de business model et de spécialisation.

Votre stratégie de croissance externe « offensive » est-elle toujours d’actualité ?

M.V. : Notre plan stratégique s’articule autour de l’axe fort de la spécialisation, qui s’appuie sur deux leviers : d’importants chantiers de transformation et une politique de croissance externe sélective. Si nous menons une opération de croissance externe, elle devra s’inscrire pleinement dans notre plan de développement.

Comment un groupe comme STEF a-t-il accueilli les dernières annonces gouvernementales sur le plan économique ?

M.V. : Même si ce plan ne prévoit pas de mesures spécifiques pour notre secteur, nous l’avons accueilli de manière plutôt positive. Nous pensons que – outre l’allègement des impôts de production – tout ce qui consiste à générer de la valeur pour nous ou pour nos clients, à faire diminuer le coût du travail ou à améliorer les performances des entreprises de notre écosystème, nous sera directement ou indirectement profitable.

Vous parlez beaucoup d’écosystème…

M.V. : Il nous apparaît clairement aujourd’hui que plus la chaîne alimentaire jouera collectivement, plus nous serons efficaces et performants. La crise a montré que nous devons, dès à présent, travailler ensemble sur les thématiques transverses, comme la digitalisation, la traçabilité et la sécurité alimentaire, afin de mieux affronter les défis futurs.

* Le résultat d’exploitation (27,9 M€) a baissé de 58,5 % par rapport au premier semestre 2019, le résultat avant impôt (24,1 M€) de 61,6 % et le résultat net part du groupe (14,9 M€) de 62,7 %. Le chiffre d’affaires a reculé de 10,5 % à 1,491 Md€.

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