Des agriculteurs polonais ont arrêté un camion transportant des céréales ukrainiennes, le 11 février, alors qu'il traversait la frontière, et déversé sa cargaison, protestant contre ce qu'ils perçoivent comme une concurrence déloyale de la part de leurs homologues ukrainiens.
"La détérioration des céréales ukrainiennes à la frontière polonaise est inacceptable", a fustigé, sur X, Dmytro Kouleba, chef de la diplomatie ukrainienne. "Il est douloureux de voir les céréales ukrainiennes éparpillées sur la route", a écrit sur Facebook la députée Iryna Guerachtchenko. "Le pain est sacré pour les Ukrainiens. Notre mémoire génétique garde au fond de nous les horreurs de l'Holodomor".
Les réactions suscitées par le déversement ont été vives en Ukraine, pays à forte tradition agricole confronté depuis deux ans à l'invasion russe. Le pays a en effet connu la Grande famine (Holodomor) organisée par le régime stalinien, durant laquelle des millions de personnes sont mortes en 1932-1933.
Le ministère ukrainien de la Politique agraire a déclaré dénoncer fermement la destruction délibérée de céréales, qui "n'a rien à voir avec des protestations pacifiques". "Nous suivons de près l'enquête sur cet incident et espérons que les auteurs seront rapidement identifiés et punis", a-t-il ajouté.
Des frictions entre la Pologne et l'Ukraine
Sur des images partagées sur les réseaux sociaux, on peut voir des tas de céréales, parfois recouverts d'un drapeau de l'UE, au milieu d'une route, dans le cadre de manifestations organisées à travers toute la Pologne pour protester contre la concurrence de l'Ukraine et les lourdes réglementations européennes.
Certains participants à ces protestations appartiennent à l'extrême droite polonaise et ont précédemment pris part à l'organisation du blocus de la frontière par des routiers polonais fin 2023.
Le parquet polonais a annoncé avoir ouvert une enquête. "Nous sommes en train de réunir des documents, nous interrogeons des témoins et conservons des images qui constitueront probablement des éléments de preuve essentiels", a déclaré Agnieszka Kepka, porte-parole du parquet de Lublin, précisant que les responsables pouvaient risquer jusqu'à cinq ans de prison.
La Pologne avait interdit les importations de céréales ukrainiennes sous le précédent gouvernement nationaliste du PiS, mais a maintenu cette interdiction après l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle coalition pro-UE en octobre 2023. Et ces derniers jours, les autorités polonaises ont évoqué la possibilité d'imposer de nouvelles interdictions d'importation de produits agricoles ukrainiens pour protéger leurs agriculteurs.
Le pays compte parmi les plus grands soutiens de l'Ukraine depuis l'invasion russe, mais les frictions liées à l'interdiction unilatérale des importations de céréales par Varsovie ont entamé les relations entre les alliés.
L'Union européenne invite aux négociations
Le 12 février, la Commission européenne a indiqué continuer à chercher des solutions qui permettraient de préserver "un soutien économique maximal à l'Ukraine", ravagée par deux ans de guerre.
"Nous pensons que le travail doit être fait non pas à la frontière, non pas dans une situation de pression, mais en s'asseyant à la table des négociations", a déclaré Olof Gill, un porte-parole de la Commission.
"Les agriculteurs ukrainiens travaillent sous les bombardements constants de l'ennemi et subissent d'énormes pertes. Ils paient leurs récoltes très cher, parfois avec leur vie", a, de son côté, renchéri le ministère ukrainien de la Politique agraire. "L'absence de réaction des autorités polonaises face à la destruction des livraisons entraînera davantage de xénophobie et de violence politique", a ajouté Taras Katchka, vice-ministre ukrainien de l'Économie.