Le rééquibrage en faveur du rail n'entamera pas la part de la route

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La « mouvance bucolique » a refermé les grands dossiers d'infrastructures routières et, au jeu de l'alternance, les partisans du ferroviaire ont remplacé les adeptes du « tout-routier ». Un mouvement de balancier qui ne fait pas avancer les dossiers d'infrastructures. Et quand le discours politique va à l'encontre des réalités économiques, des mises en garde s'élèvent de toutes parts.

Pour l'Union Routière de France, le prochain redémarrage des travaux qui permettront de boucler l'autoroute A86 à la hauteur de Versailles apporte une note d'optimisme car, en France, depuis plusieurs années, les grands programmes d'infrastructures terrestres - mis à part l'extension du réseau ferré à grande vitesse - paraissaient en panne. Christian Gérondeau, délégué général, souhaite que cette réalisation ne reste pas un cas isolé et que le Congrès mondial de la route qui doit se tenir à Paris, en juin 2001, ait « l'ambition de marquer le début du nouveau millénaire dans le domaine de la politique des transports, comme son prédécesseur de 1908 - qui s'était également tenu à Paris - avait marqué celui du siècle écoulé... »

Une relance de la politique d'aménagement du territoire paraît, en effet, plus que nécessaire. Absence de moyens, faute de consensus politique, pression des milieux écologistes, nécessité de coordination avec les projets européens, sont les principales raisons qui ont provoqué la mise en berne de plusieurs grands projets.

Dilution du consensus politique

Gaston Bessay, vice-président du Conseil National des Transports, constate, pour sa part, « qu'aucune politique d'aménagement du territoire n'a été effectivement mise en oeuvre depuis 15 ans ». « Chaque nouvelle majorité politique a défini, fait voter par le Parlement une loi sur l'aménagement du territoire... que la majorité suivante s'est empressée de remettre en cause avant même un début d'application », note-t-il. Et de rappeler que « les schémas directeurs des années quatre-vingt n'ont pas été appliqués, que les cinq schémas modaux prévus par la loi Pasqua n'ont jamais vu le jour ». Une opinion que l'on nuance à la Délégation pour l'Aménagement du Territoire et de l'Action Régionale (Datar) où, si l'on ne nie pas les effets de « dilution du consensus », on rappelle néanmoins que la programmation n'est pas synonyme d'engagements. « Les schémas directeurs sont des exercices qui proposent des visions à long terme, des lignes directrices susceptibles d'évoluer en fonction de retournements économiques, notamment. L'inscription d'un projet dans une programmation ne vaut pas déclaration d'utilité publique. Quant à la première loi d'aménagement du territoire, elle remonte à 1995 et elle est toujours en vigueur. Et le schéma autoroutier est fixé pour 20 ans... »

Pourtant, en juin 1997, quand « la mouvance bucolique » raillée par Philippe Seguin entre au gouvernement, elle envoie à la casse 14 projets, autoroutes, tunnels, aéroports, Super Phénix et Rhin-Rhône.

La sortie du tunnel ?

Seuls subsistent aujourd'hui, les projets inscrits dans les prochains contrats de plan Etat-Région pour la période 2000-2006 validés par le comité interministériel d'Aménagement du territoire qui s'est réuni à Arles le 23 juillet. « A cette occasion, fait-on remarquer à la Datar, le projet de l'A89, bien qu'il ait été précédemment annulé, a été approuvé et la concertation autour de l'A51 a été relancée. 30 articles sur les 90 que comportaient la loi Pasqua devraient être repris dans le cadre des schémas de transport ».

Certes. Mais, « à côté de l'enveloppe importante dédiée aux routes, les crédits consacrés aux autres modes de transport terrestres et au développement de l'intermodalité ont été sensiblement augmentés », fait remarquer Hubert du Mesnil, dans la Lettre de la Direction des Transports Terrestres dont il est le directeur, soulignant ainsi la tonalité fortement ferroviaire des orientations qui constitueront l'ossature du programme pour les 6 années à venir.

A ce programme et dès qu'ils seront élaborés, viendront s'ajouter les schémas multimodaux de services pour le transport de voyageurs et de marchandises prévus par la loi Voynet qui a été adoptée le 25 juin 1999.

Le prochain comité interministériel d'Aménagement du territoire devrait avoir communication des tendances qui se dégagent des besoins émanant des régions. Pour sa part, le Conseil National des Transports avait été chargé de mettre en place un groupe de réflexion, qu'anime Jean-Claude Berthod, président du Comité de Liaison des Transports et de la Logistique, « pour présenter des recommandations - et surtout des mises en garde - afin que le gouvernement puisse procéder aux arbitrages parmi ces propositions ».

Parallèlement, une loi d'orientation poétiquement appelée « Solidarité et renouvellement urbains » envisage les modalités d'accueil des marchandises dans les agglomérations et certains PDU ou autres CDU (plans de déplacements urbains et centres de distributions urbaines) commencent à faire grincer des dents les opérateurs de transport dont les activités se voient systématiquement rejetées hors des villes sans le moindre discernement.

Chiffres à l'appui

Pendant ce temps, on prévoit un doublement des trafics routiers à l'horizon 2015. Une échéance qui finit par se rapprocher alors que la seule solution proposée consiste à vouloir transférer l'excédent de trafic sur d'autres modes, moins polluants et moins dispendieux. Mieux qu'un long discours, les tableaux d'évolution des trafics qui illustrent cette enquête témoignent des aléas de la démarche, incessamment rappelés par les organisations professionnelles (FNTR, Unostra, TLF), y compris par les associations de chargeurs.

En dehors de tout discours philosophique qui opposerait la route et le rail, les statistiques démontrent que les tendances sont lourdes et qu'il sera difficile de les inverser.

Qui peut prétendre, en effet, que le rail peut remplacer la route quand la pertinence du transport ferroviaire par trains entiers ou wagons isolés apparaît respectivement à 320 km et 435 km alors que la distance moyenne parcourue par un véhicule de distribution est de 42 km.

Si, comme le prétend l'actuel ministre des Transports, le rail peut doubler son trafic d'ici 10 ans, mais que, pour cela, il faut renforcer ses infrastructures, améliorer sa productivité et sa fiabilité, les pouvoirs publics devront également poursuivre leurs investissements dans des infrastructures routières pour faire face à une augmentation des trafics inéluctable... que le rail sera incapable d'assumer.

Tous les experts sont d'accord : la priorité donnée au transport ferroviaire n'entraînera pas le déclin du transport routier. Lors d'un colloque qui se déroulait, en février, à l'Assemblée nationale sur le thème « Politique routière : quelle logique de développement ? » le professeur Rémy Prud'homme de l'Université Paris XII constatait que la route était devenue le mode dominant en assurant, en valeur, 95 % du transport terrestre de marchandises. « Ceci ne s'est pas produit à cause d'une politique pro-routière, mais en dépit de politiques de transport pro-rail. » Et de rappeler que le rail recevait chaque année 60 milliards de subventions quand on prélève 100 milliards sur la route.

« Le montant de la subvention que l'on verse à la SNCF suffirait à construire les 1 000 kilomètres d'autoroutes qui nous manquent », soulignait Jacques Oudin, sénateur de Vendée.

La route répond aux besoins de l'économie moderne en terme de rapidité, de fiabilité et de compétitivité, déclarait Georges Drouin, président d'honneur de Transport et Logistique de France pour expliquer la position dominante de ce mode et accusait l'Etat « de faire du machiavélisme sous couvert de malthusianisme en réduisant le budget des routes ». La part de l'Etat dans les investissements routiers est passée de 56 % à 19 %, notait, quant à lui, Jean-Pierre Balligand, député de l'Aisne.

Par ailleurs, freiner les investissements routiers est préjudiciable à certaines zones, car le maillage actuel est inéquitable et des Régions restent encore enclavées soulignait Marie-Françoise Pérol-Dumont, député de Haute-Vienne. Elles ne cessent de s'en plaindre et c'est cette expression d'insatisfaction qui transparaît dans les remontées des consultations qui devaient préluder l'élaboration des schémas de transport. Ces investissements paraissent d'autant plus indispensables que les estimations laissent entrevoir une augmentation de la part routière de 2,3 % par an, soit 64 % d'augmentation en 2020.

Dés lors, on peut comprendre que les pays d'Europe, sous la menace de cette inflation de trafic à des degrés divers, cherchent des palliatifs. Mais, les projections effectuées par le Service Economique et Statistiques sur l'évolution de la demande au cours des 20 prochaines années laissent perplexes quant à l'efficacité des solutions envisagées. Dans un scénario « catastrophe » qui consisterait à augmenter le prix du gazole de 5 % par an, en francs constants, pour le faire converger vers celui de l'essence en 2020, soit 13 F le litre (valeur 1996), si l'on ramenait la durée de travail des conducteurs à 160 heures au lieu de 200 et si, parallèlement, le prix du transport ferroviaire baissait de 10 %, malgré une augmentation des prix routiers de 64 % en 20 ans (143 % pour le carburant), la progression du transport routier se situerait encore entre 1,7 % et 1,9 % par an. Si les infrastructures ne suivent pas, bonjour les embouteillages

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