Les gestionnaires face au défi de l’entretien des routes

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Selon un rapport de l’Observatoire national de la route, 19 % du réseau routier national non concédé et 10 % du réseau départemental sont considérés en mauvais état. Le réseau français ferait les frais d’un système de gestion très fractionné, entre méconnaissance du réseau, défaut d’entretien, de moyens ou de compétences techniques.

Avec plus d’un million de kilomètres, la France détient l’un des plus longs réseaux d’Europe. La majorité du réseau français est gérée par les collectivités : 378 834 km par les Départements, 704 999 km par les communes et intercommunalités. Le réseau national non concédé est de 11 806 km1, mais représente, selon le rapport de la Cour des comptes sur l’entretien des routes nationales et départementales de 2022, près de 19 % du trafic routier en 2019. Le réseau national compte également 9 000 km d’autoroutes concédées, entretenues et exploitées à partir des recettes de péage par des sociétés privées. Les décentralisations successives ont fragmenté la compétence routière entre ces quatre gestionnaires. Les directions départementales de l’équipement, qui s’occupaient jusqu’en 2006 de l’entretien des routes nationales et départementales, ont été remplacées par onze directions interdépartementales des routes, qui gèrent les routes nationales. La part du réseau des départements a par ailleurs augmenté.

Un état des lieux de la route

L’Observatoire national de la route (ONR), qui édite chaque année un rapport, pointe en 2023 que près de 19 % du réseau routier national non concédé sont considérés en « mauvais état » et 30,4 % « nécessitent un entretien ». Le réseau routier départemental est, lui, meilleur : 10,2 % sont en « mauvais état » et 24 % « nécessitent un entretien ». « On constate que le réseau, de manière générale, s’améliore très doucement ou est stable. Cela fait suite à un certain nombre d’années de désengagement financier, où les routes se sont dégradées. Il y a quinze à vingt ans, les budgets étaient moins importants et, aujourd’hui, on remet de l’argent pour rattraper le retard », analyse Pierre Dumas, chargé de projet à l’Observatoire national de la route. Pour établir ce bilan, l’ONR (lié à l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité) recueille des informations auprès des Départements, intercommunalités, métropoles et communes sur la base du volontariat et s’appuie sur des données de l’État et du Cerema. Mais force est de constater que la participation est faible, notamment dans les communes et intercommunalités. Le rapport de la Cour des comptes pointe d’ailleurs un problème de manque de données sur la voirie des collectivités locales (état, entretien, usage). Il déplore aussi les campagnes d’évaluation des chaussées départementales insuffisantes et – bien que le réseau national bénéficie d’un suivi régulier de ses chaussées et ouvrages d’art depuis les années 1990 – une évaluation annuelle « partielle » et manquant « de précision ».

Des budgets d’entretien renforcés

« Les décentralisations successives n’ont pas rendu clair ce que chacun devait faire. Pendant longtemps, on préférait faire des travaux nouveaux plutôt que de l’entretien. Mais concernant les investissements, on voit que les budgets alloués à la voirie sont en croissance depuis un certain nombre d’années sur tous les départements interrogés et qu’ils sont fléchés de façon plus importante vers la maintenance », observe Pierre Dumas. Il tempère toutefois : « Si la connaissance des infrastructures des départements et métropoles est assez bonne, c’est une autre affaire pour les petites communes, pour lesquelles on constate un problème de connaissances et d’entretien. » La question des ponts (voir page 12) illustre d’ailleurs cette problématique, avec la nécessité d’y remédier pour des enjeux de sécurité. Pour Jean-Max Gillet, délégué général de Maintenance des routes de France, syndicat des acteurs du secteur, l’entretien courant des routes communales et intercommunales est le nerf de la guerre. Le professionnel pointe notamment le dérasement des accotements et le curage des fossés comme des travaux indispensables pour la durabilité des routes. Yannis Charbonnier, directeur général des Transports Charbonnier (04), opère depuis les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence et le Vaucluse. Habitué aux petites routes de montagne, il dit observer des dégradations liées à un manque d’entretien et occasionnant nids-de-poule, rétrécissements de voies et déformations de la chaussée. Dans le Nord-Pas-de-Calais, Alexandre Emaille, dirigeant des Transports CAE (59) décrit, lui, des routes en plutôt bon état, mais souligne un défaut d’entretien des bords de la chaussée, notamment des végétaux. Un point partagé par son confrère, qui indique qu’ils ont plus d’accidents avec les animaux dans les zones où la végétation y est dense.

Des conséquences multiples

Lorsqu’une route est en mauvais état, les conséquences sont multiples : elles sont limitées en tonnage, voire carrément coupées ou difficilement accessibles, comme en témoigne Yannis Charbonnier : « Avant, lorsqu’il neigeait, nous roulions avec des chaînes. Maintenant, c’est impossible, car certaines routes sont en trop mauvais état. Résultat, en cas d’intempéries, tout s’arrête alors que nos chauffeurs sont formés et que nous avons des véhicules adaptés. » Sur une chaussée en mauvais état, l’usure des équipements (pneumatiques, plaquettes de frein) est plus forte. En 2020, l’Association espagnole de la route a réalisé une étude démontrant qu’une route très abîmée augmentait de 6 % les émissions de CO2 sur un PL. « Rouler sur une route en mauvais état accroît aussi la fatigue du chauffeur, car le niveau d’attention est relevé. Or, nous réalisons 60 % de notre activité de nuit sur les routes de montagne », ajoute encore le dirigeant. Et quel impact sur l’accidentalité ? Les défauts d’infrastructure seraient responsables de 30 % des accidents mortels, mais attention, ce n’est pas la seule raison en cause. Seulement 1 % des accidents sont dus uniquement à un facteur lié à l’infrastructure1.

Quelles pistes ?

Le rapport de la Cour des comptes sur le réseau national et départemental pointe « une forme de désengagement de l’État à l’égard d’une de ses missions, ce qu’illustrent certaines insuffisances de la gestion de ces infrastructures au regard des impératifs de sécurité routière et de protection de l’environnement ». L’instance recommande de donner les moyens à une politique routière nationale, de renforcer les outils de pilotage et de garantir un service adapté. Départements de France constate : « Beaucoup de Départements sont en difficulté et contraints de revoir à la baisse leur politique d’investissement ou leur politique de la route. Nous tirons la sonnette d’alarme : les Départements ne peuvent continuer à porter un patrimoine si lourd avec de telles contraintes budgétaires. C’est la question du modèle économique de la route dans son ensemble que nous posons. Certains Départements peuvent espérer le retour d’une écotaxe, il y a aussi un débat à venir sur la fin des concessions autoroutières, très rentables. Pourquoi cette manne financière ne bénéficierait pas aux réseaux gratuits ? » Du côté des routes communales et intercommunales, Maintenance des routes réfute tout argument économique et prône une meilleure connaissance et gestion du patrimoine. « En amont de travaux, il ne faut pas hésiter à faire lire le dossier par un ingénieur, notamment pour faire valider les choix techniques, indique Jean-Max Gillet. Et surtout, faire contrôler les travaux par un bureau d’étude extérieur. Nous estimons que sur les 30 % de chantiers contrôlés en France, 50 % présentent des non-conformités, dont un tiers réduisent leur durée de vie de 50 % ! » D’autant que parmi les défis des gestionnaires figure celui de la résilience des infrastructures face aux aléas de plus en plus nombreux liés au réchauffement climatique. « Nous avons besoin d’une route plus solide, qui s’entretient plus facilement, moins dépendante des produits pétroliers… Il va falloir innover et nous ne pouvons y être indifférents », assure Départements de France.

(1) Rapports ONISR sur l’accidentalité routière 2023 et 2021.

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