Vu la structure du réseau fluvial flamand et l’importance des ports en question, la place qu’occupent Anvers et Gand n’a rien de surprenant. Ce sont des plaques tournantes et des points de passage obligés pour la majeure partie du trafic fluvial.
Deuxième port maritime européen, directement connecté aux bassins du Rhin et de la Meuse par la liaison Escaut-Rhin qui le relie à Rotterdam, et par le canal Albert vers Liège, Anvers a accueilli l’an dernier plus de 59 000 unités, qui ont généré un trafic fluvial record de 102 Mt. Gand reçoit près de 15 000 unités fluviales par an (qui ont acheminé ou emporté près de 23 Mt de marchandises), mais en voit passer au moins deux fois plus en raison de sa situation géographique à la croisée du canal maritime vers Terneuzen, du canal vers Ostende, de la Lys et de l’Escaut. Pour les fournisseurs de carburant, la combinaison est dans les deux cas idéale.
Peter De Wit dirige la société de soutage De Wit Bunkering, un des grands acteurs sur la place anversoise et gantoise avec des firmes comme Agaat et Vans Bunkers. Selon lui, le marché belge du soutage représente un volume total de quelque 120 millions de litres de carburant par an. Dans son estimation, cette activité se déroule à près de 80 % à Anvers. Les 20 % restants étant à répartir entre Gand et la Wallonie.
« Nous sommes pour ainsi dire à la source et tout bateau opérant en Flandre passe tôt ou tard par Anvers. Avec son complexe pétrochimique, ses raffineries et ses grands terminaux à conteneurs, Anvers attire un très grand nombre de bateaux. Ceux-ci peuvent faire le plein pendant qu’ils attendent de charger ou décharger ou effectuent un transbordement. Pour eux, cela signifie qu’ils ne perdent pas un temps additionnel pour leur soutage. Quant à nous, nous pouvons ainsi opérer de façon plus efficace et plus compétitive, même si, dans un port comme Anvers, nous sommes tenus d’offrir des prestations 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et que ce niveau de service n’est pas bon marché ».
Moins d’opérateurs
Cela ne veut pas dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, laisse entendre Peter De Wit. « La mise en service de la darse du Deurganckdok et le déplacement de la majeure partie du trafic de conteneurs vers la Rive gauche n’ont pas été un cadeau pour les entreprises de soutage. Nous sommes désormais plus souvent obligés d’opérer devant et derrière les écluses. Cela se traduit par des délais supplémentaires et fait grimper nos coûts d’exploitation, par exemple, en nous obligeant, dans certains cas, à mettre un second navigant à bord de nos avitailleurs pourtant équipés pour la navigation en solo ».
Le nombre d’opérateurs actifs dans le secteur a fortement baissé au cours des décennies passées. De nouvelles concentrations et des faillites ont eu lieu après la crise. « Le trafic maritime ne cesse d’augmenter à Anvers et le trafic fluvial a lui aussi progressé, mais nous n’avons toujours pas retrouvé le niveau d’activité de 2008. L’agrandissement d’échelle se manifeste aussi dans la navigation intérieure et le nombre de bateaux va donc en diminuant (ils étaient plus de 66 600 en 2005, NDLR). En outre, tout le monde est désormais très conscient de la nécessité de réduire ses coûts et de maîtriser sa consommation de carburant, même quand les prix pétroliers sont orientés à la baisse. Enfin, les outils technologiques actuels permettent de mieux adapter la vitesse des bateaux en fonction de la disponibilité des écluses. Le temps de la forte croissance est passé et les volumes régressent même quand on ne perd pas de clients. La concurrence reste dès lors très forte, y compris avec nos collègues néerlandais, qui bénéficient de leur meilleure implantation pour tout ce qui concerne la navigation rhénane », constate Peter De Wit.
C’est une des raisons qui ont amené De Wit Bunkering à diversifier son activité pour englober un plus large éventail de fournitures et articles à la batellerie, d’outils et équipements jusqu’à des cordages, peintures, outils divers, etc. « Nous misons très fort sur cette combinaison qui existe depuis toujours aux Pays-Bas, avec la formule des stations de soutage implantées le long de voies navigables ». De Wit Bunkering se charge aussi d’approvisionner les bateaux en eau potable, d’autant que rien n’est prévu pour cela au Deurganckdok. « C’est la règle aux Pays-Bas, mais nous sommes les seuls à le faire en Belgique », assure-t-il.
Diversification nécessaire
L’avitailleur fluvial reste l’outil de référence. Il s’agit le plus souvent d’unités d’une capacité de 300 t, qui distribuent non seulement le carburant mais aussi les huiles et lubrifiants dont la navigation intérieure a besoin. D’après un rapide calcul de Peter De Wit, sept de ces bateaux (d’une longueur maximale de 35 m et qui ne devront pas répondre à l’obligation de la double coque avant 2038) sont disponibles à Anvers, deux à Gand.
« Travailler avec des camions-citernes est plus cher, leur capacité est nettement plus faible et les livraisons se limitent alors au carburant. De plus, il est devenu de plus en plus difficile d’accéder au quai côté terre. Les règles en matière de sécurité ont été fortement renforcées, notamment avec le code ISPS, et les terminaux à conteneurs et citerniers sont de loin les plus sécurisés. Nous tentons d’éviter d’avoir recours au camion, mais en dehors des ports, cela n’est évidemment possible que là où des avitailleurs sont présents ».
De Wit Bunkering était partie prenante dans le projet de station de soutage pour GNL à Anvers, mais devant l’importance des investissements à fournir, celui-ci n’a pas abouti. Les incertitudes économiques, les normes plus sévères, les lacunes dans le cadre législatif ont contribué à cette impasse. Peter De Wit ne table pas sur une percée rapide du GNL dans la navigation intérieure. « La crise est aussi passée par-là ».