La transition énergétique et écologique du secteur fluvial est un enjeu très important aux yeux du ministère de la transition écologique et solidaire, explique Stéphanie Peigney-Couderc, chef du bureau du transport fluvial (PTF 3) au sein de ce ministère. C’est l’une des grandes transitions que doit accomplir ce secteur dans les prochaines années. Les autres enjeux, qui sont aussi des défis, sont l’amélioration du modèle et des performances économiques du transport fluvial, la transition numérique et l’amélioration de l’attractivité de ce secteur, notamment à travers les évolutions des qualifications professionnelles ».
Concernant plus particulièrement le « verdissement », de nombreuses démarches sont actuellement conduites par différentes parties prenantes : ministère de la transition écologique et solidaire, Voies navigables de France (VNF), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la compagnie nationale du Rhône (CNR) ou encore certains gestionnaires portuaires comme Haropa.
« Au dernier trimestre 2018, des discussions ont été conduites pour élaborer un pacte pour le verdissement de la flotte fluviale, dans un contexte de discussions sur une évolution de la fiscalité du gazole non routier, qui concernaient notamment la navigation intérieure mais aussi d’autres secteurs comme le BTP ou l’agriculture, poursuit Stéphanie Peigney-Couderc. L’ensemble des acteurs concernés se sont mobilisés pour déterminer comment enclencher la transition énergétique et écologique du secteur, dans quelles conditions, avec quels objectifs. Le nom du document a rapidement évolué comme « pacte pour le développement du secteur fluvial », et non pas seulement « de la flotte fluviale », dans la mesure où les travaux ont permis d’identifier que les leviers de la transition énergétique et écologique dépassaient largement la question de la flotte ».
Les champs d’action identifiés concernent la réduction des gaz à effets de serre et des émissions polluantes des moteurs (en navigation mais également en stationnement), la gestion des eaux usés à bord des bateaux et à terre le long des voies navigables, les déchets produits à bord (eaux de fond de cale, huiles moteurs, déchets domestiques, etc.) et leur évacuation la plus respectueuse de l’environnement possible. Les deux derniers points relèvent au niveau international de la convention relative à la collecte, au dépôt et à la réception des déchets survenant en navigation rhénane et intérieure (CDNI). Celle-ci s’applique en France essentiellement sur le Rhin et la Moselle internationale. « L’idée est d’élargir cette convention aux autres voies navigables françaises non internationales, non seulement car c’est un outil très élaboré pour la gestion des déchets et qui a fait ses preuves ailleurs, mais aussi car la situation actuelle crée des difficultés pour les bateliers néerlandais ou belges qui sont soumis aux règles de la CDNI et doivent justifier de leur gestion des déchets auprès des autorités de leur pays après une navigation sur le territoire français », précise Thomas Thiébaut, chargé des performances environnementales du transport fluvial.
Une feuille de route et des axes de travail
Si les mesures concernant la fiscalité des carburants n’ont pas abouti fin 2018, le travail sur le « Pacte pour le verdissement » a toutefois continué, dans un calendrier plus détendu et en associant davantage de participants. L’objectif est désormais que ce document d’engagement mutuel et de cadrage soit prêt pour le colloque sur « le transport fluvial à l’heure de la transition énergétique » organisé par VNF à Paris le 29 mai 2019. Sont ainsi associés aux travaux des représentants de deux ministères, celui de la transition écologique et solidaire dans sa partie transports ainsi que l’Intérieur concerné par les flottes des brigades fluviales de gendarmerie et de police, ainsi que des services d’incendie et de secours. Participent également les gestionnaires d’infrastructure fluviales et portuaires (VNF, CNR, l’association française des ports intérieurs, Haropa, etc.), les représentants de la profession (Comité des armateurs fluviaux, Chambre nationale de la batellerie artisanale), les pêcheurs professionnels en eaux intérieures, ainsi que l’ADEME. « Nous cherchons également à associer les collectivités locales qui sont, localement, des acteurs essentiels de la transition énergétique et écologique du fluvial et qui disposent de moyens d’action notamment en matière de réglementation locale à travers la mise en place de zones à faibles émissions », indique Stéphanie Peigney-Couderc.
Le « Pacte pour le verdissement du secteur fluvial » a l’ambition d’être une feuille de route, de définir quelles sont les conditions pour que la transition énergétique du fluvial devienne une réalité, de déterminer les moyens pour y parvenir. « Les discussions portent sur plusieurs grands axes de travail, détaille Stéphanie Peigney-Couderc. Le premier axe porte sur des mesures à effets rapides. Cela concerne l’installation de bornes électriques le long des quais à travers un schéma de déploiement ». Sachant que les besoins de puissance, par exemple, diffèrent selon les types de bateaux. « Des adaptations législatives sont nécessaires et font l’objet de travaux dans le cadre du projet de loi d’orientation des mobilités. Nous avons en effet la chance actuellement de pouvoir utiliser ce texte dont l’un des objectifs est de permettre la transition énergétique des transports ».
Le deuxième axe de travail concerne la recherche et le développement (R&D). « Il s’agit de déterminer comment obtenir des moteurs fonctionnant avec des énergies alternatives peu ou pas émettrices de gaz à effet de serre et de particules polluantes, et comment les autoriser d’un point de vue réglementaire. C’est notamment prévu par le projet en cours d’arrêté ministériel dit de « zone restreinte », actuellement en consultation auprès de toutes les parties prenantes concernées pour avis et retours. Notre objectif est une publication de ce texte avant l’été », poursuit Stéphanie Peigney-Couderc.
« L’arrêté ministériel « zone restreinte » permettra de déroger à tout ou partie de la réglementation technique pour faciliter la réalisation de projet de bateaux innovants utilisant des carburants ou sources d’énergie alternatifs, sachant que, pour le moment, seuls sont autorisés en navigation intérieure le diesel, le GNL et l’électrique, relève Thomas Thiébaut. L’arrêté permettra aux bateaux de naviguer sur une partie du réseau national des voies navigables. Cela permet aux projets d’avancer sans attendre les évolutions réglementaires au niveau de la CCNR ou de l’Union européenne ». Il appartient au ministère de porter le dossier au niveau de l’Union européenne ou de la CCNR pour une demande de dérogation, mais en attendant que cela avance, le bateau peut être exploité en France.
Les aides financières sous plusieurs formes possibles constituent un troisième axe de travail pour accompagner la transition énergétique et écologique du fluvial. « Il y a bien évidemment le plan d’aide à la modernisation et à l’innovation 2018-2022 de VNF mais ce n’est pas suffisant, souligne Stéphanie Peigney-Couderc. Nous travaillons sur une évolution des certificats d’économie d’énergie en lien avec VNF et l’ADEME. Nous échangeons avec des établissements bancaires, en particulier la Caisse des dépôts et la Banque publique d’investissement (BPI France). La difficulté à lever est le manque de structuration du secteur et des projets qui n’arrivent pas à convaincre les banques d’investir. Dans ce cadre, la création d’une interprofession fluviale constituerait un levier important pour avancer ». Le ministère cherche également à proposer des évolutions fiscales pour encourager la transition énergétique du secteur fluvial, telle qu’une révision du suramortissement pour les motorisations « propres » installées à bord de navires et bateaux, prévu par la loi de finances pour 2019, qui n’est en l’état pas adapté au secteur fluvial. Mais il faudra encore convaincre le ministère de l’action et des comptes publics du bien-fondé de ces propositions.
Stéphanie Peigney-Couderc conclut : « L’ambition générale est de montrer que le secteur fluvial est moteur en matière de transition énergétique et écologique, de donner de la lisibilité à chacun pour savoir où va le secteur fluvial en la matière et avec quelles dispositions, tout en coordonnant l’ensemble des initiatives pour permettre une approche cohérente de cette transition ».