Succession à l’OMI : trois chances sur sept pour que cela soit une femme

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Le siège de l'OMI à Londres reconnaissable par sa façade

La succession du sud-coréen Kitack Lim est sur la table à l’OMI. Depuis 1959 avec l’élection du premier secrétaire général, il y n’y a eu que des hommes originaires du bloc occidental. Cette fois, six des sept candidatures ne sont pas originaires de nations maritimes, riches et développées et trois sont des femmes. Avec ses racines kenyanes, Nancy Karigithu attire tous les regards.

La procédure pour élire le prochain et neuvième secrétaire général a été lancée au sein de l’instance internationale de réglementation du transport maritime, le mandat du titulaire actuel expirant le 31 décembre 2023.

Lors de sa 128e session (décembre 2022), le Conseil de l'OMI a approuvé les procédures relatives à la tenue de l'élection le 18 juillet. Une fois désigné(e), la candidature de l’élu(e) devra encore être soumise à la 33e session de l'Assemblée à la fin de cette année pour validation.

Sept États-membres ont déposé leur candidature avant la date butoir fixée au 31 mars. Le prochain secrétaire général de l'OMI pourrait être une femme – elles sont trois à se présenter : Cléopatra Doumbia-Henry (Dominique, Antilles), Nancy Karigithu (Kenya), Minna Kivimäki (Finlande) –, ou un homme originaire de Chine (Zhang Xiaojie), du Bangladesh (Moin Uddin Ahmed), de Turquie (Suat Hayri Aka) ou encore du Panama (Arsenio Antonio Dominguez Velasco).

Sa candidature validée par l'Assemblée, le ou la promu(e) rejoindra, le 1er janvier 2024, l’emblématique bâtiment qui défie la Tamise, reconnaissable par sa façade coiffée d'une imposante sculpture en bronze de 7 m représentant la proue d'un navire et un marin (solitaire) observant le guet. Il ou elle deviendra le patron de 300 fonctionnaires de diverses nationalités.

Deux mandats, une pandémie

Kitack Lim a exercé deux mandats à la tête de l’OMI. Il avait été élu une première fois en juin 2015 pour une période de quatre ans à compter du 1er janvier 2016. Lors de sa 31e session (novembre-décembre 2019), l'Assemblée avait approuvé son renouvellement pour un dernier mandat du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2023.

La fin de son mandat aura été marquée par la crise de la relève d’équipage engendrée par la pandémie, les marins entravés dans leur mobilité en raison de la cacophonie des restrictions sanitaires, de la bureaucratie administrative et de l’absence de vols. Au pic de la crise, près de 400 000 marins sur les 1,65 million du monde entier, d'après une estimation de la Chambre internationale de la marine marchande, avaient dépassé leur période de service, piégés sur les navires, et autant coincés chez eux, incapables de les relever.

Une décennie cruciale à piloter

Le prochain patron de l'autorité de réglementation du transport maritime sera d'abord et avant tout un maître des horloges, l’urgence climatique dictant le tempo. Que ce soit un homme ou une femme, le mandat du successeur du sud-coréen Kitack Lim à la tête de l’OMI s’inscrira dans une décennie cruciale alors que le compte à rebours de la décarbonation a été enclenché, avec une première ligne d’arrivée à franchir dès 2030.

L'OMI est, entre autres, soumise à une forte pression pour parvenir à un accord plus ambitieux sur le CO2 à l'horizon 2050, bousculée sur son flanc européen. L’Union européenne de la présidente Ursula von der Leyen se montre bien plus proactive pour ancrer le transport maritime dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS, marché carbone). Ce faisant, elle a court-circuité l'OMI dans ses prérogatives, la mesure revenant à confier la question aux régulateurs régionaux et nationaux.

Des lignes de partage béantes

En ce moment, les comités techniques sur le climat tentent d’obtenir un consensus sur le fait de réviser les objectifs validés en 2018 jugés peu ambitieux – réduire de 50 % les émissions carbone d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2008 – pour acter le zéro nette émission de la flotte mondiale.

Ce qui n’est pas une mince affaire. Londres est le théâtre d’une guerre de titans entre la Chine et l’Inde, marchant à reculons, tandis que les tenants d’une ligne dure (des exigences plus strictes dès 2030 et 2040) composent une coalition entre l’Union européen et le continuent nord-américain (États-Unis et Canada).

Parallèlement, les leviers réglementaires qui vont y conduire – taxe carbone et/ou norme technique sur les carburants –, sont en train d’être arbitrés. Mais ces discussions sont ardues du fait du poids des lobbys industriels mais aussi parce que les pays en développement craignent qu'une taxe sur les combustibles fossiles desservent leurs entreprises qui n’auront pas forcément les ressources et la technologie nécessaires pour y souscrire.

Des processus onusiens

L’OMI, comme toutes les agences des Nations Unies dont elle est une émanation, est souvent critiquée pour ses processus lourds, lents et son fonctionnement onusien : une Assemblée (175 membres), un Conseil (40 pays), cinq comités principaux (dont le comité de la sécurité maritime (MSC) et le Comité de la protection du milieu marin (MEPC), un certain nombre de sous-comités...

Les détracteurs se délectent parfois à observer ce microcosme qui établit un ordre du jour roboratif en touchant à peine au plat du jour en séance. A fortiori dans les sessions où il est question de décarbonation du transport maritime.

Au sein de ce royaume où le compromis politique est un privilège à partager entre 174 États membres aux intérêts divergents, la désunion mondiale se fracture rapidement sur les propositions clivantes. Or obtenir le consensus prend nécessairement du temps, dont l’échelle n’est pas celle de l’économique et encore moins celle de l’urgence climatique.

Si ce sentiment parait désormais ancré, les gouvernements ont manifestement beaucoup de mal à planifier un monde sans combustibles fossiles et à s’accorder sur une politique environnementale unifiée.

Ainsi, ces deux ou trois dernières années, les comités de protection du milieu marin (MEPC), où se joue la politique climatique du shipping, ont souvent donné l’impression se de solder par des options molles quand ce ne sont pas des abdications. Jamais assumées comme telles car les éléments de langage y ont, là aussi, trouvé un biotope.

Des hommes issus du bloc occidental

Depuis 1959 avec le danois Ove Nielsen, le premier secrétaire général, huit hommes se sont succédé, dont le Français Jean Roullier (1964-1967), à pas confondre avec Jean-Eudes Roullier, son fils, haut fonctionnaire de l’État français et père de la politique des villes.

Ils sont aussi tous issus bloc occidental (à l’exception de l’Inde et de la Corée du sud) et de pays riches (sauf l’Inde).

Le paysage est tout autre pour cette élection au vu des pays d’origine où excepté la Finlande, il y a une sur-représentation de pays dits moins favorisés. Et il y a surtout trois chances sur sept pour ce soit une femme et une sur sept pour que ce soit une Africaine ou une insulaire (Dominique, une île des petites Antilles). Aucun n’est une grande nation maritime ou un grand pays constructeur de navires.

Seul le Panama a un canal, l’une des deux artères royales de la navigation, tout en étant un État du Pavillon.

Clivages Nord/Sud

Ce paramètre est loin d’être un détail à l’heure où l’on débat de la destination des recettes issues du marché carbone.

Le fléchage des fonds collectés réveille les antagonismes entre un Nord qui émet beaucoup et un Sud qui paie le prix fort en catastrophes XXL (pluies torrentielles, chaleur extrême, incendies dévastateurs, etc.). Ces débats ont déjà démarré dans les couloirs de l’OMI. Schématiquement, les pays du Nord tiennent à ce que les revenus perçus soient réinvestis au profit du secteur quand ceux du Sud voudraient qu’ils aident les pays vulnérables au climat à s'adapter au changement climatique.

Trois femmes et un fauteuil

Avec ses racines kenyanes, Nancy Karigithu secrétaire principale du département d'État pour la navigation et les affaires maritimes au Kenya, rattaché au vaste ministère (Transports, Infrastructures, Logement, Développement urbain et Travaux publics), attire tous les regards. Depuis 2022, elle dirige la délégation de son pays auprès de l'OMI.

Titulaire d'une licence en droit de l'université de Nairobi et d'un master en droit maritime international de l'Institut de droit maritime international de l'OMI, à Malte, elle a dirigé la Kenya Maritime Authority de 2006 à 2015 où elle a structuré le cadre juridique des activités maritimes. Elle revendique 30 ans d'expérience professionnelle, dont 26 au service du maritime et du portuaire (Kenya Ports Authority (KPA). Elle a également été consultante pour l'OMI en Afrique subsaharienne au sein de la Commission économique pour l'Afrique (CEA), de la Communauté de l'Afrique de l'Est et de l'Union africaine (UA). À ce titre, elle a conseillé les gouvernements de la région sur la mise en place d'administrations maritimes indépendantes et juridiquement structurées.

Cléopatra Doumbia-Henry, présidente de l'Université maritime mondiale, est une avocate internationale, référente en droit maritime et des organisations internationales (elle a notamment été responsable de l'élaboration de la Convention du travail maritime à l'OIT). Elle est aussi l'auteur d'un best-seller The Carriage of dangerous goods by sea (1985) bien connu du milieu du droit maritime.

Minna Kivimäki est secrétaire principale au ministère des Transports finlandais.

Si une d'entre elles était choisie, il est probable que la future secrétaire générale veille à ce que l’OMI soit une instance plus « inclusive », ce mot-valise que ces instances affectionnent tout particulièrement.

Adeline Descamps

 

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