En fin d’année dernière, au cours de la traditionnelle conférence de presse, la communauté maritime et portuaire flamande ne cachait pas sa satisfaction à l’énoncé du nouveau record que le port scaldien avait enregistré en 2019. L’exercice s’était clôturé sur un trafic global de 238 Mt, en hausse de 1,3 %. Mais c’était surtout le conteneur qui accrochait les sourires. Avec un volume de 11,87 MEVP, le segment signait son 7e record d’affilée et engrangeait une nouvelle croissance de 6,9 % en unités et de 6,2 % en tonnage (soit 138,9 Mt). Cela en fait un poids lourd du port, avec 58 % du trafic global. La chute libre du conventionnel/breakbulk, pilier autrefois historique de – 18 %, à 8,35 Mt, et du ro-ro (– 3,5 % à 5,14 Mt) douchaient à peine cet enthousiasme.
Les vracs liquides et secs, respectivement à 72,5 Mt (– 4,4 %) et à 13,5 Mt (+ 3,4 %) passaient de façon quasi inaperçue.
Un premier trimestre contre toute attente
La communauté anversoise se félicitait alors de la décision du gouvernement flamand d’approuver le projet « ECCA – Extra capacité conteneurs pour Anvers », validant une extension alors que l’infrastructure approche de sa pleine capacité, estimée à 10 MEVP. Le chantier prévoit un prolongement des quais des terminaux à marée sur la rive droite qui vont apporter 1 MEVP supplémentaires.
À l’issue des trois premiers mois de l’année, et contre toute attente, le port scaldien affichait encore un trafic maritime de conteneurs en hausse de 9,5 % en unités (soit 3,02 MEVP) et de 9,4 % en tonnage (35,9 Mt) sur un an. En cela, la manutention des boîtes venait à la rescousse d’autres segments moins fortunés, tels les marchandises diverses conventionnelles (– 27,8 %) et les véhicules (– 18 %), et permettait au n° 2 européen de rester en croissance (+ 4 %), à 59,1 Mt.
Dans un contexte où les alliances se mettaient à supprimer les traversées, les grands terminaux à marée ont effet continué à bien travailler durant les trois mois de l’année. La désertion est même restée limitée puisque 3 476 navires y ont fait escale, soit à peine un peu moins qu’au premier trimestre 2019.
Le plus grand terminal anversois, le MPET exploité conjointement par MSC et PSA, a traité 1,97 MEVP et enregistré une progression de 10 %.
Le terminal Antwerp Gateway, que gère l’opérateur émirati DP World, a clôturé le trimestre avec 700 000 EVP alors que Antwerp Container terminal (groupe Sea Invest), avec 120 000 EVP, provoquait la surprise avec une croissance de 20 %.
Seul l’Antwerp Euroterminal (groupe Grimaldi) détonnait avec ses volumes en recul de 10 %, à 70 000 EVP, reflet du fléchissement du trafic avec l’Amérique du Sud, ainsi qu’avec certaines régions de la Méditerranée.
Contrairement à son grand challenger Rotterdam, Anvers a vu ses vracs se maintenir durant les trois premiers mois de l’année avec une légère hausse de 1,2 %. « Au cours de cette période, trois fois plus de charbon ont été traités qu’à la même période l’année dernière en raison de la spéculation accrue sur ce produit », justifie Anvers.
L’arrêt du commerce automobile a eu en revanche un double effet: une réduction des importations d’acier d’une part et une baisse de 18 % du nombre de voitures neuves d’autre part. Le volume total de ro-ro a plongé de 20,3 %. Les marchandises diverses ont fini en contraction de 36,8 %.
Résistance aux blank sailing
Jacques Vandermeiren, le PDG du port d’Anvers, avait néanmoins prévenu. « L’impact de la crise au cours du premier trimestre est resté assez limité, mais il se fera sentir au deuxième trimestre avec des départs annulés, la fermeture de grands secteurs industriels tels que l’industrie automobile en Europe occidentale et le changement de comportement des consommateurs », anticipait-il début avril.
La fréquentation de ses terminaux par les grandes alliances – MPET où escalent notamment les navires du partenaire de l’alliance 2M, Maersk et Antwerp Gateway dont le grand client est Ocean Alliance – laissait peu de doutes sur la sanction du deuxième trimestre.
In fine, fin juin, la direction portuaire a présenté un premier semestre en baisse de 4,9 %, à 193 Mt.
Malgré les annulations de navigation, le conteneur est resté en zone verte avec 5,87 MEVP (+ 0,4 %) par rapport au premier semestre 2019, ce qui constitue tout de même une performance honorable puisqu’avril et mai 2019 avaient enregistré des records de trafic.
Au total, Anvers a reçu 6 797 escales de navires de janvier à juin, soit une baisse de 5,6 % par rapport au premier semestre 2019.
Des trafics plombés
Dans le conteneurs, le nombre d’escales a également diminué, mais davantage de conteneurs ont été chargés ou déchargés par navire. Un phénomène qu’illustre l’arrivée sur les rives de l’Escaut, début juin, du HMM Algeciras, un mastodonte de 23 964 EVP.
Les autres catégories de marchandises n’ont en revanche pas résisté à la lame de fond: – 7,5 % pour les vracs liquides, – 13,1 % pour les vracs secs, – 21,8 % pour le roulier et même – 29 % pour le breakbulk, tirés vers le bas par la conjoncture des produits métallurgiques. Du côté du trafic roulier, ce sont les véhicules légers qui ont plombé l’activité de ce premier semestre. « Le secteur automobile était déjà en difficulté en 2019 avec l’introduction de règles plus strictes sur les émissions des voitures en Europe », indique le port d’Anvers. « À partir du mois de mars est venue se greffer la crise sanitaire qui a réduit comme peau de chagrin les exportations de voitures neuves européennes, limité les offres de voitures neuves asiatiques et suspendu le marché de l’occasion en raison des restrictions de déplacements. »
En ce qui concerne les vracs secs, la baisse de la demande d’énergie au niveau européen a donné un coup d’arrêt aux importations de charbon via Anvers, qui avaient pourtant progressé au premier trimestre. La fermeture de centrales électriques au charbon commence par ailleurs à se refléter sur les trafics.
Pour les vracs liquides, la baisse de trafic enregistrée à Anvers s’explique par la moindre demande de pétrole du fait de la crise sanitaire, ainsi que par la diminution de 8,9 % du volume de produits chimiques liée, selon le port, à « une diminution de la demande provenant principalement du secteur automobile ».
Trafic
2019
238 Mt, + 1,3 %
1er semestre
193 Mt, – 4,9 %
Anvers et sa quête de parts de marché
En attendant la reprise, si les projections de trafics ne sont pas radicalement transformées par la crise mondiale, l’ingéniosité sera nécessaire pour absorber la récession. La capacité du Deurganckdok devra être réduite momentanément pour des raisons de restitution de terrain entre opérations prévue dans des contrats initiaux. « 2021-2022 sera un peu plus difficile, mais les grands acteurs ici y sont préparés », assure toutefois Jacques Vandermeiren.
En outre, dans la zone portuaire de la rive gauche de l’Escaut, dont l’accès est assuré par la nouvelle grande écluse à l’extrémité du Deurganckdok, il est prévu de combler une petite darse de manière à réaliser un long quai de près de 900 m pour un terminal d’une capacité de plus de 1 MEVP.
Enfin, il y a le fameux projet Saeftinghe, dont on parle depuis plus d’une décennie et qui est censé soulager le Deurganckdok. Il consiste en la construction d’un grand quai à marée de 1 500 m. Mais sa localisation controversée à l’endroit du village de Doel reporte une éventuelle mise en service à 2024-2025.
Ces chantiers ont un enjeu. Anvers, dans la roue de Rotterdam, tient à préserver sa part de marché dans la rangée nord-européenne. À l’issue du premier trimestre de cette année, elle était de 28,6 % contre 33,6 % pour Rotterdam qui a perdu près d’un point en un an.