Karima Delli : Je tiens en premier lieu à adresser mes remerciements aux routiers, fortement mobilisés depuis le début de la crise du Covid-19 et qui ont fait preuve d’un engagement sans faille ainsi que d’une incroyable détermination au travail. Les conducteurs se sont engagés avec, parfois, des infrastructures d’accueil pour la restauration ou l’hygiène défaillantes ou inaccessibles. Vraiment, il faut leur exprimer notre reconnaissance.
La crise actuelle doit nous conduire à repenser la chaîne d’approvisionnement logistique. Il n’est pas question de fermer des frontières ou de procéder à un repli sur soi mais simplement de se montrer cohérents.
K. D. : À mes yeux, et à titre d’exemple, l’intervention d’un opérateur du nord de la France sera plus légitime pour livrer des marchandises dans sa région ou au Benelux plutôt qu’en Occitanie. De même, un transporteur tchèque pourra davantage rayonner à l’intérieur de ses frontières, à l’est de l’Allemagne ou en Autriche plutôt qu’en Bretagne… Cette crise nous pousse à repenser notre paradigme sur cette transition écologique, laquelle va nous inciter à penser la relocalisation des activités industrielles, une idée qui aura un impact bénéfique sur le fonctionnement de la chaîne logistique. Je pense à des secteurs comme l’agroalimentaire ou l’agriculture locale. La crise doit en outre nous pousser à envisager un équilibre entre un marché ouvert et la pertinence écologique.
K. D. : Gouverner, c’est prévoir. Mais c’est également réentreprendre, il me semble. Personne n’a vu arriver cette crise d’une violence inouïe… Depuis plusieurs années, les écologistes militent pour une refonte complète de notre système. Je pense qu’il faut absolument remettre l’humain et la planète au cœur de tout. La question des flux tendus pour les services vitaux et primordiaux se réglera ainsi d’elle-même.
Nous devons envisager la mondialisation autrement. Les choix qui ont été faits – comme les traités de libre-échange – doivent nous conduire à dresser le constat que nous sommes allés beaucoup trop loin dans la mondialisation.
K. D. : Cela renvoie aux questions des avantages de la proximité avec son corollaire de bonnes pratiques en matière d’écologie, comme je l’évoquais plus haut. Il s’agit de repenser la chaîne logistique de la ferme à l’assiette, de la matière première à l’utilisation finale. C’est le bon sens qui doit l’emporter. Il n’est pas question de tomber dans des postures de repli sur soi mais simplement il convient que l’Europe devienne cohérente.
K. D. : Il me semble que l’une des grandes leçons qui va émerger sera la relocalisation, la nécessité de se concentrer sur le local. On ne peut pas fermer les yeux sur les questions environnementales ou sociales – comme le dumping social – générées par la mondialisation. Il me paraît essentiel de se pencher sur la question d’un transport de marchandises plus propre, du renouvellement des flottes, de la réduction des distances parcourues. Il me semble nécessaire également de se projeter sur le report modal, qui doit être l’une des pierres angulaires de l’après-coronavirus. Penser le fret sous le prisme du transport combiné est une vraie alternative.
K. D. : Je vais demain (mardi 5 mai, Ndlr) recevoir l’ensemble des opérateurs européens du fret ferroviaire. Je pense que c’est l’occasion de montrer à quel point il nous faut un objectif concret de relance du fret ferroviaire. Nous évoluons aujourd’hui dans un green deal qui n’a absolument pas chiffré la question des transports. Je rappelle que les transports pèsent 30 % des gaz à effet de serre. Je crois que pour y répondre le train constituera l’un des leviers d’action. Mon objectif est de voir le fret ferroviaire représenter 30 % des flux de marchandises transportées partout en Europe d’ici à 2030. Le routier et le maritime doivent montrer que la chaîne logistique demeure une préoccupation collective.
K. D. : C’est la route parce que ce mode ne supporte pas véritablement de fiscalité écologique. C’est la raison pour laquelle nous allons remettre sur la table la question d’une redevance poids lourds européenne. Cette redevance est déjà une réalité dans nombre de pays européens mais pas en France. Notre problème, c’est que nos transporteurs payent une redevance poids lourds lorsqu’ils se rendent en Allemagne ou en Belgique. Lorsque des transporteurs européens se rendent en France, ils ne paient rien, ce qui crée un déséquilibre. Cette situation ne peut pas durer. Le Parlement européen avait déjà acté le principe d’une redevance poids lourds alors que la Commission s’apprête à mettre en place, d’ici la fin de l’année, une formule de redevance qui sera plus contraignante.
K. D. : : Mon but est que l’ensemble des recettes générées par cette redevance aille au fret ferroviaire, à la mobilité urbaine durable, à la sécurisation des routes. Une partie des recettes ira également à un fonds d’adaptation destiné aux petites entreprises du TRM. Il est hors de question de laisser ces acteurs sur le bord de la route : nous souhaitons les accompagner dans la transition écologique.
K. D. : La redevance poids lourds ne sera plus basée sur le temps mais sur le nombre de kilomètres parcourus. Nous mettrons en application le principe « pollueur-payeur » partout en Europe. Nous allons également prendre en compte les externalités (position, CO2, etc.). Notre volonté est que le texte soit examiné avant la fin de l’année au Parlement.
K. D. : Nous avons bouclé la première lecture du paquet Mobilité avec ses trois volets : détachement du travailleur, cabotage, temps de travail et de repos. Nous allons passer à la seconde lecture de ce paquet en commission (au Parlement) en juin, puis en plénière en juillet. Ne resteront plus que les négociations en Conseil des ministres.
Il reste à régler quelques questions techniques comme le retour du camion dans le pays d’origine. C’est pour nous une ligne rouge. Nous n’allons pas revenir non plus sur l’encadrement du cabotage, ni sur le recours au tachygraphe intelligent ou la question des véhicules légers. Ce sont autant de lignes rouges car, au Parlement européen, nous considérons que les routiers ne sont pas des salariés de seconde zone et qu’ils ont droit à de meilleures conditions de travail.
Il s’agit de réduire voire d’interrompre le dumping social entre les uns et les autres. Il va falloir se battre et comprendre que notre but est également d’améliorer les conditions de travail des salariés des pays de l’Est.
K. D. : Je salue cette initiative mais j’estime qu’elle n’aura plus de raison d’être dès que le texte sur le cabotage que nous portons – il est exigeant et je fais de mon mieux pour en accélérer la procédure d’adoption – sera mis en application.