Par une convention entre l’État et la Région Grand Est, adoptée en septembre 2023, la gestion de plusieurs routes et autoroutes sera transférée au conseil régional à compter du 1er janvier 2025. Cela correspond aux nationales RN4, RN44, RN 431 et RN52 ainsi qu’aux autoroutes A30, A31, A33 et A313. « Des axes nord-sud et est-ouest, structurants à l’échelle de la région », estime Thibaud Philipps, vice-président transports et mobilité durable du conseil régional du Grand Est, qui précise qu’il s’agit « d’un transfert de gestion et non de propriété : la Région va gérer ces routes pour le compte de l’État, afin de prouver que le transfert permettra de remettre ces routes en état et de réaliser des aménagements importants, notamment le contournement de Saint-Dizier et la mise à 2 x 2 voies de la RN4 ». L’expérimentation va durer cinq ans et pourra être renouvelée pour une période de trois ans. L’objectif, si cela s’avère concluant, est le transfert par l’État de la propriété des routes concernées à la Région.
Ce transfert va s’accompagner de celui de certains moyens nécessaires à l’entretien des routes. La Région Grand Est, pour augmenter ces moyens, a décidé de mettre en place à partir de 2027 une « écocontribution » pour les poids lourds empruntant ces routes transférées. Un appel à candidatures a d’ailleurs été publié le 1er juillet, les entreprises se proposant comme prestataires pour organiser cette nouvelle redevance ayant jusqu’au 10 septembre pour se faire connaître. La nouvelle fait réagir les associations représentant les transporteurs, déjà mobilisées contre le R-Pass, une taxe poids lourds similaire mise en place sur certaines routes par la Collectivité européenne d’Alsace.
« Pour l’instant, nous avons peu d’éléments sur le projet de la Région, qui en est à ses prémices, indique Marie Breton, déléguée Grand Est de l’union des entreprises Transport et Logistique de France (TLF). Nous avons été sollicités dans le cadre de l’élaboration du cahier des charges de l’étude d’impact. Nous avons pointé des manques, en particulier en ce qui concerne la compétitivité de l’économie du Grand Est ainsi que le financement par la route du report modal, sans prévoir d’évaluer ce report modal. Ce que nous déplorons aussi, c’est que l’appel d’offres pour sélectionner l’opérateur de collecte de la taxe ait déjà été lancé : c’est à se demander à quoi va servir l’étude d’impact ! »
Pour justifier la mise en place de cette redevance, la région Grand Est pointe les investissements nécessaires sur les routes transférées, ainsi que le manque d’entretien par l’État au cours des années écoulées. « Nous avons constaté une baisse de 19 % des investissements de l’État sur les axes routiers concernés pour la période 2014-2019, affirme Thibaud Philipps. Conséquence : les routes se dégradent et près de la moitié d’entre elles ont besoin d’investissements. Dans 22 % des cas, il ne s’agit pas seulement de refaire l’enrobé, mais des travaux lourds sur les fondations des routes. Les ouvrages d’art, les glissières de sécurité et les aires de repos doivent aussi être remis aux normes. »
La collectivité indique aussi que les fonds collectés dans le cadre de cette écocontribution pourront financer d’autres infrastructures de transport, notamment fluviales et ferroviaires : « Ces nouvelles ressources financières contribueront, entre autres, à remettre à niveau le réseau, à assurer son développement au profit de l’attractivité économique du territoire, à permettre la réalisation d’infrastructures multimodales attendues par les acteurs économiques et ainsi à favoriser le passage de la route vers d’autres modes de transport. À titre d’exemple, le déploiement de cette contribution sur les axes routiers structurants du nord-sud lorrain favoriserait le transport des marchandises à travers le fluvial et le ferroviaire. »
Un tel financement du report modal par les transporteurs routiers passe mal auprès des principaux intéressés. « Nous sommes preneurs de davantage de budget pour l’entretien des routes, qui sont notre outil de travail et que nous finançons déjà avec la taxe à l’essieu, précise Marie Breton. Mais nous avons peur que la collecte soit affectée à autre chose : véloroutes, transport de voyageurs, tourisme fluvial… »
Avis partagé partagé par Caroline Caire, secrétaire générale Grand Est de l’Organisation européenne des transporteurs routiers, qui craint aussi que les entreprises supportant cette nouvelle contribution finissent par en répercuter le coût sur leurs clients : « Cela va surtout affecter les transporteurs locaux, car les transporteurs étrangers circulent davantage sur les autoroutes que sur les nationales. La profession souffre énormément de l’augmentation des coûts et les négociations commerciales ne se font pas. Les transporteurs ne pourront pas prendre en charge cette nouvelle taxe, alors qu’ils n’arrivent pas à répercuter l’inflation à leurs clients. Pourquoi toujours taxer le transporteur et non celui qui réceptionne les marchandises ou le client final ? Cela aurait l’avantage de montrer que le transport a un coût et cela faciliterait la relocalisation. »
Les détails de l’écocontribution, notamment son mode de collecte et son taux kilométrique, devraient être décidés dans le courant de l’année 2025, pour une entrée en vigueur de la nouvelle redevance début 2027. Par la suite, de nouvelles routes pourraient entrer dans le périmètre de cette écocontribution, en particulier si la Région se voit transférer l’autoroute A4. « Nous regardons avec beaucoup d’intérêt la fin de la concession de la Sanef sur l’autoroute A4, qui interviendra en 2032, confirme Thibaud Philipps du conseil régional du Grand Est. Le modèle concessif est en effet plus cher pour l’utilisateur, car la recette va aux actionnaires et non à l’investissement dans les services publics. L’expérimentation qui débutera l’année prochaine servira donc aussi à voir si le transfert peut fonctionner pour une autoroute. »