Deux fois en quelques mois. La Fair Trade Commission (KFTC), l’autorité sud-coréenne de la concurrence, qui a lancé une série d’audits sur les pratiques commerciales des transporteurs opérant sur les lignes intra-asiatiques, accuse pour la seconde fois des compagnies maritimes pour collusion sur la fixation des prix. Cette fois, la KFTC a redressé, pour une valeur globale de 63 M$, quinze transporteurs opérant entre la Corée du Sud, le Japon et la Chine. Le régulateur n’a cependant pas détecté de pratiques similaires sur les routes vers l'Amérique du Nord et l'Union européenne.
En janvier, vingt-trois compagnies de la ligne régulière – 12 sud-coréennes et 11 étrangères – avaient été réprimandées pour le même motif sur plusieurs routes entre la Corée du Sud et l'Asie du Sud-Est. Et ce, pendant 15 ans, entre décembre 2003 et décembre 2018. Le montant consolidé des amendes s’est élevé à plus de 80 M$. Dans la liste figuraient notamment Evergreen (Taiwan), OOCL (Hong Kong), HMM (Corée du Sud), Maersk (Danemark), Wan Hai (Taïwan, dans le collimateur par ailleurs de la FMC américaine mais qui ne fait pas partie d’une alliance) SM Line (Taïwan), Korea Marine Transport, Heung-A Shipping (Corée du Sud) ou encore New Golden Sea Shipping (Singapour), filiale de Cosco. C’est Korea Marine Transport qui avait été alors la plus sévèrement réprimandée avec 24 M$.
Soixante-seize cas
Dans son nouveau rapport, la commission mentionne 76 situations entre février 2003 et mai 2019. Outre une entente sur les taux de fret, les sociétés se seraient aussi engagées à ne pas se « voler mutuellement » de marchandises ou de clientèles. Les compagnies maritimes visées contrôlent, selon les autorités de la concurrence, entre 86 et 93 % du marché. Les amendes les plus importantes – 12 M$ – ont concerné plusieurs compagnies nationales à l’instar de Korea Marine Transport, Heunga Line, Goryeo Shipping, Janggeum Merchant Marine, Namsan Shipping, SM Line. HMM fait partie du lot mais son amende a été relativement faible (39 000 $) en raison de sa faible présence sur l’intra-asiatique. L'hongkongaise SITC Container Lines (100 000 $) reste l’exception internationale.
Les compagnies maritimes arguent, qu'en vertu de la loi coréenne, elles sont autorisées à mener des actions collectives sur les taux de fret. En outre, les autorités antitrust ont trouvé des preuves de collusion entre 16 compagnies maritimes nationales et 11 étrangères opérant entre la Corée du Sud et la Chine. Ces 27 sociétés contrôlent, selon elles, entre 70 et 84 % du marché. Les faits remontent à 2002 sur les routes vers la Chine et à 2018. L’enquête indique que 68 taux de fret maritime par conteneur auraient été convenus. La FTC a toutefois été plus clémente à leur égard puisqu’elles n’ont pas fait l’objet d’une amende.
Crise de confiance
« L'immunité antitrust », dont bénéficieraient les transporteurs maritimes, est une accusation récurrente portée par les associations de chargeurs depuis des années. Les perturbations actuelles sur le marché du conteneur – taux de fret élevés, retards et goulets d'étranglement, pratiques de surestaries et de détention... et surtout les bénéfices mirobolants générés par les compagnies en pleine crise sanitaire –, ont accru la vigilance des autorités de la concurrence de plusieurs pays.
Les États-Unis de Joe Biden sont les plus virulente à ce propos. Le congrès américain a adopté le 17 décembre le projet de loi Ocean Shipping Reform Act of 2021 visant à réformer la loi réglementant le transport maritime, première révision depuis les années 1980. Elle prévoit notamment l’instauration d’outils juridiques contre les pratiques commerciales jugées déloyales et une réforme de la FMC qui disposera d’un pouvoir de contrôle accru sur les transporteurs maritimes réunies en alliances.
Pratiques anti-concurrentielles
Cette atmosphère de suspicion a trouvé un point d’appui avec les décrets Biden visant des abus de position dominante et pratiques anticoncurrentielles. Le président démocrate semble penser que les perturbations actuelles sont le fait d’un problème de concentration du marché voire d’un manque de concurrence. L'administration américaine s'intéresse plus particulièrement à la concentration dans le transport maritime qui permet actuellement « à trois grandes alliances de conteneurs de contrôler plus de 80 % du marché contre 30 % entre 1996 et 2011, et 95 % des échanges Est-Ouest » [2M de Maersk et MSC ; THE Alliance composée de Hapag-Lloyd, Yang Ming et ONE ; Ocean Alliance, qui regroupe Cosco, Evergreen, OOCL et CMA CGM, NDLR].
Tweet ravageur
Le président américain, qui avait déjà réservé l’algarade au secteur maritime dans son discours sur l’état de l’Union le 1er mars devant le Congrès, vient de porter un nouveau coup. Une vidéo d'une minute et demie, postée du compte twitter de la Maison Blanche, est devenu virale.
On y entend les dirigeants de Tractor Supply Company et de l'American Farm Bureau Federation, qui expliquent chacun au président comment leurs organisations sont touchées par la flambée des taux de fret.
Dans ce message, Joe Biden reprend un des arguments déjà avancés à plusieurs reprises : les coûts particulièrement élevés du transport maritime seraient responsables de l’inflation et devrait en outre contribuer au renchérissement des prix à la consommation à hauteur de 1 % cette année alors que « les grandes compagnies maritimes ont augmenté de 100 % les tarifs au comptant pour le transport de marchandises entre l'Asie et les États-Unis depuis janvier 2020, et de plus de 1 000 % entre les États-Unis et l'Asie sur la même période ».
Le président démocrate se dit prêt à signer la loi de réforme du transport maritime dès qu'elle sera adoptée par la Chambre des représentants.
Adeline Descamps