Les sénateurs Martine Filleul, Pascal Martin et Philippe Tabarot ont remis leur rapport suite à leur mission sur les risques liés au transport de produits à base de nitrate d’ammonium. Les recommandations concernent essentiellement les ports intérieurs et la navigation fluviale.
C’est suite à l’explosion due à la présence de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth en août 2020 (plus de 200 personnes décédées et plus de 6500 blessées) puis à un rapport des CGEDD et CGE commandé par les ministères de la transition écologique et de l’économie, que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a lancé à l’automne 2021 une mission d’information pour évaluer les risques liés au transport de produit contenant cette matière dangereuse.De l’automne 2021 au printemps 2022, les trois sénateurs (Martine Filleul, Pascal Martin et Philippe Tabarot) en charge de la mission ont notamment entendu les auteurs du rapport CGEDD/CGE (voir article de NPI), le président et le directeur général de Voies navigables de France (VNF), ainsi des acteurs économiques et des représentants de l’administration (voir article de NPI) concernés par la gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux. Ils ont visité trois sites portuaires : Angot (à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, non loin de Rouen), Metz et Neuves-Maison. Ils ont remis leur rapport d’une centaine de pages en juillet 2022.
Deux constats
Les trois auteurs livrent d’abord « un constat rassurant » : « la situation du Liban et celle de la France ne sont pas comparables. La matière en cause à Beyrouth -du nitrate d’ammonium technique destiné à la fabrication d’explosifs- compte pour une part infime du trafic de produits à base de nitrate d’ammonium en France ».Ils rappellent la difficulté qu’ils ont rencontré pour la « collecte de données fiables et précises sur les flux d’ammonitrates haut dosage en France, en l’absence d’un système centralisé de suivi du trafic des matières dangereuses (…) Les seuls éléments qui ont pu être recueillis concernent les importations, qui ne représentent que 20 % de la consommation nationale, ce qui permet néanmoins d’avoir un aperçu, bien que très incomplet, de la répartition du trafic par mode de transport », soit 130 000 tonnes par les ports maritimes (dont 3 GPM -Rouen, Nantes-Saint Nazaire, Réunion- et 4 décentralisés), 110 000 tonnes par la route, 50 000 tonnes par la voie fluviale (Seine, Moselle, Rhin).Les auteurs nuancent ce « constat rassurant » avec un deuxième « plus mitigé. La France est parmi les plus gros consommateurs en Europe d’ammonitrates haut dosage, engrais agricole identifié comme matière dangereuse par la règlementation internationale et nationale qui, s’il est stocké dans de mauvaises conditions ou pris dans un incendie, peut en effet provoquer des dégâts considérables ».Pour eux, « certaines lacunes sont patentes en matière de prévention des risques liés aux ammonitrates dans notre règlementation, que ce soit au stade du transport par voie d’eau ou du stockage », reprenant ici ce que pointait déjà le rapport du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et du conseil général de l’économie (CGE).Toutefois, concernant la prévention des risques liés au stockage d’ammonitrates, notamment pour des usages agricoles, les trois sénateurs font le choix de différer l’énoncée de recommandations dans l’attente des conclusions d’une nouvelle mission d’inspection attendues pour la fin de l’année 2022.Les recommandations des trois sénateurs s’articulent alors autour de deux axes : « renforcer la surveillance et le contrôle du trafic de matières dangereuses », « poursuivre l’alignement de la réglementation du transport fluvial sur celle du secteur maritime en matière de gestion des risques liés aux ammonitrates ». Elles se concentrent donc sur la situation dans les ports maritimes et fluviaux ainsi que sur la navigation fluviale.
Deux axes pour les recommandations
Concernant le premier axe, « pour renforcer la surveillance et clarifier la répartition des responsabilités en matière de transport de matières dangereuses par voie fluviale et maritime », trois recommandations sont détaillées :- « Instituer un système d’information unique dans les ports maritimes pour la gestion des matières dangereuses, qui soit interopérable avec le guichet unique maritime et portuaire et le futur guichet unique maritime européen,- Rendre plus effective l’obligation d’annonce pour les navires fluviaux transportant des matières dangereuses et donner les moyens à VNF (informatiques, humains, et financiers, notamment via l’inscription de cette mission dans le contrat d’objectifs et de performance) d’assurer le traitement et la transmission de ces données aux administrations concernées,- Publier une instruction précisant les tâches et responsabilités respectives des services centraux et déconcentrés pour la prévention et la gestion des risques liés aux ammonitrates dans le transport maritime et fluvial et les modalités de leur coordination aux niveaux national et territorial ».L’autre axe des recommandations concerne « la manutention des matières dangereuses dans les ports intérieurs », les sénateurs soulignant « un vide juridique à combler ». Ils recommandent ici de « poursuivre le processus d’alignement de la règlementation applicable au transport fluvial de matières dangereuses sur celle relative au transport maritime d’ici, au plus tard, le 1 janvier 2024 : en publiant un règlement national sur le transport et la manutention de matières dangereuses par voie fluviale et en permettant une adaptation locale de ces règles, en mettant enfin en application l’obligation pour le préfet d’identifier les lieux sur lesquels le chargement et déchargement de matières dangereuses, notamment d’ammonitrates haut dosage, est autorisé ».Pour les ports maritimes, les sénateurs précisent que « les opérations de manutention impliquant des matières dangereuses sont rigoureusement règlementées (par le règlement RPM), le déchargement en vrac d’ammonitrates haut dosage est interdit et la mise en dépôt à terre de ces matières strictement encadrée. Ce RPM doit être décliné localement ». Les sénateurs notent que « récemment, l’arrêté du 7 février 2022 a renforcé les modalités encadrant les dépôts à terre d’ammonitrates haut dosage » dans les ports maritimes.L’ensemble du rapport est à consulter sur le site du Sénat.