Garder le lien à bonne distance

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Comment les entreprises du transport ont-elles adapté leur management face à l’épidémie de Covid-19 ? Si la crise actuelle, inédite, est impressionnante, certains dirigeants affirment aussi que les relations sociales y ont gagné en densité. Et qu’il a fallu se renouveler, avec le télétravail, notamment, tout en renforçant le dialogue.Dossier réalisé par Florence Roux

Merci ». Le mot s’impose sur le document que le groupe Mousset, transporteur de produits alimentaires basé à Sainte-Florence (85), a adressé le 20 avril à ses 2 200 salariés (dont 1 800 en France). « Cette crise conforte notre culture d’entreprise qui valorise le rôle de chacun, remarque Isabelle Gaudin Rouillard, responsable du pôle marketing et ressources humaines. Nous n’avons enregistré aucune défaillance, plutôt des volontaires pour nous aider à maintenir la moitié de l’activité. »

Garder le lien

L’essentiel, appuie-t-elle, était de « garder le lien malgré la distance ». Et, au-delà de la protection matérielle et du service de consultations médicales en ligne gratuit lancé l’an dernier, Qare (qui a enregistré un pic d’inscriptions en mars), la responsable RH se félicite de « l’organisation managériale à quatre niveaux qui a permis que l’info circule vite ».

Partout, ce « lien avec les salariés » s’est révélé central pour soutenir ceux qui travaillent et rassurer ceux qui sont en retrait. Ainsi, aux transports Montbrisonnais (42), où les livraisons ont été fortement réduites, Manuel Gomes (qui mène une politique de RSE pro-active (voir OT n° 3011, du 6 mars 2020) s’est fait un devoir de communiquer et de s’informer de tous. « À la mi-avril, ajoute-t-il, nous avons organisé une visioconférence à laquelle la plupart des salariés se sont connectés, pour rester ensemble et afin de faire vivre l’entreprise. »

Dans le même bateau

Aux Transports Provence Astouin, à Eyragues (13), qui ont maintenu une bonne partie de leur activité vins, complétée avec de l’alimentaire en retour de flux, le P-dg Jean-Yves Astouin, a privilégié le « lien direct » pour communiquer avec ses 47 salariés, « tous au rendez-vous », dit-il, n’hésitant pas à interpeller un jeune préparateur qui, par peur du virus, hésitait à venir travailler. « Je lui ai rappelé qu’il fallait rester sur le champ de bataille, alors qu’on avait la chance de ne pas fermer », rapporte l’entrepreneur.

L’engagement se fait aussi fort chez Jimenez Transport, Déménagement et Location, à Toulouse (31), où 250 des 485 conducteurs et conductrices ont roulé pour les secteurs de la santé et de l’alimentaire. « Le virus nous a recentrés sur l’humain, affirme Valérie Jimenez, la présidente. Et la crise a conforté notre choix de privilégier le partenariat avec nos clients et nos salariés, en montrant la pertinence de notre organisation managériale. Par exemple, « six mousquetaires, managers de terrain, maintiennent un lien direct avec les conducteurs ».

Intransigeante en matière de protection contre le virus, Estelle Gillois, dirigeante des transports éponymes, estime « le dialogue primordial : il faut écouter les craintes, connaître les conditions de vie, rassurer et informer plus encore que d’habitude… Et j’ai une équipe géniale ! » La continuité d’un « bon système social » ? Jonathan Delisle, des transports éponymes, l’assure, « c’est dans des moments aussi difficiles qu’on réalise l’importance de prendre soin des salariés tout le temps. L’esprit d’équipe en sort renforcé ». Consultant en RSE, à 70 % pour le TRM, Éric Croisé a reçu de nombreux témoignages d’entrepreneurs évoquant « la solidarité renforcée dans les équipes. Dans la tourmente, on est tous dans le même bateau ».

Télétravail à tous les étages

Est-ce paradoxal ? Les liens se resserrent malgré la distanciation anti-Covid-19 et grâce, en particulier, au télétravail et à la téléconsultation qui se sont imposés dans les entreprises. « Et ça fonctionne, constate la responsable RH du groupe Mousset. Même les exploitants ou les comptables ont télétravaillé. Nous ne pouvons pas tout gérer à distance sur le long terme, mais intégrer certains outils et pratiques. Je viens de rédiger une charte du télétravail, et une autre des comités opérationnels, les Comop, bimensuels, que nous allons mensualiser en visioconférence de deux heures. » Chez Jimenez, où la plupart des administratifs ont pu télétravailler et où chaque manager a organisé tous les matins une réunion avec son équipe, la présidente ressort convaincue de cette expérience à grande échelle : « Nous étions justement en train d’organiser le télétravail. Cette période nous montre que nous restons opérationnels à distance. En mettant en route du télétravail choisi, au bon rythme, nous pouvons gagner de l’espace, limiter l’empreinte carbone et les frais pour nos sédentaires, en gagnant parfois en qualité de travail et de vie ». Pour Éric Croisé, consultant, « la sortie progressive du confinement nécessitera une vraie réflexion sur une nouvelle organisation de travail, dans l’espace et dans le temps pour, par exemple, mettre en place le télétravail par roulements ».

Chez les Transports Gillois, où quatre des dix administratifs ont travaillé à distance, offrant de meilleures conditions de distanciation dans les bureaux, la présidente s’est souciée de bien cadrer « le CSE extraordinaire en visioconférence, avec une signature par voie électronique, à distance. Il était essentiel que les protocoles respectent les formes, quels que soient les outils ». Jonathan Delisle reconnaît « que le Covid19 va bouger les lignes et accélérer un certain recours au télétravail » mais préfère en revanche « le réserver à des situations exceptionnelles et de courte durée. Presque tous les administratifs ont télétravaillé et ça s’est bien passé. Mais l’exploitation à distance, ce n’est quand-même pas pratique ». Jean-Yves Astouin, lui, a préféré peaufiner la distanciation des postes de travail sur site, avec de l’espace, des vitres, plutôt que de travailler à distance. Il estime aussi que le télétravail risque « de renforcer le sentiment d’isolement sur site. Si je ne suis pas là, tandis que les préparateurs de commandes, par exemple, sont bien obligés de venir, cela crée une espèce d’abandon ».Le chef d’entreprise estime néanmoins « qu’il y aura un avant– et un après-Covid-19. À partir du 11 mai, nous allons devoir maintenir les pratiques de distanciation, en réfléchissant par exemple à remettre en place les rippers sur les plateformes logistiques, qui contrôlent et déchargent le camion, pendant que nos conducteurs restent en cabine. Il faut travailler en sécurisant les postes de travail. En replaçant la santé du personnel avant la productivité ». Pour Estelle Gillois, « autant la crise de 2008 a poussé à investir dans la formation, autant il va falloir innover cette fois dans la protection des personnes. Et cela passe, avec tout achat d’outils, par l’organisation et les protocoles. Ce n’est pas toujours facile au départ, mais efficace. Et, encore et toujours, cela passe par le dialogue ». Contraignant, le confinement a aussi incité les entreprises à réinventer les moyens d’une convivialité, avec des pauses-café à distance, voire une fête. « Le 1er avril, pour fêter les 24 ans de l’entreprise, rappelle Valérie Jimenez, nous avons organisé une rencontre avec une partie du personnel au dépôt et la majorité en visio, sur Teams. Des salariés avaient fait une vidéo, chacun a eu un mot… C’était très émouvant et ça resserre les liens. » Pour la cheffe d’entreprise, se faire la bise ou se serrer la main n’assure pas forcément un meilleur dialogue social. « Je préfère renforcer l’écoute active et le dialogue », précise-t-elle.

À Sainte-Florence, le spécialiste du transport de produits de ferme, qui avait créé une cellule de crise dès mi-février, vise aujourd’hui un déconfinement « sécurisé » avec une affiche qui recommande d’adopter la « Super-Attitude », en appliquant les gestes barrières. « Le Covid-19 a monté le niveau d’exigence, notamment en matière de communication, formelle et informelle, remarque Isabelle Gaudin-Rouillard. Cela offre du sens à un management plus humain, qu’il faut inscrire dans le temps. »

Moodwork ouvre sa ligne aux salariés exposés

Depuis le début de l’épidémie, la start-up Moodwork, spécialisée dans le diagnostic et l’action en matière de qualité de vie au travail, a mis gratuitement sa ligne de soutien psychologique à disposition des salariés d’hôpitaux, d’Ehpad ou d’entreprise en activité, « pour toutes les personnes sur le front contre l’épidémie », indique Léopold Denis, son cofondateur. « Ce que nous voyons principalement, c’est la peur d’être contaminé et de transmettre le virus à la maison, la confrontation à la mort, ou la peur de perdre son emploi, constate le dirigeant. Malgré le confinement, la solidarité est aussi beaucoup plus forte. »

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