Un océan de données ! Chaque jour, la digitalisation du transport routier de marchandises génère des milliards d’informations. Selon le cabinet d’analyse McKinsey, les entreprises qui investissent dans l’intelligence artificielle (IA) augmentent leurs marges de plus de 5 %. Notamment grâce à l’automatisation des processus métier. Mais, en majorité, les transporteurs en sont bien loin. On les comprend. Programmation par contrainte, optimisation combinatoire en recherche opérationnelle, théorie des graphes, moteurs d’inférence, arbres de décision, réseaux de neurones, algorithmes génétiques… Les technologies de l’IA, qui sont capables d’extraire de l’or à partir des données, ne sont pas à la portée de tous.
D’où l’intérêt de recourir aux data scientists, aux développeurs et aux mathématiciens chez les spécialistes de l’IA. Citons PTV Group. Sa plateforme Drive&Arrive détecte et corrige automatiquement les anomalies présentes dans la saisie d’une adresse de livraison. Et, cerise sur le gâteau, elle interagit avec l’information trafic et la gestion des aléas de circulation pour affiner la prévision de la tournée. De même, avec la start-up Citodi, les transporteurs pourront réoptimiser en permanence leur modèle de tournée en temps réel en fonction de tous les événements perturbants qui surviennent… Ils réduiront de 15 % à 40 % les kilomètres parcourus, le temps passé sur la route, les émissions de CO2, le nombre de conducteurs et de véhicules… Qui plus est, des acteurs comme Geoconcept combinent l’Internet des objets (IoT) et l’IA. Ce dernier récupère, par exemple, le niveau de jauge des machines à café ou des distributeurs de boissons afin de planifier des tournées plus fluides et de dimensionner au plus juste le stock de recharges à emporter. Autant d’exemples qui visent à mieux maîtriser les marges et à anticiper davantage les perturbations de la chaîne logistique.
Savoir prévoir les prix est aussi essentiel pour gérer son entreprise. Un besoin pressenti par Upply, la place de marché destinée aux professionnels du transport et de la logistique. Lancé en novembre 2018, cet acteur met directement en relation les expéditeurs avec les transporteurs de marchandises. Pour les aider à surmonter la volatilité des prix, l’opacité de l’information et le déséquilibre entre l’offre et la demande, l’opérateur se charge d’analyser les tendances du marché avec des algorithmes d’intelligence artificielle. Upply dispose en interne d’une équipe de 10 data scientists et data ingénieurs associés à des experts business qui viennent conforter ou non le résultat obtenu par les algorithmes utilisés. Fort de cette ressource, Upply délivre d’un côté des outils d’aide à la décision et, de l’autre, des informations prévisionnelles. Lesquelles sont réalisées grâce à l’exploitation d’une base hébergeant 250 millions de données. Celle-ci est alimentée par les partenaires de la start-up qui, en contrepartie, accèdent à un outil de benchmark des prix actuellement pratiqués. Parmi ses partenaires, elle peut compter des chargeurs ainsi que des commissionnaires de transport et des transporteurs – dont Geodis, l’actionnaire d’Upply.
Ses algorithmes utilisent aussi des données provenant de sources externes. Comme la météo, le prix du baril du pétrole, les données publiques relatives à la balance commerciale et le produit intérieur brut de différents pays. Et ce, sur une période remontant d’aujourd’hui à ces cinq à dix dernières années. « Grâce à l’analyse de ces données, nous pouvons délivrer des tendances sur un corridor donné pour ces six à dix prochaines semaines. Et ce, avec une marge d’erreur de 2 % », indique résume Thomas Larrieu, directeur de la donnée et de la R&D d’Upply. Autre avantage apporté par l’IA, Upply parvient à répondre de manière pertinente aux demandes des chargeurs en sélectionnant les transporteurs les plus adéquats. Parmi les critères retenus, l’origine du camion, sa destination et sa capacité. Mais aussi la qualité de service et la santé financière de l’entreprise de transport. À ces informations s’ajoutent les données relatives au comportement du transporteur. Par exemple, était-il à l’heure ou absent au rendez-vous ?
Sur la base de ces informations, l’algorithme établit des classements par pertinence géographique, timing, capacité disponible. Mais aussi en fonction de la pertinence du prix proposé par rapport à ce qui est demandé par le chargeur. Les transporteurs pourraient craindre que les prix soient tirés par le bas… Pour l’heure, il n’en est rien. Le prix au kilomètre se situerait à 1,4 euro contre 1 euro constaté chez les autres opérateurs. « Nous faisons en sorte que le transporteur ait une juste rémunération », rapporte le directeur de la donnée et de la R&D d’Upply. La société vient de lancer une application mobile pour les transporteurs. Comme avec leur PC, ils peuvent positionner leurs camions ainsi que leurs offres de transport et les rendre visibles auprès de milliers de chargeurs.
Spécialisée dans la prédiction des ruptures de stock et des retards de livraison, la start-up Magma Technology cherche à fusionner les mondes virtuel et réel. Pour réaliser ses prédictions, la jeune pousse se base sur ses algorithmes « maison ». Lesquels utilisent plusieurs types de données. À commencer par celles délivrées par des trackers connectés. Ces derniers sont apposés sur des contenants tels que des caisses mobiles ou des palettes. Ce qui permet au propriétaire des marchandises de les tracer en temps réel et d’optimiser son parc de contenants.
Fabriqués en Europe, les trackers remontent leur position toutes les dix minutes à la plateforme de l’éditeur. L’envoi des données est véhiculé quel que soit le réseau de radio-communication basse fréquence tels LoRA, Sigfox mais aussi via la 2G et la 3G. Pour prédire l’heure d’arrivée de la marchandise et détecter d’éventuels retards, l’entreprise s’appuie à la fois sur les plans de transport de ses clients mais aussi sur d’autres données. « Nous nous appuyons principalement sur la position des trackers, la météo et la congestion du trafic », explique Mourad El Bidaoui, CEO de Magma Technology. L’entreprise qu’il a cofondée en 2018 avec l’actuel CTO, Adrien Tudesq, fournit sa solution à des grands comptes dans la distribution et l’industrie.
Ces deux dirigeants sont diplômés de l’école nationale d’Arts et Métiers. Mourad El Bidaoui a travaillé dans le conseil en stratégie avant d’occuper le poste de manager des opérations chez Shippeo, leader européen de la visibilité de la supply chain. Quant à Adrien Tudesq, il a œuvré comme consultant avant de devenir ingénieur d’affaires au sein d’un groupe spécialisé dans les technologies et les services d’information. C’est lui qui donne l’orientation technologique pour mettre les objets connectés au service de la chaîne logistique. Prometteuse, la start-up de huit personnes a réussi à lever 800 000 euros. De quoi étoffer son équipe afin de se développer en France et à l’international. L’entreprise cible notamment les secteurs du luxe, du retail et de l’industrie.
Aujourd’hui, elle travaille sur une offre qui permettra aux transporteurs de tracer les remorques et prévenir ainsi leurs clients en cas d’aléa. « Nous avons fiabilisé nos algorithmes, qui peuvent prédire des retards à cinq ou dix minutes près », indique Mourad El Bidaoui. Son équipe a également développé des algorithmes pour optimiser l’usage des remorques pour augmenter la capacité de transport. « Nous sommes en mesure de prédire les points de rupture en nous basant sur les plans de transport de nos clients, décrit le dirigeant. Comme nous savons quelles seront les livraisons à effectuer, nous sommes capables d’envoyer des alertes à l’exploitant pour lui indiquer s’il lui faut prévoir davantage de remorques ou s’il est en surcapacité. » De quoi améliorer la rentabilité de l’entreprise de transport. Magma Technology a déjà démarré des tests. « Notre but est de proposer une offre aux transporteurs début 2021 », annonce le dirigeant. Une chose est sûre : l’offre des start-up en IA est à regarder à la loupe.