Insaisissable. Le président russe le demeure avec constance. Plusieurs explosions, que d’aucuns qualifient d’actes de sabotage intentionnels, ont endommagé fin septembre les deux pipelines de 12 cm de béton et d’acier de la mer Baltique, encore remplis de gaz bien que l’un n’était pas en service et l’autre aux volumes progressivement réduits jusqu’à la fermeture des vannes fin août. Mais Vladimir Poutine, accusé par le bloc occidental d’utiliser le gaz comme arme politique, sort de sa chapka une solution alternative.
Lors d'une conférence sur l'énergie à Moscou, il a suggéré la possibilité d’exploiter le gazoduc TurkStream en déplaçant « les volumes perdus [...] vers la mer Noire et ainsi faire passer [...] notre gaz naturel par la Turquie, en créant le plus grand hub gazier pour l'Europe en Turquie, bien sûr, si nos partenaires sont intéressés par cela ».
Alexei Miller, à la tête de la compagnie gazière publique Gazprom, a ajouté que les eaux profondes de la mer Noire seraient probablement plus dissuasives pour les attaques terroristes que les profondeurs accessibles aux plongeurs dans la Baltique…
Pourquoi pas rouvrir Nord Stream 2
Dans la même conférence, le président et le dirigeant ont proposé de rouvrir les vannes à condition que l'Allemagne accepte de recevoir des livraisons par Nord Stream 2 suspendu avant même le déclenchement de la guerre en raison de différends entre les deux pays. Le PDG de Gazprom a cependant ajouté qu’il faudrait pour cela passer de nouveaux contrats d'approvisionnement alors que les accords existants ont été établis sur des prix du gaz six fois moins élevés.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue russe ont inauguré en 2020 le gazoduc TurkStream, symbolisant alors un dégel entre les deux pays après une grave crise diplomatique en 2015. D’une capacité annuelle énoncée à 31,5 milliards de m3, l’infrastructure, dont la construction a débuté en 2017, avait pour ambition d’alimenter l'Europe du Sud et du Sud-Est en contournant l'Ukraine, initialement principal pays de transit du gaz livré à l'Europe, mais avec laquelle les relations étaient déjà à l’époque dégradées en raison de l'annexion de la Crimée et le début d'un conflit armé dans l'est russophone en 2014.
Le gazoduc est formé de deux conduites parallèles longues de quelque 930 km qui relient Anapa en Russie à Kiyiköy en Turquie (nord-ouest), ce pays s'imposant alors comme un carrefour énergétique majeur.
Stocks gonflés mais jusqu’à quand ?
En attendant, l'Europe entre dans l'hiver avec un stock de gaz presque record (89 %) après avoir acheté de gros volumes à tout prix pendant l'été. Les stocks de gaz de l'Union européenne et du Royaume-Uni (à plus de 94 %) avaient atteint 996 térawattheures (TWh) au 30 septembre, selon les données de Gas Infrastructure Europe (GIE). En comparaison, les réserves étaient de 1 074 TWh en 2020 et de 1 067 TWh en 2021.
Il s'agit d'un spectaculaire retournement de situation par rapport à la fin janvier, où les stocks étaient déficitiaires de 134 TWh, et d’une avance sur l’objectif fixé à 80 % au 1er novembre par le Conseil de l’UE en juin. La constitution tardive de stocks est doublement bénéfique pour la sécurité de l'approvisionnement, reconnaissent les experts, car elle augmente les stocks avant l'hiver et retarde l'épuisement de la ressource, à moins que les températures ne deviennent exceptionnellement froides à la fin octobre et entraînent une consommation accélérée.
Mais le stockage est destiné à faire face aux variations saisonnières de la consommation, et non à fournir une réserve stratégique en cas d'embargo ou de blocus, rappellent-ils. Ainsi, en cas d'arrêt complet des importations en provenance de Russie, d'un hiver plus froid que la normale, ou des deux, le gaz deviendrait rare avant la fin mars 2023. Si l’Europe passe l’hiver, elle devrait de ce fait le terminer avec les réserves à plat, nécessitant un réapprovisionnement, peut-être encore plus important, l'année prochaine avant l'hiver 2023/24. D’où l’appel généralisé à la sobriété énergétique
A.D.