Ce devait être le voyage de sa vie. Mais la crise sanitaire liée au Covid-19 est venue troubler les plans de Yann Guisnel, le patron des transports éponymes. Parti début mars pour quatre semaines à l’autre bout du monde, c’est à des milliers de kilomètres de son siège breton qu’il a dû gérer les premiers jours du confinement. « Malgré 11 heures de décalage, il a fallu prendre les décisions qui s’imposaient dans l’urgence avec l’équipe de direction », raconte-t-il. Contraint d’écourter son séjour, il est de retour le 23 mars sur le sol français, avant de « se jeter dans l’arène ». En bon général, il commence par faire le tour de ses troupes et voir l’ampleur du problème.
Spécialisé dans l’acheminement de meubles (201 véhicules), ce fleuron français du transport avance au ralenti. Cette activité emploie habituellement 820 personnes. En cette fin de quatrième semaine de confinement (au moment où a été effectué le reportage, Ndlr), 33 % des effectifs sont mobilisés « sur la base du volontariat ». L’entreprise a recours au chômage partiel pour 120 salariés. Et alors que le transport de meubles génère d’ordinaire 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une croissance annuelle de 3 à 4 %, l’activité tourne aujourd’hui à 30 %.
Les fabricants de meubles et détaillants étant fermés, l’activité BtoB est impactée à hauteur de 90 %. La livraison aux particuliers (50 % des flux) se poursuit quant à elle et tourne à 65 %. « L’enseigne Maisons du Monde, qui est notre premier client en BtoC, a fermé ses magasins mais continue à vendre sur son site internet et les ventes explosent. »
Autre activité impactée : la pose de cuisine (80 véhicules tout équipés). Un métier développé depuis 20 ans. « Au début de la crise, nous avons observé une baisse de 20 %. Aujourd’hui, l’activité est arrêtée à 90 %, nos principaux clients (But, Conforama, Ikea…) n’ayant plus d’approvisionnements. »
L’activité location dédiée à l’univers de la maison (780 véhicules) ne fait pas non plus exception. « C’est compliqué ! Il n’y avait plus d’entreprises du bâtiment sur les chantiers, donc rien à livrer », constate Yann Guisnel. Peu à peu, la filière du BTP se réorganise et l’activité reprend doucement. « Nous arrivons à 30 % de notre activité normale alors que nous n’étions qu’à 10 % auparavant. » Habituellement, la location affiche une croissance annuelle à deux chiffres (43 M€ de CA) et fait travailler 420 personnes. Là, seuls 35 % des effectifs sont présents.
Pour faire face à ce ralentissement d’activité, les Transports Guisnel ont fait appel aux aides mises en place par l’État à hauteur de 4 millions d’euros. En attendant que la crise passe, ils s’appuient sur la livraison directe à destination des particuliers. Un nouveau métier lancé depuis le printemps 2019. « Sans cela, le transport de meubles ne tournerait qu’à 15 % », pense Yann Guisnel. Même si la crise actuelle perturbe aussi le trafic. Habituellement, 35 à 40 camions desservent chaque semaine la France (Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille et Nice) mais aussi la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse ou encore l’Angleterre où, d’ordinaire, un camion transite chaque semaine vers Londres. Les portes étant fermées, les rotations sont arrêtées outre-Manche. Huit camions patientent ainsi sur le parking. Alors qu’en Belgique, il est interdit d’être plus de deux dans les cabines. Le transporteur a donc revu ses tournées en privilégiant les livraisons qui ne nécessitent qu’une seule personne.
La société bretonne parvient aussi à faire face grâce au transport de produits périphériques aux meubles (store-banne, portail…), une activité lancée il y a deux ans, vouée à se développer. Deux semis livrent chaque semaine toute la France. « Nous n’avons aucun problème pour livrer. » En cette période de crise sanitaire, les Transports Guisnel sont aussi mobilisés pour livrer du mobilier d’hôpital par petits volumes. Son client logistique Le Choix Funéraire voyant son volume tripler depuis trois semaines, le transporteur assure aussi la livraison des produits (cercueils, couronnes…).
En 63 ans d’existence, les Transports Guisnel en ont traversé des crises, notamment celle qui a touché l’industrie du meuble dans les années 90. Aujourd’hui, le mot d’ordre est clair : « Il faut conserver le cap fixé, garantir un service aux clients et se positionner pour l’avenir. »
Les investissements dans le matériel roulant sont donc maintenus, soit en moyenne entre 20 et 25 millions d’euros par an. « Nous augmentons le parc de 30 moteurs chaque année depuis trois ans. 18 millions d’euros de matériel sont d’ores et déjà commandés ou optionnés pour l’année prochaine », indique Yann Guisnel.
Il n’est pas question non plus de ralentir les investissements dans l’immobilier qui sont en continu. Après un atelier de réparation à Dol de Bretagne ultra moderne (3 millions d’euros) voilà trois ans, une nouvelle agence en région lyonnaise en 2019 (3,5 M€), un agrandissement récent de 3 000 m2 de l’agence de Mont-de-Marsan (2 M€), le transporteur breton vient d’injecter 500 000 euros dans un bâtiment à proximité de son site pour accueillir en 2020 un centre auxiliaire dédié au passage aux mines des camions. Il vient également de lancer l’agrandissement de l’agence de Tarascon (2 000 m2 d’entrepôt), l’une des plus petites des 7 agences régionales. Sa surface sera plus que doublée moyennant un investissement de 3 millions d’euros. D’après le calendrier prévisionnel, les travaux devraient démarrer avant l’été avant une mise en service au printemps 2021. Les Transports Guisnel ont également prévu d’ouvrir très prochainement deux sites dédiés à la location à Nantes et Fréjus.
Parmi ses axes stratégiques, le groupe breton entend prendre de la vitesse sur la livraison directe à destination des particuliers et la pose de cuisines sur le territoire régional. Concrètement, « 6 000 cuisines ont été posées en 2019, générant 6 millions d’euros de chiffre d’affaires. D’ici à 5 ans, notre objectif est d’atteindre 10 000 cuisines par an », ambitionne Yann Guisnel. Selon ses prévisions, la société entendait flirter avec les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année. Un objectif qui sera retardé d’un à deux ans en raison de la crise liée au Coronavirus. Prochaine étape : l’entrée au capital de ses fils Arthur, 20 ans, et Mathurin, 18 ans, prévue d’ici à la fin du printemps. Signe que la transmission se prépare ? A l’aube de ses 62 ans, le patron assure qu’elle n’est pas encore à l’ordre du jour. A suivre donc…
Siège : Dol-de-Bretagne
• CA : 93 M€
• Parc : 981 véhicules
• Effectif : 1 240 personnes
• Activités : transport de meubles, pose de cuisines, location