Pour son troisième navire, Grain de Sail passe de la palette au conteneur

Crédit photo ©L2ONaval
Avec son parti pris totalement vélique, Grain de Sail repousse toujours plus les limites de l’équation économique du voilier marchand. Mais il y a une barrière plus difficile à lever : l’économie d’échelle, indispensable pour garantir un transport décarboné à isocoût. Pour son troisième navire, la société bascule de la palette au conteneur, la norme qu'elle vise pour diviser par deux le prix à payer pour transporter sans fossile.

Avec leur parti pris totalement ou en partie vélique, seule énergie à portée qui ne coûte pas plus cher d’une année à l’autre et qui ne risque pas d’être taxée, et en adoptant les technologies au fur et à mesure de leur sophistication, Grain de Sail, Neoline, Zéphyr &Borée, Windcoop, Towt… repoussent toujours plus les limites de l’équation économique d’un voilier marchand. Mais certains se heurtent à une frontière : l’économie d’échelle. À ce stade, il est difficile d’avoir une totale décarbonation à la voile en deçà d’une certaine taille de navire.

« C'est ce qui nous différencie et nous limite en même temps mais qui satisfait des chargeurs exigeants qui ne transigent pas avec leurs émissions de carbone qu'ils veulent abattre complètement sur leurs liaisons transatlantiques », convient Olivier Barreau, fondateur avec son frère Jacques, de Grain de Sail, l’un de ses néo-armateurs français comme ils ont été nommés un peu vite. « Nous sommes en capacité et les seuls sur le marché à abattre quasi totalement le carbone », explique-t-il dans un entretien au Journal de la marine marchande.

Toute la difficulté de l’équation économique est en effet de faire un transport à quasi 100 % voile (avec le recours au moteur pour les seules manœuvres portuaires) à isocoût. C’est ce à quoi s’emploie cette société complètement atypique car née sur un malentendu. L'histoire a été largement chroniquée. Faute de pouvoir sécuriser en 2010 des contrats avec des chargeurs pour lancer la construction d’un premier voilier-cargo, les deux anciens ingénieurs de l’industrie ont pris des chemins de traverse avant de devenir armateurs. en se lançant dans la fabrication et commercialisation de cafés, chocolats et vins. Pour importer leurs matières premières et exporter leurs produits finis sur des lignes transatlantiques (Saint-Malo, New-York, Antilles), ils ont d'abord opté pour une goélette à deux mâts de taille modeste avec ses 24 m de long, une surface de voile de 520 m2 et une capacité de 50 t de fret. C'est le Grain de Sail 1 (GDS 1). Un choix qui a permis d’effacer le surcoût de 10 centimes par tablette de chocolat induit par le transport à la voile.

Passage progressif à l'échelle

Depuis, ils déroulent selon la méthode itérative de l’industrie dont ils sont issus. Aujourd’hui, Grain de Sail est structurée en trois filiales, l’une qui exploite l’activité agroalimentaire, une autre opère en tant que compagnie maritime (Grain de Sail Shipping) et la dernière agit comme un freight forwarder (Grain de Sail Logistics) pour amener le fond de cale.

En réceptionnant le 11 janvier dernier le Grain de Sail 2 (GDS2), la compagnie est passée dans une autre dimension. À la fois dans les capacités – un deux-mâts long de 52 m, un gréement de 1 170 m2 et un emport de 350 t de marchandises, soit 240 à 294 palettes et/ou 24 fûts sur le pont –, mais aussi dans son ambition, ouvrant ses cales à des tiers sur la base d’une offre de transport décarboné entre Saint-Malo et New-York.

Conçu par le cabinet d’architecte naval L2O, construit par Piriou, avec des technologies françaises, enregistré sous Rif, le GDS2 est destiné à terme à effectuer six boucles transatlantiques par an : quatre entre Saint-Malo/Port Elizabeth (New York) et deux entre Saint-Malo/Port-Elizabeth/Guadeloupe/Saint-Malo. Selon les tronçons de l’itinéraire desservi, les espaces sont commercialisés à des tiers sur contrats ou via le marché au comptant.

Nouveau cap

Elle ouvre une nouvelle page en doublant à nouveau la longueur (et donc la largeur et la hauteur) pour son troisième navire. La société peut basculer de la palette au conteneur, la norme qu'elle vise depuis les débuts pour jouer un peu plus sur les effets d’échelle, la capacité étant multipliée par huit à dix dans ce cas.

Le Grain de Sail 3 (GDS 3), qui n’en est encore « qu’au début des études, mais dont les caractéristiques générales sont définies », explique Loys Leclercq, cofondateur du cabinet d’architecture L2O, est un porte-conteneur de 110 m de long qui pourra charger environ 200 EVP, soit 2 800 t. « Il est fidèle aux principes de l’entreprise. Contrairement aux navires hybrides à propulsion mixte, il est entièrement propulsé par le vent, excepté les manœuvres portuaires et chenalage. Il sera donc en mesure réduire l’empreinte carbone de plus de 90 %, avec des émissions entre 1 et 2 grammes de CO2 par tonne transportée et par kilomètre parcouru, contre 20 grammes pour un navire standard exploité sur le transatlantique », explique l’architecte naval.

Sophistication des technologies

Ce projet est rendu possible par la maturité des technologies de voiles et notamment l’émergence de grandes voiles rigides. « On aurait voulu agir plus vite dans ce sens. Mais les technologies n'étaient tout simplement pas prêtes. Les chantiers de l'Atlantique, par exemple, n'étaient pas capables de sortir des gréements arrisables. Or, c’est une caractéristique dont on ne peut pas se passer, ajoute Olivier Barreau. Le dirigeant a opté pour le concept Solid Sail du constructeur de Saint-Nazaire, dont les premiers mâts en carbone devraient entrer en production cette année et sortir de l’usine de Lanester avant l’été 2025. « Pour réduire le plan de voilure de façon à naviguer par tous les temps, et même des vents très forts, la prise efficace des ris est primordiale », précise-t-il.

Parlant peu du tirant d’eau, déterminant pour les ports desservis, les deux hommes se focalisent sur le tirant d’air qui sera de 62,50 m maximun de sorte à passer sous les ponts caractéristiques de la liaison transatlantique (Verrazzano, Canal de Panama, etc.). « La problématique est très clairement celle-là car le coût des systèmes rabattables est atomique. Ses dérives rétractables lui assureront de bonnes performances au près tout en limitant son tirant d’eau à quai », répond Loys Leclercq, qui note que sur ce plan, les technologies, encore inexistantes il y a deux ans, évoluent très vite. « On dérisque le navire car on connaît les besoins d’un voilier et on se sait désormais capable d'y répondre avec les technologies disponibles aujourd’hui sur étagères ».

Pas plus efficace qu’un porte-conteneurs ?

« Entre notre premier et notre second navire, on a divisé par trois le coût de transport ramené à la palette. Entre le deuxième et le troisième, on va encore les diminuer par deux. Et nous sommes qu'au début de l’aventure. On obtiendra un facteur de six avec une économie carbone la plus élevée possible », garantit Olivier Barreau, qui évangélise le marché. Il est convaincu que le chargeur comprend progressivement qu’un certain niveau de tarif n’est pas atteignable avec la voile, sauf à continuer de construire des navires brûlant du pétrole.

« On ne peut pas lutter contre un porte-conteneur qui transporte dix fois plus, valide l'architecte. Sur des navires de petits volumes, dès qu’on allume le moteur, ne serait que pour 10 % du trajet, on flingue le bilan carbone. On ne sait pas faire du 100 % voile sur des navires équivalents à ceux qui naviguent sur les mers aujourd'hui », tranche l’ingénieur naval.

Plus compétitif que l'aérien

La voile restera donc plus chère que le transport conventionnel pour un certain temps mais le GDS 3 devrait être déjà plus compétitif que l’aérien, ce qui semble être l’obsession des clients de l’armateur. « Ils cherchent des coûts les plus justes possibles. S’ils payent plus cher aujourd’hui avec notre deuxième navire, ils veulent savoir que c’est temporaire. Quand le troisième sera mis en service dans un délai de trois ans, les prix seront alignés et ajustés », garantit Olivier Barreau, convenant que les tarifs seront encore un peu élevés pendant deux à trois ans. Mais avec un bilan carbone réduit d’un facteur 1 000 par rapport à l’aérien.

Pour l’heure, seule la réglementation, qui va contraindre toujours plus l'impact environnemental des entreprises, pourra arbitrer en faveur de la voile car le kérosène n’est pas taxé et le pétrole peu cher.

Un modèle économique sur contrats long terme

Le modèle économique de Grain de Sail est assis sur des contrats long terme et des engagements de volumes pour quatre rotations annuelles jusqu’en 2027-2028, date à laquelle la compagnie devrait pouvoir assurer, selon ses plans, un départ tous les 15 jours au moyen d’une flotte de quatre unités. À ce stade, seuls 20 % des slots devraient être offerts au marché spot.

Quant au financement de la construction du navire, estimé à 35 M€ (contre 10 M€ pour le second), l’entreprise envisage d'ouvrir son capital selon des modalités qui restent à préciser. Elle a mandaté une société de M&A pour gérer sa levée de fonds dont elle attend quelques 20 M€. Jusqu’à présent, le développement a été assurée de façon classique, sur fonds propres, avec des emprunts bancaires, du private equity et de la garantie publique. Le capital appartient encore majoritairement aux deux dirigeants fondateurs, avec la contribution de salariés de l’encadrement, de Loys Leclercq, CMB Equity et Bpifrance.

Des questions en suspens

Le Grain de Sail 1 fut une sorte de prototype qui a permis de valider la faisabilité technique, la viabilité commerciale et d’éprouver le risque industriel. Avec le Grain de Sail 2 au transit-time affiché de 16 à 18 jours pour traverser l’Atlantique, en fonction des routes et des conditions météorologiques, les dirigeants estimaient déjà avoir une opérabilité proche d’un porte-conteneurs. Ils y sont avec le Grain de Sail 3.

Selon les plans évoqués l’an dernier, le groupe prévoyait de composer une flotte de huit navires avant 2030, dont trois avant 2026, de façon à élargir le rayon d’action. Le calendrier devra sans doute être revu. Il assurait aussi avoir bouclé la commercialisation des 3e, 4e et 5e navire à 80 % (dans les deux sens) avec des contrats sécurisés sur huit ans. Aujourd’hui, ses dirigeants affirment très logiquement qu’ils ne lanceront pas de construction en blanc.

Adeline Descamps

 

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