Le 20 septembre 2018, dans le cadre de l’évaluation à mi-parcours du programme d’action pour les voies d’eau intérieures de l’Union européenne (baptisé Naiades II) et qui s’applique pour la période 2014-2020, la Commission européenne (CE) a publié un « document de travail sur l’état d’avancement de la numérisation dans le secteur fluvial ».
En introduction, la CE précise que son document de travail se fonde sur l’étude Dina, pour Digital Inland Waterway Area study ou étude sur les voies de navigation intérieure numériques, publiée en octobre 2017. Elle rappelle la principale conclusion de cette étude a été : « Jusqu’à présent, en matière de numérisation dans le secteur de la navigation intérieure, l’accent a été principalement mis sur la fourniture de Services d’information fluviale (SIF ou RIS pour River Information Services) par les autorités des différents Etats membres », conformément à la directive du 7 septembre 2005.
Comme autre texte ayant porté sur la numérisation de la navigation intérieure, le document de la CE indique la directive du 14 septembre 2016 qui établit les prescriptions techniques applicables aux bateaux de navigation intérieure. Elle s’applique concrètement par l’intermédiaire de la base de données Hull.
Il y a aussi la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles en navigation intérieure du 12 décembre 2017. Ce texte prévoit que « des exigences harmonisées en matière de qualifications professionnelles pour les membres de l'équipage de pont et le personnel de sécurité permettront d'assurer la reconnaissance sur toutes les voies navigables intérieures des certificats de qualification délivrés conformément à ces exigences ». Parmi les applications concrètes de cette directive, il y a la mise en place d’une base de données par la CE pour faciliter les échanges d’informations entre les autorités des Etats membres pour les données relatives aux certificats, aux livrets de service et aux livres de bord.
Il y a encore le règlement RTE-T qui établit des orientations pour le développement du réseau de transport transeuropéen dont font partie les infrastructures des voies navigables. Certaines des priorités du règlement portent sur les technologies de l’information et de la communication, telles que la mise en œuvre d’applications numériques (y compris les SIF/RIS), tandis que d’autres traitent de la multimodalité pour faciliter la connexion des infrastructures des voies navigables et des ports intérieurs à celles de fret ferroviaire et de transport routier. Plusieurs projets financés par le mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) soutiennent la réalisation des objectifs de la réglementation RTE-T.
La CE cite ensuite des textes généraux sur la numérisation/digitalisation qui s’appliquent à la navigation intérieure comme à n’importe quel autre secteur économique. Il s’agit notamment de la directive dite NIS sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information adoptée le 6 juillet 2016, du règlement général sur la protection des données (GDPR) du 14 avril 2016 et entré en vigueur le 25 mai 2018.
Au-delà des textes législatifs, des projets concrets
Au-delà de ces textes législatifs dont l’objectif est d’orienter la navigation intérieure vers la numérisation, il y a des projets concrets qui sont financés par l’UE. Le projet Novimar développe un nouveau concept de transport par voie d’eau appelé « Vessel Train » qui consiste en un « bateau leader », suivi d'une série de « bateaux suiveurs peu nombreux et numériquement connectés ». Le projet Ris-Corridor Management Execution a pour objectif de mettre en place des serveurs de données alimentés de 45 SIF sur des bassins de navigation transfrontaliers, comme l’Elbe, le Danube, le Rhin, le trajet Amsterdam-Liège, l’Escaut. Les services ou données seront mis à la disposition de différents utilisateurs avec des niveaux d’accès plus ou moins restreints. Les utilisateurs iront des autorités de police, de douane, aux gestionnaires d’infrastructures, aux chargeurs, logisticiens, ports, transporteurs, etc. Le projet Upper Rhine traffic management platform mené depuis 2015 de manière commune par les ports du Rhin supérieur consiste en l’introduction d’une plateforme informatique permettant d’optimiser les processus logistiques du transport
3 freins et 3 axes de travail
Toutes ces précisions ayant été faites, le document de travail de la CE, étude Dina à l’appui, souligne : « Il est impératif que le secteur du transport par voies navigables suive l’évolution numérique (développement horizontal et développement en lien avec autres modes de transport) afin d’améliorer sa compétitivité et de faire en sorte qu’il devienne un élément actif d’une chaîne multimodale plus large ». Selon la CE, « trois problèmes clés menacent la compétitivité du secteur du transport par voies navigables » :
1/ Une navigation et une gestion du trafic inefficaces :
La disponibilité limitée d'informations à jour sur les conditions de navigation constitue un problème pour les opérateurs de barges, car il rend difficile pour eux d’adapter les plans de voyage en fonction des conditions en temps réel (par exemple, retards sur un pont ou une écluse, attributions de postes à quai dans les ports, mises à jour d’appels de terminaux dans un grand port comportant plusieurs terminaux). Cela entraîne des retards inutiles, une qualité de service réduite (en termes de ponctualité/ fiabilité) et une consommation de carburant inutilement élevée (par exemple, pour compenser les retards).
2/ Une intégration inefficace dans les processus logistiques :
Les chargeurs, les terminaux et les prestataires de services logistiques font face à des coûts de transaction élevés lorsqu'ils traitent avec des opérateurs de barges En effet, il est plus difficile de trouver, de sous-traiter et de réserver un service adapté en navigation intérieure par rapport que dans les autres modes de transport. En particulier, pour les opérations multimodales (conteneurisées), il est important que les informations sur ces services et leur disponibilité soient plus facilement accessibles, et que les services puissent être gérés efficacement. En outre, peu d'informations sont fournies sur le trajet, ce qui entraîne des difficultés en termes de logistique dans les ports et les terminaux. Les exploitants de terminaux veulent savoir quand une barge va arriver afin de planifier les opérations internes. Il n'y a actuellement aucun système standardisé en place pour fournir cette information, ce qui rend difficile l'optimisation des processus. Cela limite l'utilisation globale des voies navigables intérieures, en particulier dans les chaînes multimodales. Cela représente une perte de revenus potentielle pour les exploitants de barges, car les chargeurs choisissent d’autres modes de transport pour leurs opérations.
3/ Une charge administrative excessive, source de coûts :
Les opérateurs de barges doivent se conformer à la législation en vigueur, qu'elle soit liée à la sécurité/sûreté ou non (par exemple, la fourniture de statistiques). Dans de nombreux cas, cela inclut le dépôt de certaines déclarations auprès des autorités, par exemple lors de voyages avec des marchandises dangereuses et du fret conteneurisé. Les exploitants de barges indiquent qu'ils doivent déposer les mêmes données plusieurs fois, soit pour se conformer à différents aspects de la législation, soit parce qu'ils traitent avec plusieurs juridictions dans des opérations transfrontalières, ou les deux. Le respect de la législation représente donc un lourd fardeau administratif pour ces exploitants, ainsi que des coûts élevés pour les autorités qui doivent vérifier leur conformité.
Pour améliorer ces trois points, la CE propose les trois axes de travail suivants :
1/ Une extension des SIF :
Il s’agirait de fournir des données supplémentaires (en temps réel), en renforçant l'interopérabilité et en rendant les services plus utilisables par les opérateurs de barges, grâce aux nouveaux outils et applications numériques intégrés. L'accent pourrait également être mis sur l'amélioration de l'intégration des SIF existants le long des corridors et sur l'augmentation de la quantité de données en temps réel partagées entre les gestionnaires de l'infrastructure et les opérateurs de barges. Cet échange de données en temps réel pourrait inclure, par exemple, des informations à jour sur le trafic et les conditions de navigation, au-delà des avis actuellement en vigueur.
2/ Une plate-forme de données pour les opérateurs de barge :
Il s’agirait de fournir un environnement dans lequel les opérateurs de barge pourraient conserver leurs données sur les bateaux, les voyages, les cargaisons, les équipages. Il servirait d'interface entre les opérateurs de barge, leurs clients et d'autres parties prenantes, comme les autorités publiques (à des fins de reporting), les ports (intérieurs) et les terminaux. Cette plate-forme permettrait d'optimiser la gestion du trafic (car davantage de données seraient disponibles sur le plan de voyage d'un bateau donné) tout en réduisant le fardeau administratif lié aux diverses exigences en matière de rapports concernant la cargaison, le bateau ou l'équipage. Actuellement, une quarantaine de documents sont conservés sur un bateau à des fins diverses. Le fait de disposer de ces informations en format numérique réduirait la charge à la fois pour les entreprises et les autorités.
3/ Intégrer le secteur du transport par voies navigables aux plateformes de réservation et de gestion des chargeurs et des prestataires de services logistiques :
Cela devrait augmenter la quantité d'informations disponibles (liées à la localisation d’un bateau et à son arrivée prévue, d'une cargaison, à des réservations, etc.) et aider à intégrer la navigation intérieure à la chaîne logistique multimodale.
Ces nouveaux développements doivent au final répondre aux besoins de toutes les parties prenantes soit trois catégories d’acteurs ayant des besoins et des objectifs différents en matière de numérisation dans le secteur de la navigation intérieure : les utilisateurs (les chargeurs, opérateurs et prestataires de services logistiques), le secteur des transports lui-même (les opérateurs de bateaux, les exploitants de terminaux et leurs liens avec les autres modes), les autorités publiques.