Qu’il s’agisse du bénéfice ajusté avant intérêts, impôts et amortissements (- 56 %), du bénéfice avant intérêts et impôts (- 68 %), du résultat net (- 65,9 %) ou du chiffre d’affaires (- 26,4 %, à à 14,2 Md$), tous les indicateurs de Maersk ont décroché par rapport au premier trimestre 2022. Mais par rapport à l'ére antecovidienne, les premiers résultats de l’année 2023 restent dans la catégorie exceptionnelle.
Avec un Ebitda de 3,97 Md$ (versus 9,08 Md$ au premier trimestre 2022), un Ebit de 2,32 Md$ (vs 7,27 Md$) et un résultat net de 2,32 Md$ (contre 6,8 Md$), les ratios ont trompé les attentes des analystes financiers. Les marchés tablaient sur un Ebitda de 3,5 Md$ et un résultat d’exploitation de 1,9 Md$.
Si Maersk n’entrevoit pas de significative amélioration avant le troisième trimestre – plusieurs tests d’endurance et un passage du gué seront à éprouver d’ici là –, le deuxième armateur mondial maintient ses prévisions pour l’année, à savoir un Ebitda compris entre 8 et 11 Md$ et un Ebit entre 2 et 5 Md$.
Dans un climat d’hostilités (guerre en Ukraine, tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis), le groupe de transport et logistique estime que la demande mondiale de conteneurs devrait se situer entre - 2,5 % et + 0,5 % cette année.
Deux déterminants de rentabilité pour les armateurs
A la lecture du rapport d’analyse du premier trimestre, plusieurs facteurs influenceront la rentabilité des mois à venir pour le groupe danois mais aussi plus globalement de l’ensemble de la classe. Le déstockage sera inéluctablement un fil conducteur puisqu'il est le principal argument avancé par l'ensemble des armateurs de porte-conteneurs pour justifier la léthargie. De son terme dépendra la reprise de la demande de transport.
Si aucun ne s’aventure à lui fixer un horizon, ils sont tous d’accord pour dire qu’il y aura bien un « moment où il faudra recharger les entrepôts ». Un consensus se dégage pour le troisième trimestre, pas avant. « Bien qu'il soit difficile de prévoir le moment exact, nous nous attendons à une reprise progressive des volumes au cours du second semestre de l'année », élude Vincent Clerc, le récent PDG de Maersk.
La discipline des transporteurs – gérer les capacités au cordeau, ne pas céder à la guerre des prix –, sera un autre élément déterminant. Du comportement « raisonnable » des transporteurs sera fonction la reprise des taux de fret. Pour ce qui le concerne, Maersk a joué le jeu en mettant au chômage 57 navires durant le premier trimestre, soit une capacité de 447 000 EVP.
Un passage du gué pour Maersk
Enfin et surtout, le second semestre sera un passage du gué pour Maersk qui place grande partie de ses capacités sur le contractuel long terme. À cette échéance, tous les contrats fixés l’an dernier à prix très élevés auront été résiliés. Avec le risque d’un glissement vers le spot, moins cher pour les chargeurs.
Plus des deux tiers des contrats (67 %) avaient été conclus à l'échelle mondiale à fin mars, indique le transporteur, et à des taux (encore) légèrement supérieurs au spot.
Les activités maritimes : - 5,7 Md$
Le chiffre d'affaires des activités maritimes a perdu quelque 5,7 Md$ pour s’établir à 9,9 Md$. Les volumes transportés (2,74 MEVP contre 3 MEVP) ont baissé sur toutes les lignes, plus fortement sur les marchés Est-Ouest et intra-régionaux (- 12,5 % pour chaque trade).
Quant au revenu moyen par EVP, il est passé en un an de 4 553 $ à 2 871 $. Si la baisse moyenne est de 36,9 % par rapport au premier trimestre 2022 et de 26 % par rapport au quatrième trimestre 2022, elle est de plus de 46 % sur les voies royales de la navigation pour les porte-conteneurs (les trois marchés Est/Ouest). Mais le trade Nord/Sud et l’intrarégional n’échappent pas à la sanction (tous deux en chute de plus de 30 %).
L’utilisation à 88 % de la capacité offerte a été inférieure de 5 % par rapport au premier trimestre 2022 mais supérieure de 5 % comparé au quatrième trimestre.
En revanche, les coûts d'exploitation (6,6 Md$) sont près d’un milliard moins élevé que l’an dernier sous l'effet de la baisse des coûts de réseau et de la manutention des conteneurs, qui ont diminué respectivement de 14 et 11 % par rapport au premier trimestre de l’an dernier. Le soutage a, lui, augmenté de 2,3 % en raison d’un bunker plus cher avec un carburant à 625 $/t contre 611 $.
Logistique : + 592 M$
Dans le secteur de la logistique et des services, le chiffre d'affaires a augmenté de 21 % pour atteindre 3,5 Md$, grâce à la consolidation des acquisitions. Depuis 2019, Maersk a dépensé 7 Md$ afin d'acquérir, à terre, des actifs dans le domaine de l’entreposage et de la distribution (Performance Team), de la gestion sous douane (KGH Customs Services), de la distribution BtoB et BtoC (LF Logistics), du traitement de commandes pour l’e-commerce (Visible SCM, B2C Europe, Huub), de la mode et du lifestyle (ICL), de la livraison du premier et dernier kilomètre (Pilot Freight Services) et de la logistique de projet pour gérer du fret spécial et hors gabarit (Martin Bencher Group), ou encore dans le fret aérien avec Senator International.
Plus précisément, Pilot, LF Logistics, Senator International, Martin Bencher Group et Grindrod Logistics (dont Maersk a acquis 51 % du capital début janvier 2023) ont contribué à hauteur de 859 M$ au chiffre d’affaires trimestriel de la division.
Mais dans ce segment, le bénéfice après dépréciation et perte de valeur, avant amortissements (Ebita), mesure étalon dans ce secteur, a vu la marge passée de 7,1 à 5,1 %. L'Ebitda est resté stable grâce à la consolidation des acquisitions.
« Sur le plan organique, le premier trimestre a été affecté par une baisse des volumes causée par des corrections de stocks, en particulier avec les détaillants nord-américains et européens. Elle a été partiellement compensée par de nouveaux contrats commerciaux. De plus, l'activité a été marquée par la baisse des taux dans le fret aérien [56 000 t transportés] et par une demande plus faible dans l’e-commerce », justifie le rapport.
Terminaux portuaires : - 224 M$
Dans les terminaux, les volumes et les revenus de stockage ont été affectés par la baisse de la demande et la fin de la congestion portuaire. Le chiffre d'affaires est ainsi passé de 1,1 Md$ à 876 M$.
« Les résultats financiers reflètent la normalisation du marché, de l’offre et de la demande mondiales, défend Vincent Clerc, estimant que « les principales économies se sont comportées mieux que prévu au début de 2023 grâce à la baisse des prix de l'énergie, à un hiver chaud, à la réouverture de la Chine et à l'effet de report de la croissance du quatrième trimestre 2022. »
Pour le PDG de Maersk, les armateurs font collectivement face en adoptant un manuel de survie plus rationnel que durant les deux précédents cycles baissiers – 2008-09 et de 2015-16 – au cours desquels la guerre des prix a emmené le secteur vers le fond. Il en veut pour preuve la stabilisation des taux de fret sans qu’ils aient, selon lui, complètement touché le fond, et leur récente reprise à la hausse. Les taux spot (SCFI) ont été en effet proches des niveaux prépandémiques au premier trimestre.
Principales initiatives du premier trimestre ?
À la case « principales initiatives du premier trimestre », on peut lire : « L'alliance 2M entre A.P. Møller - Maersk et MSC se terminera à partir de janvier 2025. Ocean continuera à se concentrer sur l'optimisation du réseau et à répondre efficacement aux besoins de ses clients ».
La capacité moyenne opérée de Maersk est actuellement de 4,21 MEVP. L’ex-leader de la ligne régulière attend ses 19 navires au méthanol, dont le feeder de 2 100 EVP qui sera livré en septembre non sans être théâtralisé. Les services de communication de l’armateur danois ont d'ores et déjà annoncé une semaine de festivités, du 18 au 21 septembre à Copenhague, au cours de laquelle le public pourra se familiariser avec « ce petit morceau d'histoire dans l'industrie du transport maritime ».
« Il permettra aux marins d'acquérir une véritable expérience de l'utilisation du nouveau type de carburant, alors que la compagnie se prépare à recevoir une flotte de nouveaux grands navires océaniques équipés de moteurs bicarburants à partir de 2024 », indique le groupe danois, qui s’est fixé pour objectif de réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre en 2040 pour l'ensemble de ses activités. Pour y être dans les clous, Maersk entend transporter au moins 25 % de ses volumes (par rapport à 2020) avec des carburants verts d'ici à 2030.
Maersk fait diversion mais il aura un souci de capacités, une fois libéré de la sphère de son accord de partage de navires. La compagnie n'a que 29 nouveaux navires d'une capacité totale de 370 000 EVP en commande. Son ex-partenaire, qui a acquis près de 300 navires (neufs et d’occasion) depuis 2020, n’aura pas cet embarras. Selon VesselsValue, les navires neufs qui rejoindront la flotte de MSC d’ici 2025 étofferont sa capacité de 126 nouveaux navires de plus, soit un peu moins de 1,7 MEVP.
Jérémy Nixon, le PDG de ONE, membre de THE Alliance, aux côtés de Hapag-Lloyd, HMM et Yang Ming, n’exclue pas le fait que les deux coreligionnaires poursuivent leur collaboration sur certains itinéraires. « Nous n'avons pas entendu grand-chose de la part des parties quant à la manière dont la séparation sera effectuée depuis la publication de la date de résiliation », a-t-il répondu à la presse lors de la publication de ses résultats du premier trimestre.
Adeline Descamps
Une demande de fret maritime et aérien sensible aux fluctuation des sentiments
La demande de fret maritime et aérien est du reste plus exposée aux fluctuations du sentiment et à la faiblesse de la production manufacturière. « La demande mondiale de conteneurs a été négative au premier trimestre, dans une fourchette comprise entre – 7 % et -10 %, ce qui a entraîné des volumes de l'ordre de 19 millions de FFE [unité de quarante pieds]. Les importations en Europe et en Amérique du Nord ont été particulièrement faibles, surtout en provenance de l'Asie. Elles ont été atténuées par les importations en Afrique, en Asie centrale occidentale et en Amérique latine. La détérioration des volumes globaux est particulièrement visible pour les produits de la distribution, du lifestyle et de la technologie », détaille le rapport.
Dans le fret aérien, où une baisse à deux chiffres devrait être enregistrée au cours des trois premiers mois de l’année, la chimie et le lifestyle l’expliquent en partie. Par régions, l'Amérique du Nord a vu les volumes de CTK chuter en moyenne de 6 % en janvier et février, tandis qu'en Asie-Pacifique et en Europe, les volumes se sont détériorés de 13 % et 18 %, selon l’IATA.