Premier résultat négatif pour l'industrie du conteneur en cinq ans

Dès le troisième trimestre, l’alerte avait été donnée alors que la marge opérationnelle moyenne des neuf plus grandes sociétés déclarant un bénéfice avant intérêts et impôts (Ebit) était tombée à 1,5 %. Elle avait alors franchi une ligne rouge, filant en deçà des niveaux antérieurs à la pandémie, année qui a remis les compteurs d’exploitation à zéro.

Elle est bel et bien devenue négative au quatrième trimestre (- 3 %) pour la première fois depuis 2018, six des neuf transporteurs ayant déclaré des pertes d'exploitation (Ebit) dont des compagnies non attendues dans ce rôle à l'instar d'Hapag-Lloyd (- 6,1 %, - 300 M$ sur l’année) et de ONE (- 7,4 %). Cette dernière a enregistré une perte nette de 83 M$ au quatrième trimestre ainsi qu'un Ebit négatif (-248 M$), son premier déficit trimestriel depuis le premier trimestre 2020.

C'est à Maersk, le numéro deux mondial, que revient la marge la plus faible au cours des trois derniers mois (- 12,8 %) bien qu'elle ressorte positive sur l'ensemble l'année (6,6 %). Tout comme les transporteurs allemand (14,1 %) et japonais (9 %) que le sombre quatrième trimestre n'aura pas fait dérailler en 2023.

La marge moyenne des neuf compagnies publiant leur résultat d'exploitation est d'ailleurs restée dans le positif en 2023 (+ 4 %). Elle est par ailleurs toujours supérieure à celles de 2019. Cette année-là, elle avait été de 4,8 % pour Maersk, 4,6 % pour Cosco/OOCL, 6,4 % pour Hapag-Lloyd, 8,8 % pour ONE, 0,8 % pour Evergreen, 7,2 % pour HMM, 4,1 % pour Wan Hai, 4,5 % pour ZIM mais de - 0,03 % pour Yang Ming.

Trois gagnants : Evergreen, Cosco et HMM

Champion de la rentabilité, Evergreen est le seul à échapper à la claque. Le plus grand transporteur taïwanais a enregistré un résultat net de 35,3 milliards TWD (1,1 Md$) l'an dernier, générant l'une des marges d'exploitation les plus élevées du secteur, de 7 % au cours des trois derniers mois et de 14 % sur l’année, soit 39,1 milliards dollars taïwanais (1,2 Md$), loin toutefois des 382,7 milliards TWD de 2022. Ce résultat représente néanmoins une baisse de 90 % par rapport au bénéfice de 334,2 milliards TWD (10,6 Md$) de 2022

La première compagnie de l'île rebelle, qui place 70 % de sa capacité sur le trafic Est-Ouest, a bénéficié de la livraison en temps voulu de navires juste après l’émergence de la pandémie, mais sa part de marché globale s’est effritée en 2023, tombant en dessous de 6 %, car ses concurrents se sont développés à un rythme plus rapide.

Quoi qu'il en soit, l'entreprise a été rentable sur tous les critères au cours de chacun des quatre trimestres de 2023.

Loin de la performance d’Evergreen mais néanmoins resté au vert, le sud-coréen HMM a évité de justesse une perte, rapportant de maigres bénéfices d'exploitation (9 M$) et une marge de 0,7 %. Étonnamment épargné par la conjoncture car le numéro huit mondial a longtemps été abonné aux exercices trimestriels dans le rouge avant la pandémie (16 trimestres consécutifs).

Depuis le premier trimestre 2023, HMM a pourtant connu une baisse notable de ses performances tout au long de l'année. Les marchés s’attendaient d'ailleurs à une sévère reculade.

Entre les deux, le groupe chinois Cosco/OOCL, qui avait affiché au troisième trimestre la marge la plus bénéficiaire (15,8 %) pour le deuxième exercice consécutif, a préservé sa marge d'exploitation au vert au quatrième trimestre, bien que tombée à 4,5 %. Le numéro quatre mondial a pourtant affiché une perte d'1,7 Md$ au cours des trois derniers mois de l'année.

Sur une base annuelle, les deux transporteurs affichent une marge bénéficiaire de 17,5 % pour l'ensemble de l'année 2023. Ils doivent cette « performance » à l'austérité budgétaire et à la chasse aux coûts (les coûts d'exploitation du groupe ont diminué de 33 % en 2023)

Le groupe n’échappe pas pour autant aux taux moyens par EVP en dégringolade : son revenu moyen par EVP est passé de 2 637 à 1 055 $/EVP. Cosco continue de payer des taux élevés sur sa flotte affrétée et est fortement exposée au marché spot où les taux de fret ont été en chute libre l’an dernier. Mais cela étant dit, il aligne le meilleur ratio du Top 5 (MSC exclu, qui ne publie pas ses résultats).

Cosco a pris livraison d'un navire de 14 000 EVP et de six navires de 24 000 EVP l'an dernier. Afin de préserver la valeur et les intérêts des actionnaires, le groupe asiatique a lancé un programme de rachat d'actions en 2023 et, à la fin du mois de février, il avait acheté 215 millions d'actions A et H.

OOIL, maison-mère d’OOCL, société sœur de Cosco, a annoncé, elle, une marge d'exploitation pour l'ensemble de l'année, à 17,1 % sur la base d'un Ebit de 1,42 Md$ (10,10 Md$ en 2022),

Trois perdants : Yang Ming, Wan Hai, ZIM

Les deux autres taïwanais ne connaîtront pas le même sort que leur compatriote Evergreen. Yang Ming et Wan Hai ont même glissé plus rapidement que prévu vers le déficit, cumulant une double sous-performance : des pertes d’exploitation au cours des trois derniers mois (- 10 et – 6 %) mais aussi sur l’année (-0,9 % et – 7,7 %). Les numéros sept et neuf mondiaux partagent ce sort avec ZIM (- 8 %). Ils sont les trois seuls à déclarer une marge Ebit négative en 2023.

Yang Ming a enregistré une perte d'exploitation nette de 1,7 milliard de dollars taïwanais (- 53,4 M$) pour 2023, bien que son résultat net soit resté positif à près de 147 M$ (4,7 milliards TWD contre 180,6 milliards en 2022). La baisse des taux de fret a réduit ses recettes annuelles de 63 % en glissement annuel, à 4,4 Md$.

Pour Wan Hai, les charges d'exploitation ont également dépassé les recettes générées par l'entreprise (en chute de 61 %, 4,4 Md$). La compagnie basée à Taipei, qui a pris livraison de 50 navires depuis 2021, a annoncé une perte nette de 5,8 milliards TWD (183,2 M$) pour 2023, soit un retournement de situation de plus de 3 Md$ par rapport à l'année précédente.

Le onzième transporteur mondial n’a pas encaissé une marge positive de toute l’année, le contraignant à chercher un peu d’argent frais pour renforcer sa structure financière. La société a annoncé l’émission d'obligations pour lever jusqu'à 10 milliards de TWD (315 M$).

Les revenus des trois transporteurs taïwanais ont néanmoins augmenté depuis la fin de l'année 2023, avec des bénéfices en hausse de 28 % entre décembre et février pour Evergreen, et de 34 % pour Yang Ming. La situation en mer rouge, qui a débloqué les taux de fret verrouillés au plancher, n’a pas profité à Wan Hai de la même façon. Alors que ses revenus ont augmenté de 11 % en janvier, ils sont repartis à la baisse en février.

L’Israélien ZIM est donc le troisième à subir une perte de sa marge opérationnelle, d’un peu plus de 4 % (- 49 M$) au dernier trimestre, et de 8,2 % pour l'année (- 422 M$). Le transporteur a endossé une perte nette importante de 2,7 Md$ en 2023 après de lourdes charges de dépréciation au troisième trimestre, mais il a réussi à limiter les pertes nettes du quatrième trimestre à - 147 M$. La société a vu ses revenus moyens par EVP chuter de 63 %, de 3 240 à 1 203 $.

Deux absents notables : MSC et CMA CGM
MSC ne communiqué jamais ses résultats. CMA CGM ne renseigne jamais son Ebit (mais son Ebitda).

La perte consolidée la plus élevée depuis 2012

Selon Sea-Intelligence, Maersk (- 920 M$), Hapag-Lloyd (- 252 M$), ONE (- 248 M$), Yang Ming (- 109 M$), ZIM (- 54 M$) et Wan Hai (- 41 M$) ont consolidé une pertte Ebit de 1,44 Md$ au quatrième trimestre, la plus élevée pour cette période enregistrée entre 2012 et 2023. Le précédent record (- 455 M$) avait été relevée sur les trois derniers mois de 2015.

Pour l’année en cours, le groupe Maersk a été le premier à faire part d'un sentiment négatif, suggérant qu'il est peu probable qu'il fasse des bénéfices et qu'il pourrait même générer des pertes d'exploitation allant jusqu'à 5 Md$. Il a été suivi par Hapag-Lloyd, qui prévoit un Ebit compris entre - 1,1 Md$ et + 1,1 Md$ tandis que ZIM estime son Ebit (ajusté) entre - 300 M$ et + 300 M$.

« Contrairement à l'augmentation des bénéfices pendant la pandémie, le recul a été beaucoup plus inégal, avec de grandes variations d'un trimestre à l'autre et entre les transporteurs individuels », résument les analystes d'Alphaliner.

Adeline Descamps

NDLR : Le texte a été actualisé le 5 avril avec la publication des résultats de Cosco/OOCL