Parce que sa stratégie s'appuie sur les deux maillons actuellement faibles de la ligne régulière, les résultats de ZIM étaient très attendus par certains observateurs du marché, qui prennent un malin plaisir à faire le récit de la vertigineuse dégringolade dans le secteur du conteneur après la très prospère anomalie de 2021-2022 causée par la pandémie. Ils auront trouvé avec l’armateur d’origine israélienne tous les arguments du saisissant contraste entre deux temps.
Les deux critères qui lui ont ouvert les portes de la prospérité durant la pandémie sont ceux qui courent aujourd'hui à sa perte : son exposition « de façon disproportionnée », de l’avis même de son directeur financier, au marché au comptant et la concentration de ses capacités sur le transpacifique.
Une perte nette de 58 M$, deux fois plus qu'en 2019
Sans surprise, le numéro dix du transport maritime de conteneurs, entré en bourse en janvier 2021, a publié le 22 mai des résultats rouge vermillon pour le premier trimestre 2023, au point d’effrayer les marchés qui s’attendaient manifestement à mieux. Son action a dévissé de 16 %.
Conformément à sa politique en matière de redistribution, la société ne versera pas de dividendes aux actionnaires au titre de ses résultats du premier trimestre après avoir habitué ses actionnaires l'an dernier à leur verser jusqu'à la moitié de ses profits.
Pour cause, ZIM a enregistré une perte nette pour le premier trimestre de 58 M$ contre un bénéfice de 1,711 Md$ au premier trimestre 2022. C’est dire qu’elle est même deux fois plus élevée qu’avant la pandémie. Le transporteur avait présenté un résultat négatif de 24,4 M$ fin mars 2019.
L’Ebitda (résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement), de 373 M$, glisse de 85 % entre les deux trimestres de 2022 et 2023. La perte d'exploitation (Ebit, bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts) s’établit à 14 M$ contre un bénéfice de 2,24 Md$ l’an dernier. Les revenus (1,37 Md$) sont en recul de 63 % pour un volume transporté en repli de 10 % (769 000 EVP). Avec sa marge négative de 1 %, la société israélienne présente son premier déficit d'exploitation depuis près de cinq ans.
Le revenu moyen par EVP (1 390 $) est à l’avenant (- 64 % d'une année sur l'autre et – 35 % par rapport au quatrième trimestre). Mais ils restent encore plus élevés de 36 % par rapport au premier trimestre 2019, avant Covid.
Sanction plus sévère
ZIM paie plus sévèrement que d’autre son positionnement. Les bénéfices des compagnies maritimes au premier trimestre – pour celles qui ont à ce stade déclaré leurs données –, ont chuté entre 60 % à 95 % par rapport à l'année précédente.
Pour ceux qui s’en tirent le mieux, Hapag-Lloyd a fait état d'un profit en baisse de 57 %, ses taux de fret en repli de 28 %. Maersk a vu ses bénéfices divisés par trois (- 66 %), tirés vers le bas par ses tarifs en contraction de 37 %.
Le Japonais ONE a vu son résultat net dégringoler de 75 %, le Sud-coréen HMM de 91 %, le Chinois Cosco de 92 % et les transporteurs taïwanais Evergreen et Yang Ming de 95 % et 94 %. Mais tous sont non seulement restés dans le vert mais encore, leur sous-performance financière reste néanmoins meilleure qu'à l'issue du premier trimestre prépandémique, devenu un marqueur.
Les armateurs européens (c’est moins vrai pour les Asiatiques) échappent à la sanction de ZIM car ils ont pu compter, au cours du premier trimestre, sur les derniers mois des contrats à long terme (1er mai 2022-30 avril 2023) qu’ils ont négociés l’an dernier à prix fort. Pour rappel, les taux spot transpacifiques sont tombés en dessous du niveau contractuel à partir de l'été 2022.
Pas d'amélioration avant la seconde partie de l'année
« Les résultats ont reflété la baisse significative des taux de fret et la faiblesse de la demande, en particulier dans le commerce transpacifique, déjà observables l'année dernière », explique Éli Glickman, le PDG de ZIM qui n’entrevoit pas d’amélioration à court terme.
« Nous avons adapté notre politique d’affrètement afin d'améliorer notre structure de coûts avec des navires neufs à faible consommation de carburant », poursuit-il en faisant référence aux engagements pour dix porte-conteneurs de 15 000 EVP à double carburant avec le GNL et aux 36 navires plus petits, dont 18 également à double carburant GNL.
Contrairement à ses homologues qui ont en moyenne la moitié de leur flotte en propriété, ZIM n’a que huit navires non affrétés, ce qui le rend plus vulnérables encore.
En 2021-2022, en manque cruel de navires en période faste, les compagnies maritimes ont loué des navires à prix d’or. Aussi élevés soient-ils, les tarifs d’affrètement étaient largement couverts par des taux de fret encore plus hauts en couleur. Mais aujourd'hui, seuls les mastodontes peuvent résister aux mouvements de roulis inverses. La conjoncture a déjà éjecté toutes les petites compagnies, qui par opportunisme, s’étaient aventurés sur le terrain des grandes lignes.
Un matelas de liquidités
ZIM, le plus petit transporteur des dix leaders mondiaux, peut toutefois s’appuyer sur un matelas de liquidités de 4,25 Md$ au 31 mars (3,5 milliards après le versement de ses derniers dividendes). Loin des maigres 240 M$ de 2019.
Son endettement net a cependant augmenté (381 M$ contre 279 M$ au 31 décembre 2022).
« Nous continuons à anticiper un Ebit positif en 2023 malgré les vents contraires de la conjoncture macroéconomique et de celle de notre industrie, espère le PDG, qui continue de croire à un résultat d’exploitation brut entre 1,8 et 2,2 Md$ et entre 100 et 500 M$ pour l’Ebit. Nous nous attendons à ce que la reprise de la demande et la reconstitution des stocks commencent au second semestre de cette année, ce qui entraînera une amélioration des taux de fret ».
La thèse du surstockage
Éli Glickman reprend à son compte la thèse de « l’effet stock » (valable surtout pour le marché américain) largement admise par son secteur selon laquelle les entreprises auront épuisé leur surplus de stocks à l’issue du second semestre.
Quoi qu’il en soit, à cet horizon, ZIM aura vécu son plus douloureux moment. Le fait de ne pas être exposé au contractuel lui épargne la déconfiture qui va gagner dans la seconde partie de l’année la plupart de ses pairs. Ceux-ci vont ressentir plus durement les taux de fret s’ils sont toujours au niveau plancher car ils ne pourront plus compenser avec des contrats fixés à des taux élevés.
« Nous ne devrions pas nous attendre à des vents contraires supplémentaires au cours des trimestres à venir car nous n'avons déjà plus de vent arrière pour soutenir nos revenus au premier trimestre 2023 », a indiqué Marc Destriau, le directeur financier, devant ses investisseurs.
Le parler franc
Les dirigeants de la compagnie cotée ont toujours eu le verbe haut, ne cherchant pas à dissimuler la réalité du marché. Ils n’ont pas eu de mal à avouer qu’ils avaient accepté de renégocier à la baisse des contrats en cours d’exécution quand d’autres le nient toujours, contre toute évidence.
La compagnie déclare aujourd’hui qu’elle opère sur certaines lignes en deçà des seuils de rentabilité. C’est sans doute la raison pour laquelle les armateurs concernés par une couverture contractuelle déclarent qu’ils ne signeront pas des contrats adossés au niveau des prix du comptant actuels. Maersk et Hapag-Lloyd l’ont affirmé haut et fort. Mais dans l'antichambre des négociations ?
Adeline Descamps