« Les dirigeants doivent apprendre à lever le nez du guidon »

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En conséquence de la période de confinement, deux fois plus de dirigeants(1) que l’année dernière ont décidé d’écourter ou d’annuler leurs vacances. Olivier Torres, président d’Amarok, un observatoire de la santé des dirigeants de PME, livre des pistes aux entrepreneurs pour se préserver et mettre en place une stratégie de récupération.
L’Officiel des transporteurs : Beaucoup de dirigeants ont décidé de réduire ou de sacrifier leurs vacances cette année. Que leur conseillez-vous ?

Olivier Torres : Attention, on est partis pour une crise au long cours avec plein d’aléas qui peuvent être extrêmement contraignants pour les patrons dépendants de certains secteurs fortement impactés. La visibilité reste faible et compliquée dans certains secteurs. Par exemple, dans le tourisme, les réservations peuvent être annulées jusqu’au dernier moment. L’incertitude devient radicale. Même si le carnet de commandes est rempli à 80 %, on ne sait pas si ce pourcentage sera atteint. Nous avons mené une étude(2) du 16 au 22 avril démontrant que 34,5 % des dirigeants de PME, commerçants et artisans présentaient un risque de burn-out, soit près de deux fois plus qu’en 2019 ! Bien sûr, on ne peut pas leur dire de se reposer alors que certains doivent mettre les bouchées doubles. Mais ils ne doivent pas jeter toutes leurs forces immédiatement.

Selon cette étude, quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur la santé des chefs d’entreprise ?

O. T. : Le risque d’épuisement professionnel a considérablement augmenté et ses déterminants étaient totalement inédits. En général, ce qui épuise le plus les chefs d’entreprise, c’est la déception – des salariés, des clients, de l’entourage… Ce sont des personnes en surengagement, ce qui génère en retour de la frustration. La lassitude est le critère qui vient ensuite, puis la fatigue. Cette fois, les sentiments d’impuissance et d’être coincés venaient en premier. Il n’y a rien d’étonnant puisqu’en confinement, certains se sont trouvés bloqués, empêchés. Ce « sentiment d’empêchement » a d’autant plus touché les chefs d’entreprise, femmes et hommes, très actifs. Le repos forcé n’est pas fait pour eux. Ils se sont reposés physiquement, leur santé physique s’est même améliorée. En revanche, leur santé mentale et la dégradation du sommeil ont été plus fortement impactées.

Ce phénomène pourrait-il se poursuivre ?

O. T. : Je ne suis pas alarmiste. Le sentiment d’impuissance et d’être coincé explique la montée en force de l’épuisement professionnel. Dès que l’économie se remettra à fonctionner, même si le nombre d’heures de travail risque d’augmenter, ce sentiment va s’estomper et le niveau d’épuisement va revenir à la normale.

L’étude montre que l’esprit d’entrepreneuriat a été affecté. Comment l’expliquez-vous ?

O. T. : C’est particulièrement la « vigilance entrepreneuriale », c’est-à-dire l’aptitude à saisir des opportunités, qui a été impactée. Ce critère repose sur la capacité des femmes et des hommes à trouver des solutions voire même des niches dans les interstices des crises ou des contraintes. Cette vigilance entrepreneuriale passe par trois étapes : la recherche d’informations pour savoir ce qu’il se passe ; l’idée qui découle des informations recueillies ; puis la transformation de l’idée en opportunité. Pendant la crise, la phase de recherche d’informations était devenue pathogène et devenait mauvaise pour la santé. C’est la première fois qu’on observait ce phénomène. Les informations étaient anxiogènes. Et aujourd’hui ça continue, avec la potentielle seconde vague. Le passage de l’information à l’idée a été un peu atrophiée et celui de l’idée à l’opportunité davantage encore. En revanche, la fonction d’évaluation des opportunités est devenue salutogène [favorisant la santé et le bien-être, Ndlr] lorsque les dirigeants parvenaient à cette étape. La vigilance entrepreneuriale est bonne pour la santé puisque l’homme ou la femme qui voit des opportunités et qui les saisit se maintient dans une logique de projet et non de rejet, ce qui est favorable pour le business.

Des éléments psychologiques positifs sont aussi ressortis de cette période, comme la résilience. Auriez-vous des conseils pour les développer ?

O. T. : Outre la résilience, beaucoup de traits psychologiques bons pour la santé ont augmenté pendant la crise, comme la capacité d’adaptation, la capacité à donner du sens à ses actions… Ils présentent des vertus pour la santé et sont bons pour le business. Ce sont donc des pistes puisque la résilience, l’optimisme, la confiance en soi peuvent être développés. Pourquoi ne pas, chaque soir, avant de se coucher, réfléchir à trois choses positives qui se sont produites dans la journée ? Ou réfléchir à un plan B pour avoir rapidement les bonnes réactions si les potentielles contraintes se produisent. On améliore ainsi sa résilience. Bien sûr, il ne faut pas non plus passer son temps à tout essayer d’anticiper, mais au moins les éléments-clés, comme une solution en cas de perte du plus gros client.

Vous avez également travaillé sur la difficulté des dirigeants à s’octroyer des moments de déconnexion. L’utilisation massive des outils de communication pendant le confinement a-t-elle créé davantage de stress ?

O. T. : Vérifier ses mails, recevoir des appels voire planifier des rendez-vous avec les clients, bien des dirigeants restent en permanence connectés à leur entreprise, même en vacances. En temps normal, utiliser la technologie s’ajoute à ce qu’on fait normalement et devient source de stress. Mais pendant le confinement, le « techno-stress » a diminué par rapport à l’année dernière, alors que les dirigeants ont utilisé plus que jamais les outils de visioconférence et autres technologies de communication. Ils sont devenus la solution et ont été considérés davantage comme une source de satisfaction que de stress.

Pour les dirigeants qui ne s’octroieront que peu voire pas de vacances, comment peuvent-ils se préserver ?

O. T. : Les dirigeants travaillent beaucoup, en moyenne 50-55 heures par semaine. Ils sont tout le temps dans l’action et ont le nez dans le guidon. Il faut entreprendre sans s’épuiser. On ne peut pas leur demander de moins travailler mais ils peuvent mettre en place une stratégie de récupération. S’aménager des temps de repos et prendre du recul est une façon de récupérer. Il faut se redonner du temps de sommeil, et ne pas en faire une variable d’ajustement. Pour se reposer, il peut planifier une pause hebdomadaire de deux heures pour prendre rendez-vous avec lui-même et simplement ne rien faire. Ça peut aussi être la sieste, des week-ends prolongés… Autre stratégie, la participation à des réseaux et à des activités connexes au métier, comme être membre d’une fédération ou d’une CCI par exemple, s’avère très reposante tout en étant utile. Une interface en réseau, c’est augmenter sa quantité d’information, de connexions à des idées nouvelles. Ça permet d’être dans le métier sans être dans le métier, en restant en veille.

(1) 44 % sur 802 chefs d’entreprise interrogés selon une enquête OpinionWay pour la Fondation d’entreprise MMA.

(2) Étude menée du 16 au 22 avril 2020 sur 2 000 dirigeants de TPE-PME.

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