« Les transporteurs veulent la transition énergétique, mais pas aux dépens de leur survie. » Voici ce qu’affirme Jean-Christophe Pic, président de la FNTR, lors de son discours d’introduction du 77e congrès de la fédération le 21 septembre au Beffroi de Montrouge, en banlieue parisienne. Le dirigeant indique que le contexte économique inflationniste actuel et les mesures fiscales touchant les acteurs du transport (comme le dispositif bonus-malus) impactent la capacité des entreprises à investir, notamment dans la décarbonation. Surtout dans le cadre du calendrier fixé par l’Union européenne. « 17 ans pour décarboner l’ensemble des véhicules lourds du TRM, dont le nombre est estimé à 600 000, c’est mission impossible », insiste le président de la FNTR. Pour Jean-Christophe Pic, le calendrier est « trop ambitieux », et il faudrait être beaucoup « plus raisonnable » sachant que la disponibilité du matériel n’est pas immédiate.
Pour le ministre des Transports, Clément Beaune, le secteur avance dans le bon sens pour la décarbonation avec la feuille de route de l’article 301 de la loi Climat et résilience, qui propose « des solutions partagées et très concrètes » vers une ouverture à un mix énergétique. Et pour le ministre, l’électrique sera une partie prépondérante de cette transition. Afin d’aider les transporteurs à investir, Clément Beaune indique qu’il n’y a « pas de modification sur la TICPE en 2024 », tout en soulignant qu’il y aura la nécessité à terme « d’y revenir collectivement ». Dans le même sens, il déclare que l’électrification de la mobilité lourde passera par les appels à projets, et l’accompagnement prévu dans le cadre du projet de loi de Finances 2024. Selon lui, « il n’y a pas d’avenir collectif sans décarbonation, ni sans progrès social ». Un propos qui va dans le sens de ceux de Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR : « Il faut agir ensemble pour affronter les défis liés à la transition énergétique. C’est pour cela que les directives pour une fiscalité écologique doivent être étendues à toute l’Europe. »
Lors de cet événement, une table ronde intitulée « Transition énergétique, serons-nous prêts ? » a été organisée par la FNTR. Elle a permis de croiser les points de vue sur la décarbonation des différents acteurs : transporteurs, politiques et financeurs. Pour Pascal Mégevand, co-dirigeant de Mégevand Frères, il y a deux leviers pour la décarbonation : le verdissement de la flotte et celle du fret. Un constat qui va dans le sens de celui de Nicolas Robert, directeur général de GLS France : « Le verdissement du fret est essentiel. Le souci, c’est qu’il est difficile d’obtenir du foncier logistique à proximité des zones urbaines. »
La décarbonation est un processus qui sera long et coûteux, coût que les transporteurs ne peuvent assumer seuls. « Actuellement, un camion 44 tonnes diesel coûte environ 100 000 €, tandis qu’un tracteur 44 t électrique représente un investissement de 300 000 à 400 000 €, que l’on ne peut débourser sans aides. Le souci, c’est que l’accès au financement est complexe auprès des banques », souligne Pascal Mégevand. Le secteur bancaire est pleinement conscient de cette problématique : « Aujourd’hui, on se retrouve dans une impasse entre l’obligation de verdir et la difficulté pour appréhender l’avenir dans un secteur où les marges sont structurellement faibles », commente Frédéric Ronal, directeur du partenariat Phyteas chez Arkea Banque. Pour Anne-Marie Jean, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, il est indispensable de revoir les mentalités : « Il est impératif d’éduquer les donneurs d’ordre et les clients finaux au coût du transport. » Compte tenu du calendrier fixé par l’Europe, plusieurs invités de la table ronde s’interrogent sur la pertinence de privilégier la mobilité lourde électrique. « L’électrique a été décrété comme solution à privilégier par des technocrates en Europe. Mais il n’y aura pas de mono-énergie de remplacement et il faudra nécessairement du temps », souligne Frédéric Ronal. Des échéances à court terme fixées par l’Europe qui pourraient s’avérer contre-productives. « Selon des études, l’accès à des camions électriques à un prix inférieur à 200 000 € ne se fera pas avant 2038. Les transporteurs n’auront pas d’autres choix que de se rabattre sur des constructeurs hors Europe, comme en Chine. L’Europe n’a donc rien à gagner à précipiter la transition de la sorte », insiste Pascal Mégevand. Autre risque qu’expose le dirigeant : « Si on ne peut pas acquérir ces nouveaux camions, on s’expose à un scenario à la Cuba, à savoir utiliser l’ancien matériel jusqu’à sa fin de vie, quitte à être hors des clous au niveau environnemental. »