Durant environ 2h15, devant une dizaine de sénateurs, Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, a exposé sa vision de l'énergie de demain, point d'orgue d'une commission d'enquête sénatoriale lancé il y a plusieurs mois et dont le rapport est attendu pour mi-juin. Objet : le respect par le groupe pétro-gazier des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France.
L'audition s'est déroulée, sans réelle passe d'armes pourtant anticipée alors que le patron de la multinationale devait affronter le sénateur écologiste Yannick Jadot, à l'origine de la commission présidée par le LR Roger Karoutchi et très critique envers la stratégie du groupe.
« Bien sûr, vous investissez sur les énergies renouvelables (...) mais notre souhait serait que Total soit le grand groupe pionnier, peut-être moins rentable, qui emmène ses capacités d'investissement sur un autre chemin que celui que vous prenez », a placé d'emblée le sénateur de Paris, rapporteur de la commission.
Seuls les hydrocarbures rapportent des profits aujourd'hui
Après avoir exposé des données sur le marché, et notamment la demande mondiale en énergie, qui doit être couverte par une offre suffisante pour disposer d'une énergie « disponible, durable et abordable », le PDG du groupe français a clairement indiqué qu'il fallait construire autre chose avant de débrancher les énergies fossiles.
« Si je veux investir dans le système B [les énergies décarbonnées, NDLR], il faut que je tire l'argent de quelque part (...) donc nous continuons à investir dans le système A [les hydrocarbures, NDLR] », a expliqué le dirigeant avec une pédagogie béotienne. Et de rappeler qu'à ce jour, seules les énergies profits sont sources de profits.
Nouvelle bible du climat
« Si nous n'investissons pas dans le système pétrolier et c'est la même chose pour le gaz, on aura un déclin de l'offre et à ce moment-là, les prix montent au ciel », a prévenu Patrick Pouyanné, ne cherchant pas à dissimuler son agacement d'être perçu comme "la source de tous les maux ».
À l'évocation du scénario de neutralité carbone en 2050 de l'Agence internationale de l'énergie qui met au ban tout nouveau projet d'origine fossile (y compris le GNL), le PDG s'est irrité contre une « nouvelle bible » et « un scénario théorique ».
Dans la vision de TotalEnergies, partagée par d'autres groupes énergétiques, le gaz, qui rejette moins de CO2 que le pétrole et le charbon, permettra de faire la transition vers les énergies renouvelables.
Pourquoi renoncer au GNL ?
Le patron a notamment défendu le rôle de ses contrats de gaz liquéfié (GNL) en provenance de Sibérie pour continuer à alimenter l'Europe. « Si nous décidons de bannir ce GNL russe, ces 14 Mt [importés annuellement en 2022 et 2023], il faudra aller les chercher ailleurs en payant plus cher », a-t-il prévenu.
Le PDG ne voit pas non plus pourquoi il renoncerait à sa production de gaz en Azerbaïdjan, pays hôte de la future conférence climatique de la COP29 en novembre, et dont l'offensive dans le Haut-Karabakh a été critiquée dans l'UE.
« Si l'Europe, les Nations-Unies considèrent qu'il faut prendre des sanctions contre l'Azerbaïdjan, nous les appliquerons ».
Le prochain paquet de la Commission européenne pourrait en effet contenir des restrictions visant pour la première fois le GNL. Il ne s'agirait pas d'une interdiction stricte des importations mais du transbordement de navire à navire dans l'UE. Les services de la Commission se refusent à tout commentaire mais cette dernière a entamé des discussions informelles avec les États membres.
Une autre mesure proposée consisterait à imposer des sanctions à trois projets – Arctic LNG 2 (projet porté par Novatek, dont TotalEnergies est actionnaire pour lequel elle a déclaré un cas de force majeure en raison des sanctions), Ust Luga et Mourmansk –, dont aucun n'est encore opérationnel.
Reprise au Mozambique
La reprise du projet de GNL au Mozambique, suspendu en 2021 après une attaque jihadiste, reste elle conditionnée à une évaluation de la situation sécuritaire, stabilisée dans le nord du Cabo Delgado, rappelle-t-il.
En février, le PDG avait évoqué une relance du projet. « On doit rencontrer prochainement le président du Mozambique pour qu’il me dise s’ils sont capables d’assurer la sécurité dans cette région », temporise-t-il aujourd'hui.
TotalEnergies a déclaré la force majeure sur le projet Mozambique LNG en avril 2021 et a retiré tout le personnel du site en raison de nouvelles attaques.
Mozambique LNG comprend le développement de champs gaziers offshore dans la zone 1 du Mozambique et une usine de liquéfaction de 12,8 Mt par an dans le complexe d'Afungi. Le japonais Mitsui, le mozambicain ENH, le thaïlandais PTT et les sociétés indiennes ONGC, Bharat Petroleum et Oil India, sont par ailleurs impliqués dans ce projet.
Yamal, objet de sanctions ?
À l'occasion de la présentation des résultats financiers du premier trimestre, le président du groupe avait aussi répondu à une question concernant les sanctions potentielles de l'Union européenne sur le projet Yamal LNG (capacité de 17,4 Mt par an), exploité par Novatek (50,1 %) et dont il est actionnaire à hauteur de 20 %.
En décembre 2022, l'entreprise a également déprécié sa participation de 19,4 % dans Novatek et a retiré ses représentants du conseil d'administration du producteur de gaz russe.
« Si l'UE sanctionne Yamal LNG, le prix du GNL augmentera rapidement. Et globalement, notre portefeuille en bénéficiera. C'est donc un point positif s'il y a des sanctions, et non un point négatif, car les liquidités provenant de Yamal sont assez limitées, contrairement à ce que vous pourriez tous penser », avait voulu démontrer par l'absurde la non-pertinence de certaines sanctions tout en précisant que sa société n'avait pas perçu de dividendes de Yamal LNG en 2023.
Aussi, avait-il précisé, ne couvrant plus les volumes de Yamal, il vend le gaz issu de ce gisement au prix TTF en Europe alors qu'il l'achète sur la base du Brent. « Cela signifie que l'opération n'est pas très rentable compte tenu du contrat de cette année » Avant de prévenir : « si l'UE prend des sanctions, nous devrons certainement exercer la force majeure sur certains contrats (...) Mais je ne pense pas que les dirigeants européens veuillent à nouveau voir une crise en Europe jusqu'en 2027 ».
A.D. (avec la contribution de l'AFP)