“La transition énergétique est un processus, il faut un chemin”

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Transition énergétique, TICPE, bonus-malus… À l’occasion du Congrès de la FNTR, Florence Berthelot, déléguée générale, aborde les diverses problématiques rencontrées par le secteur en cette rentrée.
La table ronde du congrès porte sur la transition énergétique. Comment voyez-vous l’approche portée par le Gouvernement sur le sujet ?

Florence Berthelot : La France a adopté une position unique en mettant la sobriété au cœur du sujet alors que les directives européennes évoquent l’efficacité énergétique. Elle avait été envisagée de manière conjoncturelle, suite notamment à la guerre en Ukraine. Mais la France en fait un de ses leviers pour la décarbonisation. Il y aurait alors deux solutions : soit le report modal, qui fait partie de nos pistes pour la décarbonation, mais il ne peut pas s’appliquer à tous les flux. Soit on fait moins appel au transport en général. On arrive alors à une logique de décroissance. Est-on prêt à cela ? Il y a aussi la question du financement. La feuille de route a estimé un surcoût à horizon 2040 de 53 milliards d’euros, et ce n’est pas la fourchette la plus haute ! Les camions et les énergies sont plus chers, les banques ne suivent pas, les taux sont très élevés… Les transporteurs, clairement, ne pourront pas assumer ce surcoût. Il faudra d’une part que le client paye et d’autre part déterminer comment la transition peut être planifiée financièrement, en fixant des objectifs réalistes. Ce sujet sera probablement un vrai combat, parce qu’il y a un vrai écart entre ce qu’estime la feuille de route – partagée avec les constructeurs, énergéticiens et les administrations – et les premiers chiffres que l’on a vu sortir sur la planification !

Le Gouvernement a fini par rétropédaler sur le rabot en 2024 sur le remboursement partiel de TICPE.

F. B. : Bruno Le Maire a fini par entendre nos argumentations. Nous étions déjà au 4e rang européen des pays les plus taxés et ce rabot sur le remboursement partiel nous aurait fait passer au premier rang. Que la France soit la première sur la transition énergétique, d’accord, mais à quel prix ? Le transport routier de marchandises a déjà perdu, il y a 30 ans, le marché international, on ne peut pas perdre également le marché intérieur ! Par ailleurs, les énergies, le matériel, les réseaux de recharge et d’avitaillement ne sont pas prêts. Ce n’est pas une question d’absence de volonté, les transporteurs sont très conscients des enjeux climatiques. La question est de savoir, concrètement, comment on fait… Pour atteindre zéro émission à 2040, le problème n’est pas l’objectif mais le calendrier qui est intenable. On nous met sur une technologie, l’électricité, qui ne sera peut-être pas la plus performante. Par ailleurs, à ces niveaux de surcoût, les plus petites entreprises, qui composent la grande majorité du secteur, ne peuvent pas payer, voire n’en ont pas l’usage. Car un camion électrique batterie est rentable en faisant moins de 200 km par jour. Sur la longue distance, c’est impossible.

En Alsace, la taxe sur le TRM devrait voir le jour le 1er janvier 2025. La Région Grand Est s’est de son côté portée volontaire pour expérimenter un dispositif d’éco-contribution pour le réseau routier national. Redoutez-vous un déploiement plus large et rapide de l’écotaxe régionale ?

F. B. : À partir de l’écotaxe alsacienne, chaque région va vouloir sa taxe sur les infrastructures. Si l’argent nous revenait après avoir payé, ce serait un moindre mal. L’écotaxe, prévue par la loi Climat, doit servir aux infrastructures routières. Mais les recettes ne sont jamais fléchées… Le projet de loi 4D prévoit aussi de laisser la possibilité aux régions de mettre en place des contributions sur des routes secondaires. Mais est-ce qu’elles vont bien les entretenir comme prévu par le projet de loi ? Par ailleurs, nous sommes en train de changer de paradigme dans l’approche fiscale, avec un paiement à l’usage qui remplace la contribution… Par cette méthode, issue des directives européennes, on se rend compte des injustices. L’entretien des routes et la transition énergétique sont l’affaire de tous. Or, les transporteurs doivent nécessairement utiliser la route pour leur activité et, par une taxe par l’usage, paieraient la très grande majorité de cette utilisation (ou entretien)…

Comment l’eurovignette s’intègre-t-elle au milieu de ces taxes ?

F. B. : L’Allemagne va augmenter sa « LKW-Maut » (taxe que le gouvernement allemand applique aux poids lourds de plus de 12 tonnes) du fait de l’intégration de la taxe carbone dans l’eurovignette. De notre côté, nous considérons que ce n’est pas le support pour la taxation carbone. La réforme de l’ETS est passée et s’appliquera en 2027. On devrait donc supprimer la taxation carbone dans l’eurovignette, car il y a un risque de double taxation… S’ajoute à cela la suppression de la ristourne sur la TICPE en 2030…

Avez-vous des retours d’adhérents qui ont investi dans des camions électriques ?

F. B. : Des entreprises de transport qui ont voulu s’équiper en électrique dans les zones rurales se sont heurtées à un obstacle : le gestionnaire d’infrastructures électriques ne pouvait pas tirer de lignes haute puissance jusqu’à l’entreprise… Cela supposerait que ces entreprises qui veulent utiliser l’électrique soient plus proches des villes, mais des municipalités ne veulent pas entendre parler d’implantation d’entreprises de transport et logistique. Si on est dans une logique de planification, il faut arrêter de raisonner en silos. Il faut raisonner urbanisme, bassin d’activité, bassin de vie. Le réseau est lié à ces éléments. Quant à la disponibilité d’électricité en quantité suffisante, avec la menace de coupure Ecowatt tout l’hiver dernier parce que l’on risquait de manquer d’électricité, et avec l’augmentation des factures d’électricité, on peut là aussi se demander si c’est vraiment la bonne solution… Peut-être à terme… Mais la transition énergétique est un processus, il faut un chemin. Et ne pas oublier le mix énergétique.

Qu’en est-il de l’hydrogène ?

F. B. : Plusieurs transporteurs sont intéressés, des expériences sont en train d’être menées. Mais les décideurs semblent indiquer que cette énergie ne sera pas pour la mobilité mais pour l’industrie, pour remplacer le gaz. L’hydrogène, surtout s’il est vert, nous paraît intéressant. Il paraît même moins lourd que les batteries nécessaires pour l’électricité. Mais, encore une fois, où le met-on dans la planification et avec quel accompagnement ?

Beaucoup de transporteurs se sont positionnés sur les biocarburants. La FNTR considère-t-elle cette énergie comme une réelle solution ?

F. B. : Cette énergie est d’autant plus importante qu’elle est vraiment vertueuse en matière de réduction des gaz à effet de serre et qu’elle permet à des petites entreprises de ne pas avoir à acheter des camions qui coûtent aux alentours de 32 000 euros. Elles peuvent garder leur camion diesel et, après une modification de la motorisation pour la rendre irréversible, le faire fonctionner exclusivement aux biocarburants. Si on décidait de développer une vraie filière de carburants décarbonés, ce serait un vrai premier pas dans la transition énergétique. Les objectifs sont ambitieux mais la politique pour y parvenir ne l’est pas. Nous avons l’impression que cette transition est gérée de manière pénurique. C’est-à-dire que les énergies alternatives, il y en a, mais pas pour tout le monde. Par exemple les cars, pour l’instant, restent au GNV parce que les solutions alternatives sont moins nombreuses. Les avions auraient un carburant décarboné, le SAF (XTL). On se dit que s’il peut être développé pour l’aviation, il devrait l’être également pour le transport routier… C’est un carburant plein d’avantages, qui entre dans une logique d’économie circulaire. Mais le TP en aurait aussi besoin car les engins qui vont sur les chantiers ne peuvent être à l’électricité, on ne peut pas installer de bornes sur les chantiers. Au final, on a donc l’impression que l’on aura l’électrique parce que les autres énergies alternatives seraient fléchées vers d’autres modes.

Quelle était la proposition de la FNTR au cours de la réunion des NAO du 14 septembre dernier ?

F. B. : Nous avons proposé une hausse de 4,2 % en linéaire. Nous avons considéré l’augmentation du Smic au 1er mai, qui avait rattrapé nos grilles. Et on essaie d’inclure la prochaine hausse du Smic, que l’on a estimée à + 2 %. Nous souhaitions donner de la visibilité aux salariés qui subissent aussi l’inflation. Nous souhaitions aussi pouvoir intégrer les hausses de coûts – si elles sont adoptées à temps – dans les notes de prévision du CNR prévues en novembre. Elles pourraient, ainsi, être intégrées dans les négociations tarifaires, comme cela avait été le cas l’année dernière. Les syndicats ont jugé les propositions insuffisantes. Nous allons voir si nous pouvons obtenir de nouveaux mandats pour de nouvelles propositions à présenter lors de la deuxième réunion prévue le 11 octobre. Nous ne voulons pas être en NAO permanentes, on voudrait pouvoir donner de la visibilité, enjamber autant que possible 2024, d’autant que nous avons de nombreux autres sujets à traiter.

Quels sont ces autres sujets sociaux et où en sont les discussions ?

F. B. : Nous n’avons pas vraiment de visibilité sur nos besoins actuels en recrutement. Nous avons l’impression que c’est un peu moins prégnant compte tenu de la situation économique.

Nous devons aborder les classifications qui ont avancé, mais aussi la rénovation de la convention collective. Il y a aussi le sujet du chargement-déchargement sur lequel nous sommes bien engagés. L’étape 2 du congé de fin d’activité (CFA) commencera le 2 octobre. Des accords seront proposés sur les congés maternités. C’est un sujet qui a d’ailleurs été porté par plusieurs transporteurs. Et nous devrons aussi réécrire l’accord formation qui est aujourd’hui obsolète.

De nouveaux taux de cotisation chômage sont communiqués aux entreprises depuis le 1er septembre en fonction de leur recours aux contrats courts. Quels sont les retours des adhérents sur ce point ?

F. B. : Les entreprises sont remontées contre le bonus-malus. C’est un système incohérent. Elles ont reçu les nouveaux taux, qui ont baissé. Mais, plus vous êtes bons, plus la moyenne générale du secteur descend, et plus la moyenne générale du secteur descend, plus tout le monde risque d’être malussé ! D’autant que vous êtes malussé dès lors qu’il y a eu une rupture dans l’entreprise et que la personne ne s’est pas inscrite à l’assurance-chômage. Il y a un nouvel arrêté sur le taux médian qui est publié et que nous allons à nouveau attaquer. C’est aberrant ! Sept secteurs sont ciblés, dont le transport-logistique, alors que d’autres échappent complètement à ce dispositif sans pour autant être vertueux en matière de pratiques…

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