Suppression du gazole non routier : coup de poignard pour les TPE de la filière du tourisme fluvial

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Les professionnels de la filière fluviale se mobilisent suite à l’annonce de la suppression à partir du 1er janvier 2019 du gazole non routier pour les entreprises de transport de passagers actuellement soumises à un taux réduit de TICPE. Le Comité des armateurs fluviaux (CAF) a écrit à la ministre des Transports Elisabeth Borne et met en avant une discrimination de traitement vis à vis du mode et un impact économique majeur sur l’activité du tourisme fluvial en France et des entreprises qui y sont actives.

Lors d’une réunion le 18 septembre 2018, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a annoncé aux professionnels de la filière fluviale la suppression du gazole non routier (GNR) à compter du 1er janvier 2019.

Cette mesure aura un impact économique très important sur les entreprises de transport de passagers actuellement soumises à un taux réduit de TICPE au titre de l’arrêté du 10 novembre 2011. Au 1er janvier 2019, ces activités passeront du taux réduit actuel (21,58 c€/litre) au taux général (64,76 c€/L), soit un triplement du coût de la TICPE. Le transport fluvial de marchandises continuera de bénéficier de l’exonération de TICPE, selon la DGEC lors de cette même réunion.

Le Comité des armateurs fluviaux (CAF), fédération représentative de la navigation fluviale en France, est opposé à la mesure annoncée pour les raisons suivantes dont il a fait part à la ministre des Transports Elisabeth Borne.

Une discrimination de traitement

En premier lieu, la mesure introduit une discrimination de traitement entre les modes de transport terrestre et avec les Etats Membres de l’Union Européenne.

En effet, la DGEC maintient en l’état le dispositif applicable aux transports ferroviaire et routier, dont les composantes de transport de personnes et de tourisme continueront à bénéficier au-delà du 1er janvier 2019 du dispositif GNR (ferroviaire) et du mécanisme de remboursement de TICPE (routier).

Pour le CAF : « Rien ne justifie un traitement différencié du secteur fluvial par rapport aux modes de transport routier et ferroviaire : les trois modes de transport combinent un usage partagé de leurs infrastructures entre le fret et le passager, sur lesquelles sont opérées des prestations de transport et de tourisme ».

Il faut rappeler que les taxis disposent d’un mécanisme de remboursement partiel de TICPE et que le secteur aérien bénéficie d’une mesure d’exonération totale.

Les dispositions de réduction ou d’exonération de TICPE procèdent de directives communautaires qui offrent la possibilité aux Etats Membres de mettre en œuvre cette mesure (directive 2003/96/CE s’agissant du transport fluvial). « De fait, la France ainsi que tous les Etats Membres ont opté pour cette possibilité s’agissant des modes de transport routier, ferroviaire et fluvial qui sont donc exemptés de TICPE », poursuit le CAF.

S’agissant du Rhin, l’Accord relatif au régime douanier et fiscal du gasoil consommé comme ravitaillement de bord dans la navigation rhénane (publié par décret n°52-1188 du 20 octobre 1952) dispose que : «Les Etats riverains du Rhin et la Belgique ne percevront ni droit de douane ni autres taxes sur le gasoil consommé régulièrement comme ravitaillement des bateaux naviguant sur le Rhin et ses affluents ou sur les voies d’eau visées à l’art. 2 de l’Acte de Mannheim».

« En définitive, le cadre réglementaire et légal européen encourage, et dans certaines zones, oblige à une mesure fiscale spécifique dans la navigation intérieure au regard des stratégies de mobilité et de développement du tourisme », analyse le CAF.

Un impact économique majeur sur l’activité

En deuxième lieu, l’impact financier est majeur pour le secteur fluvial tant en valeur absolue qu’en proportion.

Le CAF a calculé : « La mesure créera pour le secteur fluvial une augmentation de coût de 50%sur le second poste de dépense, après le personnel, dans le compte d’exploitation des entreprises de navigation (10 % en moyenne des charges d’exploitation). Au total, cette mesure engendrera un surcoût de 18 M€ en 2019, à rapporter à un secteur qui génère annuellement 400 M€ de chiffre d’affaires et est majoritairement constitué de TPE ».

Cet ordre de grandeur est tel qu’il représente un montant supérieur au montant du péage prélevé par VNF pour l’usage de son réseau (14 M€ en 2017) et correspond au surcroît de recettes escompté de l’Agence de financement des infrastructures (AFITF) en 2019, selon les annonces de la ministre des Transports le 11 septembre 2018 sur la programmation des infrastructures de transport.

Les entreprises les plus touchées en France seront celles qui proposent des croisières avec hébergement (CroisiEurope, Viking River Cruises, …), des excursions journalières (Bateaux mouches, Bateaux parisiens–groupe Sodexo, Vedettes du Pont Neuf…) et du transport urbain (Batobus à Paris, …), et qui sont présentes sur les bassins fluviaux fermés de la Seine et du Rhône, et donc captives. En effet, elles ne pourront pas s’approvisionner en carburant à l’étranger. En termes de concurrence, elle est européenne voire mondiale pour les croisiéristes avec hébergement, « la mesure contestée va obérer de manière significative la compétitivité de la destination France ».

Il faut aussi rappeler que l’activité de transport fluvial de personnes et de tourisme est très présente en régions sur des bassins d’emploi faiblement pourvus et participe à l’aménagement du territoire.

Quelle cohérence globale des pouvoirs publics vis à vis du fluvial ?

Le CAF s’interroge sur « la cohérence globale que la filière fluviale est légitimement en droit d’attendre des pouvoirs publics ». Outre son impact économique très important sur les entreprises de transport fluvial, « cette mesure sera, a minima, inefficace et, à l’extrême, contre-productive pour l’amélioration des performances environnementales du secteur, en raison de l’absence d’alternatives au diesel ».

A cet égard, le CAF s’interroge sur l’absence totale de dispositions compensatoires favorisant l’environnement en complément de cette mesure, malgré les demandes récurrentes du secteur et notamment :

- Exonérer de TICPE les carburants propres utilisables pour favoriser la transition énergétique du transport fluvial (gaz naturel, GTL, biocarburants),

- Mettre en place un dispositif de sur-amortissement pour les investissements dans des bateaux neufs ou des moteurs utilisant comme énergie le gaz naturel, le biométhane carburant, l’électricité ou l’hydrogène, pour les bateaux de transport de passagers et de marchandises. Le coût de cette mesure (pertes fiscales) en 2019 serait de 0,4 M€ (2M€ au total, répartis sur une durée d’amortissement de 5 ans).

Les près de 20 M€ prélevés dans le secteur de la navigation intérieure viendront abonder un surplus de recettes fiscales estimé, selon la DGEC, à plus de 900 M€ soit une contribution marginale au regard de l’impact économique dans le secteur.

D’autres éléments de contexte peu favorables pour le secteur fluvial

L’impact de la mesure sera donc très important, et s’ajoute à d’autres éléments de contexte peu favorables pour le secteur fluvial. Le CAF dresse la liste suivante :

- Le tourisme est la seule activité fluviale en croissance depuis plusieurs années. La croisière fluviale sur les fleuves français représente 17% du transport fluvial de passagers européen. Pourtant, ce secteur a connu un coup d'arrêt en 2016 suite aux attentats et des pertes de chiffres d’affaires importantes liées aux épisodes de fortes crues en 2016 et 2018.

- Les mises aux normes techniques imposées par la réglementation européenne depuis 2015 ont été évaluées par le secteur à 30 M€ sur 3 ans.

- Une nouvelle réglementation sur les émissions polluantes des moteurs non routiers (règlement (UE) n°2016/1628) incite les opérateurs de tourisme à mettre à niveau leurs moteurs diesel, avec un surcoût de 50% dû au saut d'exigences : la profession demande des subventions au niveau français et européen pour l’accompagner.

- Le cadre réglementaire européen nécessite actuellement des dérogations adossées à une étude de risques coûteuse pour autoriser d'autres propulsions que le diesel, ce qui est hors de portée des petits opérateurs, qui n’ont donc pas d’alternative au diesel.

Le CAF souligne encore que « la suppression de la chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA), prévue dans le projet de loi de finances 2019, entraîne des tensions fortes parmi les entreprises ».

Au final, le CAF relève qu’en parallèle, la seule mesure actuellement portée par le gouvernement en faveur du secteur fluvial est l’accompagnement de la constitution d’une interprofession fluviale, afin de permettre au secteur de se structurer pour porter des actions collectives. « Cette mesure de suppression du GNR est de nature à dissuader la filière fluviale à envisager de se restructurer au sein de la création d’une «interprofession fluviale», projet porté par la ministre des Transports et d’engendrer des troubles difficilement contrôlables voire des effets d’éviction ».

En définitive, pour le CAF,  « le rapport coût / bénéfice de la mesure est totalement disproportionné au regard des enjeux, s’agissant d’un secteur, le transport fluvial, dont le modèle économique réside exclusivement dans la mobilité contrairement aux autres secteurs concernés par la mesure de suppression du GNR ».

En conclusion, le CAF, au nom du secteur, demande à l’Etat de surseoir à cette mesure et d’accompagner la transition énergétique du secteur fluvial.

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