Piraterie : un creux historique, vraiment ?

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Les zones à risques ont été plutôt épargnées en 2021. Même le golfe de Guinée, un des points les plus chauds de la planète, paraît plus apaisé. Toutefois, les pirates adaptent leurs stratégies d’attaques en exploitant les faiblesses et les failles. La menace pour les navires opérant à la fois dans les eaux équato-guinéennes s’en trouve accrue. 

L'année 2021 a représenté un creux historique pour la piraterie maritime, à son plus bas niveau depuis 1994, assure le Bureau maritime international (IBM en anglais), l’organisme qui recense les atteintes au commerce maritime pour la Chambre de commerce internationale. Dans son dernier relevé, arrêté fin septembre, l’IBM note en effet un repli manifeste de toutes les formes de criminalité et notamment dans le golfe de Guinée, zone ultra-sensible depuis plusieurs mois, où 28 incidents ont été signalés, contre 46 pour la même période en 2020.

Dans son rapport portant sur l’année 2021, Dryad Global, société spécialisée dans la sécurité maritime, attribue à la côte ouest-africaine 59 événements, soit une baisse des actes de piraterie de 56 %. Dans l’océan Indien, les agressions ont diminué de 31 % (22 événements) tandis que l’Asie du Sud-est a vu en revanche le nombre d’incidents croître de 10 % (74 événements).

Selon François Morizur, directeur de la sécurité du groupe Bourbon, dans une tribune parue dans un média spécialisé, aucun cas n'aurait été signalé en Méditerranée. Mais « la migration maritime (exode des migrants par la Libye et la Turquie), la situation géopolitique de certains États riverains de la Méditerranée, comme en Lybie ou en Turquie (conflit avec la Grèce et Chypre), sont des menaces sous-jacentes, notamment pour les installations pétrolières et gazières et les navires spécialisés qui les desservent, signifie-t-il. Elles sont aussi des sources tensions avec les navires militaires de la mission d'application des sanctions de l'opération Irini de l'UE.

En Amérique du Sud, deux événements ont été relevés contre un yacht et une plateforme pétrolière dans le Golfe du Mexique. D’autres faits ont été observés dans les zones de mouillage de Callao au Pérou et de Guayaquil en Equateur tandis que deux navires ont fait l’objet d’attaques à Haïti, par des hommes lourdement armés.

Les points chauds de la piraterie maritime mondiale restent donc le détroit de Singapour et le Golfe de Guinée avec ses 6 500 km de côtes entre le Sénégal et l'Angola.

Pratiques de fond

En termes de pratiques, 2021 n’a pas différé des autres années. La piraterie s’exerce de plus en plus loin des côtes, dans rayon d’action de 400 km. L'enlèvement des membres d'équipage devient usuel (71 marins en 2021). Le niveau de violence s’est exacerbé, avec des marins tués ou blessés (cas des Mozart, Tampen, Tonsberg, Tropical). Une méthode d’attaque témoigne en outre jusqu’au-boutisme des assaillants : des chalutiers sont détournés et utilisés ensuite comme navires-mères pour cibler les navires marchands. Début juin, un vraquier a été abordé par un skiff avec six pirates alors qu'il transitait dans la région à environ 210 milles nautiques (389 km environ) au large de Lagos.

L’évolution de la piraterie dans le golfe de Guinée focalise toutes les attentions. Ces dernières années, à l'exception de 2021, le nombre d'incidents notifiés a été en moyenne autour de six à sept par mois.

Mais une présence militaire accrue et un volontarisme du Nigeria pour endiguer le phénomène (loi anti-piraterie nigériane récemment adoptée, opération de renforcement de la sécurité maritime baptisée Deep Blue) pourraient changer la donne. Ces faits semblent avoir déjà opéré puisque la plupart des assauts de l’année se sont déroulés au cours du premier trimestre.

Les opérations militaires se sont en effet multipliées dans la région. En novembre 2020, un navire de guerre italien avait entravé l'attaque d'un pétrolier par des pirates, et en octobre 2021, un bâtiment russe avait évité l’assaut d’un porte-conteneurs. À la mi-octobre, le Royaume-Uni a annoncé qu'il y déploierait une présence militaire avec un contingent de la Royal Marines (infanterie de marine) pour participer à la lutte contre la piraterie.

Escalade

Mais la dissuasion militaire a un prix. Quatre pirates ont été tués en novembre au cours d’un échange de tirs entre l’embarcation des pirates et le patrouilleur danois Esbern Snare, qui sillonne le long des côtes ouest-africaines depuis le mois d'octobre et pour six mois.

Un des pirates blessés lors de l’interception a été dernièrement évacué du bâtiment militaire en raison d’une infection après avoir subi l’amputation d’une jambe par l’équipe médicale à bord, selon ses avocats. Selon les médias locaux, il a été évacué vers l'hôpital maritime international de Tema, au Ghana, pour y être soigné. Trois autres personnes sont toujours à bord, les procureurs danois étudient les possibilités de les traduire en justice.

Recrudescence en décembre

Le 30 décembre, un chalutier chinois a été attaqué alors qu'il opérait à environ 12 milles marins au nord-est du FPSO Ceibo en Guinée équatoriale. L'attaque se serait produite dans les eaux territoriales. Le navire a été approché par un hors-bord, avec à bord des hommes armés. Six marins (ressortissants ghanéens et maliens) ont été enlevés, y compris le capitaine, et un membre d'équipage aurait été tué lors de l'attaque, selon Dryad.

Plutôt préservée ces dernières années par rapport à ses voisins du Golfe de Guinée, la Guinée équatoriale a enregistré trois attaques en décembre 2021 le long de ses côtes. Il s'agissait du 11e incident avec enlèvement en Afrique de l'Ouest en 2021, ce qui porte à 82 le nombre total de marins enlevés.

Selon Dryad Global, bien que les pirates aient encore la capacité de cibler de grands navires, comme en atteste le récent assaut contre un porte-conteneurs grec affrété à CMA CGM, ils recherchent de plus en plus des unités plus petites qu’ils perçoivent comme plus vulnérables. « Les pirates exploitent les faiblesses là où elles se trouvent. Ils montrent ainsi leur intention de sévir dans les zones où les opérations ont été couronnées de succès et, en tant que tel, le risque pour les navires opérant à la fois dans les eaux équato-guinéennes et celles au large est accru. »

Tendances en 2022 ?

« Les attaquants ciblent généralement des navires non protégés et (au moins occasionnellement) des navires situés dans des zones de mouillage qui ne sont pas suffisamment protégées. Leur objectif reste le même : l'enlèvement d'un nombre massif de membres d'équipage », estime pour sa part François Morizur.

Le spécialiste, qui a notamment passé 30 ans dans les forces d'opérations spéciales de la Marine française et 13 ans en tant que responsable de la sécurité nationale de Bourbon pour le Nigeria et le Cameroun, estime qu’en Asie, la piraterie maritime devrait rester en 2022 au même niveau qu'en 2021 « s'il n'y a pas de réponse spécifique (sur terre et en mer) des pays bordant le détroit de Singapour. La zone de préoccupation devrait rester la partie nord des îles de Bintan et de Batam, et les actes de brigandage. La tendance observée dans la dernière partie de l'année 2021 témoigne d’un usage croissant d’armes à feu ou de couteaux », s’inquiète-t-il.

Quant au golfe Persique, il pourrait faire l’objet de « nouvelles attaques terroristes contre des navires ciblés [intérêts israéliens et américains], principalement des pétroliers, à l'aide de drones explosifs aériens et/ou maritimes ». Avec l’exacerbation des relations entre les États-Unis et l’Iran soumis aux sanctions internationales, les navires transitant par le golfe Persique et la mer Rouge sont la cible d’attaques aux mines sous-marines. La région reste une voie de navigation incontournable pour le transport des hydrocarbures. 

Adeline Descamps

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