L’art délicat d’assurer sa flotte sans se ruiner

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Dans un contexte fébrile d’augmentation des prix, face au refus de certaines compagnies des transporteurs de travailler avec le secteur, assurer sa flotte s’apparente parfois à un parcours du combattant… Mais des plus petites aux plus grandes, les entreprises affinent leurs stratégies.

Compliqué d’assurer sa flotte ? Depuis cinq ou six ans, en particulier depuis la période post-Covid, les prix des primes d’assurance ont augmenté dans des proportions importantes, certaines compagnies se désengageant même du secteur routier. « Historiquement, c’est une branche qui n’a jamais été très appréciée des assureurs, puisqu’elle regroupe des risques peu maîtrisés, souligne Axel Morvant, du cabinet de courtage en assurance éponyme, spécialisé dans le transport (voir interview page 20). Surtout depuis quelques années, car les dommages augmentent, notamment les sinistres corporels. Or, c’est la hantise des compagnies, car les montants peuvent être considérables et complexes à appréhender. »

5 à 20 % de hausse des primes

L’augmentation du coût des primes, de l’ordre de 5 à 6 %, voire de 10 à 20 % cette année selon les observateurs, s’explique également par l’inflation, notamment la hausse des prix des véhicules. Mais la fréquence des incidents apparaît comme un facteur clé des tensions autour de l’assurance du transport, des flottes en particulier, qui se traduit aussi par un désengagement de nombreuses compagnies, voire par la résiliation de certains contrats.

« Il reste quelques grands acteurs comme AXA, la MMA, SMA ou Aeras, et plusieurs autres compagnies très spécialisées, confirme Christian Schmitt, consultant du cabinet de conseil en audit d’assurance et gestion des risques Risk Partenaires (voir interview page 16). Mais le marché de plus en plus étroit limite notamment la possibilité de faire jouer la concurrence. D’autre part, nous sommes depuis quelque temps de plus en plus sollicités pour aider les transporteurs à se réassurer suite à des résiliations ou des menaces de résiliation. »

Problème, poursuit le conseiller, de leur côté, « les opérateurs se positionnent sur des conditions de plus en plus draconiennes, exigeant des dossiers où il n’y a pas trop de sinistres, des actions de prévention mieux coordonnées… Quand il y a des sinistres corporels, les rapports sinistres/primes sont souvent déficitaires ».

Courtier historique

Dans ce contexte, quelle peut être la stratégie pour les transporteurs ? En Alsace, Angélique Vogler, gérante de Voglertrans, dont 8 % des frais globaux concernent l’assurance, a bien relevé une augmentation de 12 % des prix de ses contrats entre 2021 et 2022. Pour elle, qui a une petite dizaine de véhicules exceptionnels à assurer, « il est essentiel de travailler avec un courtier qui nous connaît depuis longtemps, qui nous donne des éléments de compréhension du marché et de nos propres véhicules. Notre dossier de sinistralité n’est pas très conséquent, mais nous avons des véhicules très particuliers. Pour notre camion grue mis en circulation l’année dernière, par exemple, il nous a fallu six mois avant de trouver le bon contrat… » La transporteure avait en effet besoin d’une garantie plus large que le simple transport et qui s’adapte également selon les chantiers, car la garantie n’est pas la même dans le cas d’une opération de levage simple ou de levage consécutive à un transport.

Autre « sujet sensible » pour Richard et Grégoire Panon, dirigeants d’Orléans-Transports (une cinquantaine de véhicules, du VL au porteur) : le transport du dernier kilomètre, qu’ils ont beaucoup développé ces dix dernières années, en particulier pour leurs clients dans la cosmétique. « Le nombre plus élevé de petits incidents, plus fréquents que sur la longue distance, nous a notamment conduits à revoir notre politique d’assurance depuis 2020 », explique Richard Panon. Au moment de la Covid-19, alors que le poste assurances représente environ 135 000 euros (au global : partie flotte, responsabilité civile et multirisques), soit environ 2 % du chiffre d’affaires, les deux frères mettent en concurrence leur courtier historique et un nouveau, qu’ils retiennent.

« Lorsque l’on ne change pas, ajoute Grégoire Panon, le contrat augmente naturellement chaque année de 1 à 2 %. Changer redynamise le contrat. » Cependant, poursuit Richard Panon, « les deux courtiers ne pouvant consulter les mêmes assureurs, nous nous sommes rendu compte de l’étroitesse du marché pour l’assurance de la flotte, qui représente 90 % de notre poste assurances. Nous avons consulté quatre gros faiseurs sur de l’assurance flottes. Et ils sont très exigeants : au-delà de 60 % de la prime, on s’expose à une augmentation l’année suivante ou à se faire exclure ». Résultat de leur opération, les dirigeants affichent en 2021 un gain sur leur contrat. Grâce à un montage en conservation d’une partie de leur prime, ils ont réduit les taxes, sortant également la rémunération du courtier du montant de la prime. Et, en parallèle, en interne, ils instaurent des reportings d’incidents réguliers. « Il y a dix ans, nous n’avions quasiment pas cette sinistralité, remarque Grégoire Panon. Mais il faut suivre la tendance, connaître plus finement la sinistralité et sensibiliser les conducteurs, en particulier ceux de VL, plus jeunes et moins prudents. » Angélique Vogler explique aussi, en interne, miser sur l’expertise des conducteurs, ajoutant aux formations obligatoires une formation régulière à la conduite dans des situations particulières et misant sur un dialogue quotidien que permet la taille de l’entreprise.

Long term agreement

Les actions de prévention font aussi partie de la politique assurantielle au sein du Groupe Blondel qui emploie 3 000 salariés, possède 1 800 moteurs et regroupe pas moins de 3 500 « cartes vertes » pour les camions mais aussi les divers engins. Car, si la taille de l’entreprise permet de mutualiser et de maîtriser les risques et leurs coûts, « le poste assurance sur la flotte représente quelque deux millions d’euros, indique Caroline Templier, responsable juridique et assurances, et il a enregistré une hausse comprise entre 30 à 40 % sur les deux dernières années ». Cependant, complète la responsable, « notre courtier, qui nous alerte depuis plusieurs années sur le désengagement des compagnies, nous a permis de négocier un Long term agreement (LTA), avec un accord sur deux ans pour la flotte, qui nous dégage des orientations trop brusques du marché. Et on peut également négocier pour ne pas être résilié, ce qui est aujourd’hui un réel danger pour les transporteurs ».

Pour elle, il est essentiel de solliciter un courtier spécialisé dans le transport, mais aussi de mettre en place une politique globale en interne, avec de bons matériels de sécurité, un dialogue avec les conducteurs ou encore des analyses des sinistres évitables. Parallèlement, il faut un vrai partenariat et un dialogue avec son courtier, sans attendre le renouvellement du contrat. « C’est un travail dans la transparence qui permet d’analyser finement les incidents, de cerner les flux sujets à une fréquence plus élevée de sinistralité, comme le transport urbain… Pour mieux prévenir les risques », pointe Caroline Templier.

S’auto-assurer pour limiter la fréquence

Autre champ d’action, Caroline Templier observe que « le fait d’être un groupe a aidé à faire évoluer cette stratégie pour renforcer petit à petit la part de l’auto-assurance. Le différentiel de primes va permettre de gérer les sinistres en interne. Dès le rachat de Citra, en 2016, qui a fait entrer l’entreprise dans une autre dimension, nous avons commencé à réserver l’assurance tous risques pour les véhicules de moins de deux ans. Pour les plus de deux ans, nous n’assurions ainsi plus les simples bris de glace, que nous gérions en interne. On sollicite ainsi moins l’intervention de l’assurance et on contient l’évolution de la prime d’assurance. Les sinistres d’aujourd’hui font la prime de demain. Or, l’assurance n’est pas un chèque en blanc, elle est là pour couvrir le gros sinistre ».

Même combat à Orléans-Transports qui, après une année sans augmentation en 2022, a enregistré une hausse de 13 et 15 % en 2023, liés à l’accélération de la sinistralité sur les métiers du dernier kilomètre. « C’est vraiment un poste que l’on observe en essayant de réfléchir finement, avec l’aide d’un conseiller qui travaille avec notre groupement Tred Union, Risk Partenaires, note Richard Panon. On ne va pas systématiquement tout déclarer, les bris de glace ou de machine, mais analyser la répercussion d’un sinistre sur le contrat au fil du temps, et plus seulement à l’heure de la négociation du contrat. » Les deux dirigeants s’orientent vers un suivi régulier, par trimestre, de la sinistralité. « L’auto-assurance est une option de plus en plus pertinente, sur ce marché de plus en plus centralisé », relève Grégoire Panon.

Enfin, il y a des enjeux nouveaux. Caroline Templier cite notamment « la responsabilité civile environnement, pour des sinistres liés à la pollution, en cas de déversement dans un cours d’eau par exemple, et la cybersécurité. Et les cahiers des charges de nos donneurs d’ordres exigent de plus en plus une assurance cyber… Nous nous étions assurés dès 2019 et nous avons réactivé cette assurance cette année, avec un contrat cinq fois plus cher ».

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