« Notre objectif est de dresser un état des lieux de la prévention des risques liés à la présence d’ammonitrates à haut dosage en France que se soit au stade de leur transport par la voie d’eau ou de leur stockage à terre dans les ports maritimes et fluviaux afin d’envisager si nécessaire un renforcement de la réglementation », a rappelé Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, en introduction à une nouvelle audition de la mission d’information sur la prévention des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports le 23 février 2022.
Il a indiqué que les travaux du Sénat ont commencé en décembre 2021 par une audition (dont NPI a rendu compte), des auteurs du rapport du CGEDD et du CGE sur ce sujet et publié en mai 2021 après avoir été remis aux ministres qui l’avait commandé dans la suite de l’explosion d’ammonitrates au port de Beyrouth.
Depuis décembre 2021, les sénateurs ont entendu « différents acteurs économiques intervenants dans le chaîne d’approvisionnement en ammonitrates », issus de l’industrie chimique, de coopératives agricoles, ou des fabricant d’engrais ainsi que Voies navigables de France (VNF). Ils ont visité le port de Saint Aubin-les-Elbeuf et l’usine de Borealis, l’un des plus grands sites de production d’ammonitrates en France. Ils prévoient de faire un déplacement en mars dans la région Grand Est pour voir les ports fluviaux de Metz et de Neuves-Maisons.
C’était au tour de « représentants des administrations centrales de l’Etat », direction générale de la prévention des risques et celle des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), d’être entendus le 23 février par cette mission d’information du Sénat, au moment où un arrêté a été publié pour modifier la réglementation sur les conditions de stockage à terre d’ammonitrates « à haut dosage » dans les ports maritimes.
Un arrêté pour les ports maritimes, publié récemment
En France, l’utilisation d’ammonitrates de haut dosage est majoritaire, à hauteur de 60 %, par rapport aux autres formes (engrais, moyen dosage), a précisé Philippe Merle de la direction générale de la prévention des risques devant les sénateurs.
« Le choix de la France est d’encadrer davantage le produit le plus dangereux, celui de haut dosage, a continué ce responsable. On en trouve dans les ports maritimes. Et nous venons en effet de faire évoluer les règles pour le dépôt à terre dans les ports maritimes, qui est une pratique d’exception. Les opérations de déchargement de navire à navire dans les ports maritimes sont, elles, régies par une réglementation internationale ».
Philippe Merle a souligné que « le dépôt à terre en vrac est interdit dans les ports maritimes mais autorisé en big bag dans des ilots en quantité limitée et en respectant des distances minimales entre les ilots si plusieurs de ces espaces sont nécessaires. L’arrêté publié cette semaine a durci les règles sur ces ilots », dans la suite des recommandations du rapport du CGEDD.
Il a poursuivi en rappelant que les auteurs du rapport avaient vu « un contournement de la réglementation sur les ammonitrates dans des ports fluviaux situés à proximité immédiate de ports maritimes pour le dépôt à terre en vrac ou en big bag. Nous avons engagé des travaux pour élaborer des dispositions sur ce point dans les ports fluviaux qui seraient homologues à celles pour les ports maritimes. Les dispositions pour les ports fluviaux s’inscriraient dans le cadre d’un règlement pour les ports fluviaux, homologue à celui pour les ports maritimes, et donneraient lieu à des règlements locaux comme pour les ports maritimes. C’est l’idée avant que démarre prochainement une concertation et des travaux avec les représentants des filières concernées », dont la profession fluviale.
Renforcer la réglementation dans les ports fluviaux
Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial à la DGITM, a indiqué que l’objectif de l’administration avec une nouvelle réglementation est de « mieux encadrer les opérations de chargement/déchargement d’ammonitrates dans les ports fluviaux ».
La parole est ensuite revenue à Muriel Bouldouyre, cheffe du bureau du transport fluvial à la DGITM, pour préciser qu’une première réunion d’un groupe de travail pour échanger sur les contours de la nouvelle réglementation était programmée le 1 mars 2022 « avec l’ensemble des acteurs de la voie d’eau », comme des représentants de VNF, de CNR, de l’AFPI, des ports dont Haropa ou Lyon-Edouard Herriot, mais aussi des membres de la filière des engrais.
Selon elle : « Avec tous ces représentants, il s’agit de progresser sur la réglementation, sur les pistes de travail qui sont les nôtres suite aux recommandations du rapport du CGEDD remis au ministre en mai 2021 afin de compléter le texte existant.
Les pistes de travail sont très simples et très claires pour nous, à ce stade, il s’agit de compléter utilement l’arrêté du 29 mai 2009 relatif au transport de marchandises dangereuses par voie terrestre notamment sur les conditions techniques des opérations de chargement et déchargement, transbordement, avitaillement, faire en sorte que les lieux pour ces opérations soient conformes aux dispositions prévues, veiller que les règlements de navigation intérieure au plan local puissent être clarifiés car ces règlements particuliers de police sont au main des préfets de département. Il y a certainement de la complétude à faire pour clarifier toutes les questions liées aux lieux de chargement et déchargement.
Toutes ces pistes de travail vont nous servir à compléter utilement la réglementation et à clarifier les choses et les responsabilités entre les différents acteurs. Notre souhait est d’aller vite et bien pour que la nouvelle réglementation s’applique rapidement.
Les acteurs de la voie d’eau sont très motivés, les recommandations du rapport et les pistes de travail font largement consensus. La question n’est pas de savoir si nous allons suivre les recommandations mais comment nous allons le faire, telle est l’ambition affichée du groupe de travail ».
Obligation d’annonce envisagée pour les bateaux
Lors de l’audition de la mission d’information sur la prévention des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux le 23 février 2022, en réponses aux questions des sénateurs, d’autres mesures ont été évoquées par « les représentants des administrations centrales de l’Etat ».
Concernant le transport fluvial d’ammonitrates qui relève des marchandises dangereuses, il y a la réglementation internationale « ADN » qui s’applique à la France, a indiqué Nicolas Trift.
Pour Muriel Bouldouyre, « le transport fluvial de marchandises dangereuses obéit à une réglementation internationale précise et engageante. Pour opérer un tel transport sur la voie d’eau, il faut détenir un certificat « ADN » qui doit être renouvelé tous les 5 ans selon la réglementation, ce qui signifie un contrôle de l’administration en France notamment par les services des DDT en charge de la sécurité de la navigation intérieure. La réglementation concerne aussi des exigences de sécurité et de conformité des bateaux ».
Toutefois, Nicolas Trift a estimé que pour « le transit des matières dangereuses, il y a sans doute un manque de connaissance et de suivi. C’est l’objet d’un travail que nous allons lancer notamment avec la direction de la répression des fraudes pour mieux suivre les situations dans les ports et dans le transport par les voies fluviales. Parmi les pistes que nous avons, nous travaillons sur l’introduction dans les textes d’une obligation d’annonce de transport de matière dangereuse par les bateaux ». Selon ce responsable, cela permettrait à l’opérateur VNF d’être informé et d’avoir une meilleure connaissance de ces flux de transport fluvial de matières dangereuses puis de la diffuser auprès des administrations concernées.
En réponse à une question de la sénatrice du Nord Martine Filleul, il a répété que VNF pouvait jouer un rôle pour mieux recueillir des informations sur les transports fluviaux de marchandises dangereuses par le biais d’une obligation d’annonce mais le pouvoir de contrôle relève, lui, des polices et gendarmeries fluviales et d’autres services ou administrations. Il n’a toutefois pas fermé la porte à une éventuelle évolution du rôle de VNF en matière de contrôle.
Enfin, il a aussi fait part de la volonté de la DGITM de « renforcer et systématiser » la diffusion des informations sur les réglementations et leurs évolutions pour le transport maritime des matières dangereuses notamment auprès des capitaineries et officiers de port en charge des vérifications des déclarations. A cette occasion, les officier pourront « faire remonter des situations particulières afin de leur expliciter le droit à appliquer voire le faire évoluer si besoin ».