Vers le début des années soixante-dix, les transporteurs routiers ont vu d'un mauvais oeil apparaître, dans les entreprises industrielles, des spécialistes chargés de rationaliser les flux physiques de marchandises. L'émergence des logisticiens signifiait pour eux une remise en cause de leurs trafics, de leurs prix et plus généralement de leur métier. A cette époque, les transporteurs accordaient également beaucoup d'importance à l'enlèvement de la marchandise. Dès lors, les professionnels de la route avaient en face d'eux des interlocuteurs pertinents capables de leur demander des comptes.
La première action des logisticiens a été de contrôler davantage les factures, de comparer les prix et de redéfinir les quantités et les fréquences de livraison compte tenu des modifications qu'ils opéraient dans leur politique de stockage. De leur côté, les transporteurs étaient protégés par la Tarification routière obligatoire (TRO), même si celle-ci ne servait que de référence à partir de laquelle une remise d'environ 20 % était tout de même accordée. La guerre des prix battait son plein. A l'international, terrain sur lequel les logisticiens n'opéraient pas, les entreprises de transport pouvaient plus facilement arguer de leur compétence.
Le produit idéal. Sous l'influence du marketing, les entreprises industrielles et commerciales changèrent de clients, délaissant ainsi les petits commerçants au profit des grands distributeurs. Lesquels entamaient parallèlement une redéfinition de leurs canaux de distribution. Les exigences de la grande distribution, la fréquence et la quantité des marchandises livrées en un même lieu mettait alors à mal l'époque mythique des «sept régions logistiques ». On a vu alors émerger les entrepôts centraux relayés par des plates formes afin de globaliser les flux et diminuer les stocks. Il fallait par ailleurs augmenter les marges en usant de la sous-traitance pour la distribution physique qui incluait également le stockage et le transport. Cette sous-traitance avait l'avantage pour les distributeurs de transformer des coûts fixes en coûts variables et des immobilisations en fournitures de services.
Dans le même temps, la suppression de la TRO a contraint les transporteurs à se battre sans filet sur les prix. Le calcul des prix de revient devenait un impératif. A cette période, l'offre de transport était nettement supérieure à la demande. Son inadaptation au marché a obligé les transporteurs à trouver un créneau leur permettant de faire du profit. Pour les autres, soit ils disparaissaient, soit ils devenaient sous-traitants des premiers. La fonction stockage physique devenait « le produit » idéal. Il est juste de dire que les transporteurs la pratiquaient déjà à leur propre compte pour optimiser le coefficient de remplissage de leur camion. Il ne leur restait plus qu'à la commercialiser officiellement pour le compte d'autrui afin d'en faire une activité rentable. C'est ainsi qu'est née dans le transport routier de marchandises l'offre de prestation dite logistique.
Lettres de noblesse. Les logisticiens devenaient dès lors des clients intéressants. Collaborer avec eux donnait le sentiment d'acquérir ses lettres de noblesse. Aucun transporteur ne se priverait aujourd'hui d'inscrire sur ses camions et ses plaquettes commerciales le terme de logistique même si celui-ci ne correspond qu'à des pratiques dysfonctionnelles des entreprises industrielles. Je ne prendrais comme exemple que le transport express. La mode est donc à l'association des deux appellations. A l'heure où il reste difficile pour un prestataire de faire du profit sur l'activité stockage-transport, certains ont développé une activité dite de co-packing. Laquelle se définit plus prosaïquement par le terme de reconditionnement. Le créneau logistique s'insère naturellement dans une sorte d'effet d'annonce marketing. Le terme logistique fait vendre. Il signifie aussi que l'on suit le sens de l'Histoire.
Démodé. Les entreprises industrielles, du moins les plus importantes, ne cessent de clamer que la logistique est une fonction stratégique. Ne relève-t-elle pas plutôt de la tactique surtout lorsque la logistique s'apparente à de la distribution physique ? Les entreprises de transport, quant à elles, ont presque banni le terme transport pour se métamorphoser en opérateurs logistiques. Tout s'est bien passé tant que les logisticiens parlaient le même langage que leurs interlocuteurs. Mais au fur et à mesure que le professionnalisme des prestataires augmentait, les entreprises industrielles se sont transformées en simples acheteurs de prestations. La distribution physique n'est plus qu'abordée en terme de coûts et pas nécessairement dans le cadre d'une optimisation des flux et des services clients.
A force d'être utilisé par les donneurs d'ordre et les exécutants, le terme logistique est devenu galvaudé sinon démodé. A l'époque de la Grèce antique, la logistique était une composante de la philosophie. Elles était une logique de raisonnement combinatoire. Ce raisonnement ne s'est appliquée au domaine militaire qu'après la guerre de 1870 et au domaine économique après la seconde guerre mondiale. Ce terme devrait être réservé aujourd'hui à la stratégie d'attaque des marchés que ce soit ceux des fournisseurs, des clients, à laquelle est liée la tactique d'acheminement et de mise en place des moyens. Il est remarquable de constater que plus un terme est utilisé selon un mauvais usage plus il fait recette.