Les constructeurs en plein apprentissage

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Piégés par une réglementation européenne qui ne s’intéresse aux émissions de CO2 qu’entre le réservoir et le pot d’échappement, les constructeurs seront obligés de trouver des clients pour leurs camions électriques. Eux seuls peuvent réduire ces émissions de 15 % en 2025, puis de 30 % en 2030. Comparés à leurs équivalents diesel, les camions électriques sont chers. Ils manquent d’autonomie et sont immobilisés pendant leurs temps de recharge. Ils nécessitent des infrastructures de recharge onéreuses et quasiment inexistantes.

Pour un transporteur, le TCO d’un véhicule est un critère décisif. Or celui des camions électriques est rédhibitoire. Sont-ils invendables pour autant ? Comme les hybrides avant eux, ces camions branchés sont des outils de communication pour les transporteurs et pour les chargeurs. Enfin, le durcissement des conditions d’entrée dans les ZFE (zones à faibles émissions) pourrait créer le marché des camions électriques.

« Nous n’avons pas d’objectifs de vente pour nos camions électriques LF et CF », déclare Philippe Canetti, directeur général de DAF Trucks France. Du côté du groupe Daimler, le Fuso eCanter (7,5 t) avait dès début 2020 franchi le cap des 100 exemplaires placés chez des clients y compris DB Schenker pour un emploi dans Paris. Placés ? Oui, car comme le Mercedes eActros, l’eCanter n’est pas vendu. Il est loué à travers la filiale CharterWay. Cette solution fait assumer au constructeur le risque lié à la longévité de la batterie. Elle clarifie donc le TCO pour le transporteur. Hors contrainte réglementaire ou volonté de communiquer, le camion électrique n’est aujourd’hui envisageable que si le chargeur en assume le surcoût.

Avant tout, apprendre

Bien qu’ils existent depuis plus de cent ans et aient été construits par des marques françaises spécialisées (Sovel), les camions électriques sont perçus comme des nouveautés. Dans ce domaine, il y a toujours eu une offre, discrète et marginale, proposée par des constructeurs et des transformateurs (PVI en France, eForce en Suisse, Emoss et Ginaf aux Pays-Bas). Organisée autour du diesel, la filière transport doit évoluer si elle veut intégrer l’électromobilité. C’est pourquoi donneurs d’ordres, transporteurs, constructeurs et carrossiers expérimentent ensemble. Dans cet esprit, le transporteur Jacky Perrenot a mis sur la route en janvier dernier un MAN eTGM de 26 t aux couleurs de Franprix (groupe Casino). Sa caisse frigorifique bitempérature est fournie par Frappa et est équipée d’un groupe frigorifique cryogénique Silencio (azote indirect). Pris en location pour cinq ans, le camion sera suivi de près par l’ensemble des partenaires. Ils ont tous quelque chose à apprendre. Ici, la question de l’autonomie passe au second plan.

Chaque mission de l’eTGM Franprix dessert six magasins parisiens. Cela représente moins de 50 km par amplitude au départ de Gonesse (Val-d’Oise). Avec une volonté d’optimisation, les tournées sont conçues à l’aide du logiciel Toursolver de Geoconcept. Alors qu’un véhicule thermique part en tournée avec un plancher occupé à 60 ou 75 %, l’eTGM doit rouler avec un plancher occupé à 100 %. « La vraie question est celle de l’intégration du véhicule dans l’exploitation d’un transporteur au profit d’un chargeur », rappelle Jean-Yves Kerbrat, directeur général de MAN France. Grâce à son silence, l’eTGM Franprix devrait effectuer ses livraisons dès 3 ou 4 heures du matin, alors que l’on évite les livraisons par véhicules diesel avant 5 heures. La volonté d’apprendre est partagée par tous les acteurs du marché. On remarque d’ailleurs que les Mercedes eActros et MAN eTGM confiés aux flottes depuis deux ans disposent de carrosseries montées sur twist-locks afin de faciliter les échanges de caisse. Cela a permis le montage d’une citerne à pulvérulents (ciment) sur un eActros, alors que les camions électriques sont plus volontiers utilisés en fourgons secs ou réfrigérés.

Des gammes orientées vers la distribution

Les constructeurs ont d’abord concentré le développement de leurs gammes électriques sur les fourgons 3,5 t (Renault Master ZE, MAN eTGE, Mercedes eSprinter, etc.) et sur les porteurs de 26 t destinés à la distribution urbaine. Dans cette catégorie, DAF, MAN, Mercedes, Renault et Volvo ont présenté des véhicules qui ont pour point commun d’emprunter autant que possible leurs chaînes cinématiques à celles conçues pour les bus électriques. L’offre dans ce domaine doit tout aux décisions politiques et à l’argent public qui finance les réseaux de bus.

Pour combler le vide entre 3,5 et 26 t, DAF, Renault et Volvo ont présenté des moyens tonnages électriques (modèles LF, D ZE et FL) parmi lesquels on remarque le VW e-Delivery venu du Brésil. L’extension des gammes électriques comprend l’augmentation des tonnages ainsi que le laisse entendre le concept de véhicule Volvo Trucks dérivé du nouveau FM. Il conduira à un 8x4 tridem de 32 t pour les chantiers urbains ainsi qu’à un tracteur pour 40-44 t. Pour ce dernier, l’autonomie est, plus que pour un porteur, limitée par l’espace disponible et par la répartition des masses en incluant le report de charge de la semi-remorque sur la sellette.

Du côté des cabines surbaissées, PVI poursuit la production du C-Less, Mercedes a annoncé la fabrication en série de l’eEconic en 2022 tandis que Scania poursuit une voie originale avec sa série L. Elle pourra disposer d’une chaîne cinématique hybride rechargeable, utilisable en mode « tout électrique » sur des distances limitées. Malgré ce mode « tout électrique », un hybride rechargeable (plug-in hybrid) n’accède pas à la vignette Crit’air verte des véhicules électriques. Il doit actuellement se contenter de la vignette Crit’air 2 qui sera interdite dans Paris dès 2024. Après avoir misé sur le gaz méthane, Iveco s’est associé à Nikola pour disposer d’une chaîne cinématique destinée à ses futurs véhicules électriques lourds. L’alliance de l’industriel et de la start-up vise le véhicule hydrogène, mais elle passera par le véhicule à batteries. Pour eux, le tandem Iveco-Nikola annonce des autonomies inédites. Elles semblent exiger un bond technologique significatif qui laisse dubitatif.

Qui paiera ?

Dans notre société, ce sont toujours les consommateurs et les contribuables qui paient. Les premiers doivent assumer le surcoût du transport par camion électrique des biens qu’ils consomment tandis que les seconds injectent l’argent nécessaire à l’électromobilité quand elle est subventionnée par l’État. Or l’épidémie de Covid-19 ne s’est pas contentée d’arrêter les chaînes d’assemblage des constructeurs. Elle provoque également un effondrement de pans entiers de l’activité économique. Les contribuables de l’Union européenne vont devoir payer le « plan à 500 milliards d’euros » annoncé le 10 avril dernier. N’ayant plus les moyens de sa politique, le législateur pourrait repousser les échéances auxquelles les véhicules électriques seront imposés, tant aux constructeurs (amendes CO2) qu’aux transporteurs (ZFE). Ce sera peut-être l’occasion de reconsidérer les motorisations bioéthanol (ED95) et biométhane, dont les vertus environnementales sont avérées sur l’ensemble des cycles de la matière et de l’énergie, ce qui n’est pas le cas pour les véhicules électriques à batteries. Ils ne sont « zéro émission » que sur leur lieu de circulation et induisent ailleurs des pollutions.

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