« Bienveillance et dialogue renforcés entre chargeurs et transporteurs »

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Comment se porte la relation transporteur-chargeur sur fond de crise Covid ? Comment les chargeurs accueillent-ils les propositions de nouvelles fiscalités sur le TRM portées par la Convention citoyenne sur le climat ? Le plan France Relance de Jean Castex ? Quel regard l’AUTF porte-t-elle sur la désorganisation des flux de transport et la pression sur les prix ? Fabrice Accary, le directeur général de l’Association des utilisateurs de fret, a bien voulu se prêter, sans se dérober, au jeu des questions-réponses.
L’Officiel des transporteurs : Quelle perception avez-vous, à l’AUTF, de la relation transporteur-chargeur dans le contexte actuel ?

Fabrice Accary : Je dirais que la relation de confiance entre chargeurs et transporteurs reste préservée ; elle s’inscrit encore davantage dans le long terme et le partenariat. Cette relation de confiance est néanmoins sous contrainte : les chargeurs subissent la pression de leurs clients afin que les prix restent cadrés ; en cela ils essaient de travailler de conserve avec leurs transporteurs afin que les évolutions de coûts soient préservées autant que faire se peut.

Face à des situations exceptionnelles comme celle que nous connaissons, il est important de savoir que l’on peut compter les uns sur les autres. Au moment où nous échangeons, je dirais qu’un chargeur ne peut se trouver dans une situation de remise en cause de son panel de transporteurs.

Peut-on dire toutefois que cette crise fait bouger les lignes dans la relation transporteur-chargeur ?

F. A. : Nous n’avons pas vraiment l’impression que ces lignes ont tendance à bouger, car nous sommes dans une logique de relation de long terme. En fait, ce qui nous perturbe aujourd’hui, c’est la situation dans le maritime et l’aérien. Elle a pour effet de toucher également le transport routier. C’est cette situation qui veut que les armateurs maritimes ne viennent plus toucher les ports français, ce qui nous contraint à aller chercher des marchandises dans des ports à l’étranger, ce qui tend à faire grimper les coûts du transport maritime. En clair, concernant la relation chargeur-transporteur, je parlerais de bienveillance et de dialogue renforcés pour que, au sortir de la crise, tout le monde soit encore dans la partie.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que nombreux sont les chargeurs qui se tournent vers les transporteurs étrangers en cabotage sur le territoire français afin d’obtenir des prix plus intéressants ? L’OTRE demande même à ce que soit déclenchée la clause de sauvegarde pour une période de six mois…

F. A. : Je n’ai pas connaissance de cette tendance au niveau de l’AUTF, ce qui ne signifie pas qu’elle n’existe pas. Nous avons en notre sein de très grands chargeurs qui sont extrêmement engagés, notamment dans la défense de l’activité industrielle française, du pavillon français.

On sait, en revanche, que dans le TRM – sur le marché spot – il existe parfois des marchés en cascade qui se tournent vers du transport étranger. Est-ce du transit, du cabotage légal ou illégal ? Difficile de le savoir. Quant à la clause de sauvegarde, je ne pense pas que ce sera un instrument qui résoudra le problème des transporteurs français ; ce n’est pas là-dessus qu’il faut se battre.

À quoi pensez-vous en particulier ?

F. A. : Je pense à des aides financières qui permettraient de surmonter cette crise, à une diminution des coûts d’infrastructures…

Que pensez-vous de la décision du gouvernement de raboter de 2 centimes par litre la ristourne gazole avec possibilité de pied de facture pour le transporteur ?

F. A. : On sait que tout le monde devra contribuer dans le combat contre les émissions de CO2. La fiscalité sur le carburant semble être un support sur lequel il y aura des évolutions et, de par la répercussion, les chargeurs prennent leur part au financement de cette fiscalité. Ce n’est pas un combat dans lequel nous souhaitons nous engager.

On évoque beaucoup le manque de visibilité dans la sphère économique…

F. A. : S’il y a un facteur qui fait l’unanimité, c’est bien celui-ci. Quel que soit le secteur industriel, ce sont les mêmes remontées d’information qui prévalent. On sait que la crise a généré des modifications de comportement qui, peut-être, évolueront encore sur le long terme même si on ignore de quelle manière.

À quels types de comportement faites-vous allusion ?

F. A. : Je fais référence aux achats sur les sites d’e-commerce. Toutes les études montrent que le B2C a fortement augmenté. Est-ce l’expression de l’accélération d’une tendance de fond ou y aura-t-il un retour en arrière dès lors que nous serons sortis de cette crise majeure ? Nous sommes, pour l’heure, bien incapables d’avoir une visibilité de long terme sur ce sujet.

Par conséquent, on s’adapte. Depuis le début, le secteur du transport et de la logistique fait la preuve de sa résilience. Il n’est jamais à court de solutions y compris en période de crise.

Que pensez-vous des attentes de la Convention citoyenne sur le climat, à laquelle le président de la République semble accorder du crédit, et qui demande la mise en place de nouvelles fiscalités pour le transport routier ? Figure notamment l’abandon de l’avantage fiscal sur la TICPE…

F. A. : Il faut rappeler que les conclusions de la Convention citoyenne sont à mettre en perspective avec une promotion du report modal. Ce qui est très clair, c’est que la taxation du transport français n’entraînera aucun phénomène de report modal. Ce type de mesure aboutirait en fait à une augmentation de la part du transport étranger. Il nous semble que les mesures fiscales qui figurent dans ce document ne devraient pas avoir d’incidence sur la réduction des émissions de CO2 et sur le report modal.

Le plan France Relance du Premier ministre entend faire la part belle au développement du transport ferroviaire. Qu’en pensez-vous à l’AUTF ?

F. A. : Nous ne souhaitons pas, à l’AUTF, entendre parler d’opposition entre les modes de transport. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le développement des modes massifiés, pourvoyeurs d’offres, qui intéressent les chargeurs. On sait très bien, en filigrane, que lorsque l’on développe des offres massifiées, il y a des transporteurs routiers en amont et en aval. Tout le monde en bénéficie d’autant que le transport amont et aval c’est du transport local, plutôt français. Cette approche de l’AUTF a pour but de rendre l’industrie française compétitive.

Quelle est la position de l’AUTF vis-à-vis de 4F, la coalition d’acteurs du ferroviaire ?

F. A. : Nous soutenons 4F mais nous ne sommes pas partie prenante. Nous participons aux groupes de travail et nous copilotons certains axes de réflexion, en particulier ceux qui se penchent sur la possibilité pour les chargeurs d’obtenir une meilleure qualité de service, des sillons ferroviaires fret plus fréquents, plus réguliers, mais également le développement de plateformes multimodales sur lesquelles on puisse développer de nouvelles lignes… En parallèle, nous poussons certains sujets comme le développement du wagon isolé notamment sur des trafics internationaux.

Pensez-vous que l’on puisse accorder de nouveau du crédit au wagon isolé ?

F. A. : Je dirais qu’il existe des segments de marché sur lesquels il y a un potentiel de développement intéressant. Je pense à la chimie et au transport international. Nous travaillons à redonner ses lettres de noblesse au wagon isolé et à le faire savoir à notre industrie.

Un nombre important de transporteurs évoque une désorganisation des flux côté chargeurs…

F. A. : Il y en a eu beaucoup, jusqu’en juillet, une situation extrêmement compliquée à gérer autant pour les transporteurs que pour les chargeurs. On a pu voir notamment que des flux retour étaient supprimés, qui ont obligé à revoir les plans de transport. Aujourd’hui, on est toujours désorganisés, mais moins. Par exemple, les céréales et le BTP ont réussi à se rééquilibrer et à retrouver les contre-flux d’avant la crise. Il a fallu des années et un travail de fourmi pour construire des plans de transport avec des flux et contre-flux, qui ont permis d’optimiser les taux de remplissage et les routes. Tout cela a été balayé en quelques semaines par l’épidémie. L’expérience que nous avons engrangée nous permet de nous réadapter mais il subsiste des difficultés car le marché reste erratique et le manque de visibilité persiste.

Bien souvent, le poids de la transition écologique, dans l’achat de camions, pèse sur le transporteur qui, pourtant, s’engage à la demande de ses clients. Comment peut-on faire évoluer ce schéma ?

F. A. : En général, sur des évolutions technologiques majeures, les chargeurs accompagnent les transporteurs. Pas au travers d’un financement direct mais en leur offrant des contrats de plus long terme et en partageant une partie de l’investissement sur le tarif appliqué. En parallèle, nous avons connaissance de chargeurs qui investissent dans des stations d’avitaillement en GNV, lesquelles sont à la disposition des transporteurs au moment du chargement.

À propos de tarif, les transporteurs et les organisations patronales du secteur parlent de pression à la baisse depuis la reprise…

F. A. : Il existe certainement des cas, qui peuvent d’ailleurs être légitimes en raison de la baisse du prix du carburant. Et puis, les transporteurs ont pu obtenir des aides de l’État que les chargeurs n’ont pas eues obligatoirement de leur côté. Je dois souligner que, côté chargeurs, on voit des transporteurs qui viennent taper à la porte pour proposer des tarifs…

La plateforme France logistique a pour vocation de fédérer les forces françaises de la filière logistique. Comment l’AUTF prend-elle sa part dans cette ambition ?

F. A. : En tant que membre fondateur, nous sommes très investis. Il existe aujourd’hui des sujets politiques et administratifs sur lesquels nous pensons remporter des succès dans le court terme. Je pense notamment à l’entreposage, aux problématiques de réglementation foncière. Nous portons la voix des chargeurs sur leurs attentes vis-à-vis de la logistique française pour faire que les industries soient performantes sur le marché français et à l’international. Nous travaillons sur la mise en place de data qui nous permettrons d’évaluer la performance de cette logistique, du point de vue notamment de celle des ports ou du ferroviaire. Je pense que le TRM français appartient au cercle haut de gamme de l’offre européenne.

Avez-vous d’autres chantiers à l’AUTF ?

F. A. : Oui, il y a un sujet primordial : Fret21, le programme EVE pour lequel l’AUTF s’est investi, particulièrement en recrutant du personnel chargé de faire de la communication et de l’accompagnement de chargeurs. Nous avons à ce jour sensibilisé plus de 400 entreprises et près de 80 sont engagées ou en cours d’engagement. Le programme EVE devrait être poursuivi sur la période 2021-2023, avec des ambitions revues à la hausse. Nous nous en réjouissons car il existe de belles réussites que l’on peut valoriser afin de montrer l’engagement du TRM pour réduire son impact environnemental.

*Association des utilisateurs de transport de fret

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