Une flotte de 54 000 poids lourds fonctionnant au gaz naturel à l’horizon 2028. C’est l’un des objectifs énergétiques de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Mais, sur le terrain, deux principaux freins peuvent rebuter les transporteurs : des véhicules plus coûteux que leurs homologues diesel et l’insuffisance du réseau d’avitaillement. Diverses initiatives tentent de les convaincre.
Pour continuer à gommer le surcoût d’acquisition (estimé entre 30 000 et 40 000 euros par véhicule), certains territoires apportent un soutien aux transporteurs qui optent pour la solution GNV et sa variante renouvelable, le bioGNV. Les Régions proposent ainsi des aides spécifiques à l’acquisition de véhicules. C’est le cas en Auvergne-Rhône-Alpes avec un premier appel à projets GNVolont’air. Parmi les transporteurs du territoire à en avoir bénéficié, citons les Transports Mégevand (30 collaborateurs – 18 moteurs – 3,8 M€ de chiffre d’affaires), à Sillingy, qui ont reçu une aide de 48 000 euros pour l’acquisition de trois camions GNV. C’est en avril 2015 que les premiers véhicules de ce type ont pris la route. Aujourd’hui, 45 % du parc roulent au gaz (50 % au GNC et l’autre moitié au GNL) alors qu’un neuvième camion est en phase d’acquisition. Prochaine étape : le bioGNV avec l’objectif de convertir 25 % de la consommation en 2021. Si cet appel à projet est à présent clos depuis le 1er octobre, il faut savoir que la région a lancé, en juin et pour un an, un nouvel AAP baptisé « GNVolont’Air territoires ». Cette fois-ci, le montant de l’aide à l’acquisition de véhicule est calculé soit au forfait soit avec une aide au surcoût des véhicules. Un exemple : l’aide atteint 3 500 euros pour l’achat d’un poids lourd supérieur à 7 tonnes si le bénéficiaire ne s’engage par sur du bioGNV. Dans le cas contraire, cette aide est basée sur le surcoût d’un véhicule gaz par rapport à son équivalent thermique, en fonction de la taille de l’entreprise avec un taux d’intervention fixé à 45 % pour les PME et à 35 % pour les grandes entreprises. À noter toutefois que les véhicules subventionnés devront s’avitailler principalement à l’une des stations construites dans le cadre de cet AAP, toujours en Auvergne-Rhône-Alpes. Alors que la zone à faibles émissions (ZFE) du Grand Lyon est entrée en vigueur depuis le 1er janvier, la métropole lyonnaise propose jusqu’en 2021 des aides à l’acquisition de poids lourds supérieurs à 3,5 tonnes, cumulables avec celles de l’État, utilisant une motorisation 100 % GNV-GNL (10 000 euros), 100 % électrique (10 000 euros) ou 100 % hydrogène (13 000 euros), neufs ou d’occasion. À une centaine de kilomètres de là, les transporteurs dont le siège est domicilié dans la métropole grenobloise ne sont pas en reste. L’aide qui s’adresse aux TPE de moins de 10 salariés et aux PME de moins de 250 salariés varie de 1 500 euros pour un véhicule de moins de 3,5 tonnes à 1 000 euros pour un poids lourd supérieur à 7 tonnes.
Autre territoire à avoir mis en place des mécanismes d’accompagnement : la Nouvelle-Aquitaine. L’aide régionale est aussi basée sur le surcoût à l’acquisition d’un véhicule GNC par rapport à un même véhicule diesel Euro VI, avec ici un taux de 50 % pour les PME et 40 % pour les grandes entreprises. Par exemple, si le surcoût est de 20 000 euros, une PME peut percevoir un coup de pouce financier de 10 000 euros et une grande entreprise 8 000 euros. Le transporteur doit s’engager à s’approvisionner a minima pendant trois ans en bioGNV sur une station existante ou à venir.
De leur côté, les Pays de la Loire expérimentent l’effet de levier d’une aide forfaitaire à l’acquisition de véhicules GNV. La somme de 10 000 euros par camion est offerte aux transporteurs convertissant tout ou partie de leur flotte ; 80 000 euros sont déjà engagés pour accompagner quatre transporteurs régionaux : Idea Transport (44), Transports Jouve (44), BPFM (49) et Transports Brangeon (49).
Il existe également un dispositif parisien destiné aux entreprises enregistrées à Paris, dans le Val-de-Marne, en Seine-Saint-Denis ou dans les Hauts-de-Seine et réservé notamment aux TPE-PME (jusqu’à 50 salariés) : jusqu’à 9 000 euros pour un poids lourd électrique, hydrogène ou GNV supérieur à 3,5 tonnes.
Pour rouler au gaz, encore faut-il pouvoir s’avitailler ! Même si l’épidémie du Covid-19 a retardé certains projets, les stations d’avitaillement continuent de fleurir partout en France. Une carte est d’ailleurs disponible sur le portail Open Data de l’AFGNV (Association française du gaz naturel véhicule) qui répertorie (à la mi-septembre) 155 points d’avitaillement publics en service (40 stations GNL et 115 GNC). Diverses initiatives visent à faire émerger des stations sur le territoire. En témoigne une pléthore d’appels à projets. En Auvergne-Rhône-Alpes, le projet GN Volont’air 1, vient de s’achever et semble porter ses fruits avec huit stations ouvertes sur les 12 prévues et la mise en circulation de 62 poids lourds pour le transport de marchandises. Le nouvel APP GNVolont’air territoires est destiné à faire émerger une dizaine de stations territoriales et à favoriser l’utilisation du bioGNV. « Mettre les transporteurs au centre du développement des nouvelles énergies », c’est l’objectif affiché, de son côté, par Gaz’Up, selon son cofondateur Arnaud Bilek. Née en 2015 à Montauban, cette organisation fédère une vingtaine de transporteurs actionnaires (Transports Picq & Charbonnier, Rouillé & Coulon, Houtch Transports, SDTL, etc.) impliqués dans le déploiement des stations d’avitaillement, « dimensionnées en fonction des besoins et de la maturité des territoires ». Depuis 2017 et la première station à Auxerre (chez Picq & Charbonnier), le modèle s’est exporté sur le MIN de Toulouse et à Saint-Quentin (Aisne). En 2021, le réseau comptera sept nouvelles stations (Le Coudray-Montceaux, Périgueux, Rodez, Avallon, Digoin, Langon et Auriac), avec l’objectif d’en ouvrir 25 autres d’ici à 2025.
En Occitanie, où 22 stations devraient être opérationnelles d’ici fin 2020 (10 prévues en 2021), une cinquantaine d’acteurs du transport routier se sont rassemblés dans le cluster TransTen, depuis 2018, pour notamment contribuer au déploiement du réseau et promouvoir le biogaz (création d’un logo avec GRDF).
La Région Nouvelle-Aquitaine, qui entend bien profiter de ses richesses se projette sur un scénario 100 % gaz vert d’ici à 2050. À ce titre, elle développe le réseau de stations bioGNV en subventionnant une part de l’investissement. Le financement s’appuie sur les surcoûts par rapport à une station conventionnelle, avec des taux d’aide pouvant aller de 40 % de ces surcoûts pour les grandes entreprises à 60 % pour les petites entreprises. En contrepartie, le bénéficiaire s’engage à vendre le bioGNC au prix du GNC pendant 36 à 48 mois suivant l’ouverture de la station aux transporteurs, qui s’engagent contractuellement au démarrage de la station. Les déploiements s’organisent également en Bretagne. Le projet régional Bretagne Mobilité prévoit la création de neuf stations GNV et la mise en circulation de 180 poids lourds au gaz naturel. Le territoire voisin des Pays de la Loire a également des objectifs ambitieux pour la méthanisation : couvrir 30 % de sa consommation de gaz en biogaz d’ici à 2030. Au programme : l’implantation de 19 stations d’avitaillement cette année et de 86 à horizon 2030. Si ce calendrier a pris un peu de retard (12 stations en service) la dynamique est lancée et quelque 200 poids lourds au gaz naturel seraient d’ores et déjà en circulation. Le lancement du tout jeune club BioGNV Pays de la Loire est là pour en témoigner. Porté par le cluster Méthatlantique, il a pour mission d’accompagner le développement du biométhane carburant dans la région en fédérant une quarantaine d’acteurs précurseurs de cette nouvelle filière… mais encore aucun transporteur. Et si vous souhaitez vous lancer dans l’acquisition d’une station privée, comme les Transports Mégevand, qui ont injecté 100 000 euros dans un tel équipement puis 35 000 euros pour doubler sa capacité de compression, sachez qu’Arkéa vient de lancer, en partenariat avec Proviridis, une offre de financement locatif pour financer une station privative en crédit-bail, d’un montant compris entre 100 K€ à 1 M€. Sur une durée de cinq à sept ans, la valeur de rachat est de 10 % et de 1 % sur huit à dix ans. Alors que la France veut appuyer sur l’accélérateur en matière d’hydrogène via son plan de relance économique présenté début septembre (2 Md€ au cours des deux prochaines années), la filière se structure doucement. Citons une nouvelle fois la Région Auvergne-Rhône-Alpes, qui entend devenir le premier territoire à hydrogène en Europe avec son projet Zero Emission Valley qui financera l’installation de 20 stations – la première a été inaugurée en février à Chambéry – et le déploiement de 1 000 véhicules. En Provence–Alpes-Côte d’Azur, le déploiement est également lancé avec l’appui du Club Hydrogène qui regroupe une cinquantaine d’entreprises, des laboratoires et institutions. C’est d’ailleurs à Fos-sur-Mer que la première station européenne pour poids lourds va ouvrir début 2022 (projet européen HyAMMED). D’une capacité d’avitaillement d’une tonne par jour, elle permettra d’avitailler quotidiennement jusqu’à 20 camions électriques équipés de piles à combustible H2 pour l’acheminement longue distance de marchandises. Les Pays de la Loire se lancent eux dans l’hydrogène écologique (projet H2Ouest retenu en janvier 2020 par l’Ademe dans le cadre de l’appel à projets Écosystèmes de mobilité hydrogène). C’est le port du Bec, en Vendée, qui accueillira le site de production, dont la pose de la première pierre a eu lieu fin septembre. On y fabriquera de l’hydrogène à partir de l’électricité fournie par les éoliennes proches du site et de l’eau de mer puisée à proximité. Le site livrera ses premiers kilos d’hydrogène vert aux villes de La Roche-sur-Yon et du Mans courant 2021. L’Occitanie (quatre stations opérationnelles) se mobilise, elle aussi, pour l’émergence de la filière hydrogène via un plan de soutien de 150 M€ sur la période 2019-2030. Une série de projets innovants émergent ici, dont celui baptisé « Corridor H2 », en structuration. Objectif : créer les bases d’un couloir européen nord-sud zéro émission, destiné au transport routier, en utilisant l’énergie de l’hydrogène produit à partir de sources renouvelables. Un premier échelon de maillage de stations hydrogène, ciblant une douzaine d’installations, doit permettre de recharger sur – ou au plus près des grands axes de transport, une flotte de camions frigorifiques utilisant des piles à hydrogène pour l’alimentation des groupes froids. À noter qu’il existe aussi un dispositif régional d’accompagnement au déploiement de véhicules utilisant l’hydrogène, à hauteur de 50 % du surcoût.
Au-delà des éventuelles aides à l’acquisition, les professionnels qui choisissent un carburant alternatif bénéficient aussi d’avantages fiscaux avec, en premier lieu, le gel du taux de la TICGN (remplaçante de la TICPE pour le GNV) jusqu’en 2022 à un niveau de 5,23 €/MWh, ce qui correspond à 0,075 €/kg pour le GNV (vs 0,59 €/l pour le diesel). Le mécanisme de suramortissement (pour compenser le surcoût à l’achat des véhicules fonctionnant au gaz naturel par rapport à des équivalents diesel) est, quant à lui, garanti jusqu’en 2021 : 20 % pour les véhicules d’un PTAC de 2,6 à 3,5 tonnes ; de 60 % de 3,5 à 16 t ; et de 40 % de 16 t et plus. Autre avantage : une exonération partielle ou totale de la carte grise, selon les Régions. Enfin, le GNV est un véritable sésame pour circuler librement dans les Zones à faibles émissions, dont le nombre ne cesse de se multiplier (Paris, Grenoble, Strasbourg, Lyon). Rouler au gaz peut aussi être un atout sur les routes européennes. Alors que le gouvernement fédéral allemand a acté la reconduction jusqu’à fin 2023 de l’exonération de péage pour les camions fonctionnant au gaz naturel, l’Italie lui emboîte le pas à plus petite échelle avec une remise de 30 % sur les péages autoroutiers (A35 et A58) à destination des camions alimentés au GNL.
Les mesures de soutien à l’investissement ne manquent donc pas. Plus les transporteurs seront nombreux à passer aux motorisations alternatives, plus les stations se multiplieront et plus l’offre des constructeurs se développera. À moins que ce ne soit l’inverse ?