Quels sont selon vous les deux ou trois principaux éléments qui vont façonner le transport maritime en 2022 ?
Pierre Cariou : En premier lieu, l’évolution du e-commerce dont la croissance implique, en particulier aux États-Unis, une concurrence accrue entre les services logistiques assurés par le mode maritime, aérien ou ferroviaire.
Elle a clairement montré jusqu’à présent que les acteurs maritimes n’étaient pas capables de répondre aux attentes des chargeurs en termes de qualité de services. La discipline observée par les armateurs au sein des alliances pour gérer leurs capacités de façon à ne pas compromettre leur rentabilité questionne.
Elle leur a permis de dégager des revenus plus performants et rémunérateurs en situation de sous-capacité.
Mais qu’en sera-t-il quand les services vont prendre le relais des biens manufacturés dans la consommation et quand la congestion portuaire va se résorber ? Les deux phénomènes alimentent actuellement la fièvre des taux de fret. Aussi, en Europe, le basculement d’une partie des flux des grands hubs d’Europe du Nord vers le sud du fait de la congestion est une chance fantastique à la fois pour certains ports, comme le Havre, et pour les ports méditerranéens.
Les relations entre les armateurs et les chargeurs, parfois ardues, se sont détériorées l’an dernier. Le coût élevé du transport et la prestation dégradée ont rudoyé la chaîne d’approvisionnement. Pensez-vous que cela puisse avoir un impact au-delà de l’agacement ?
P.C. : La confiance est en effet entamée et cette crise va bien au-delà du prix à payer pour le transport maritime. La sincérité des engagements et des initiatives, en lien avec la stratégie envi- ronnementale par exemple, peut être en même temps remise en cause. La transparence sur les surcharges, en particulier la BAF, ne sera plus une option. À ce propos, on peut noter de grands écarts dans les comportements : quand les grands détaillants américains semblent vouloir sécuriser leurs approvisionnements par leurs propres moyens (Amazon, Walmart, Home Depot, etc.), les chargeurs européens préfèrent s’en remettre aux armateurs à l’instar d’Unilever qui va confier à partir de 2022 sa logistique à Maersk.
Les compagnies semblent revoir leur poli- tique tarifaire en privilégiant le contractuel qu’elles espèrent conduire sur plusieurs années. À quelles conditions, selon vous, les chargeurs qui opèrent jusqu’à présent sur le spot peuvent y souscrire ?
P.C. : Quand le marché est à son plus haut avec des taux de fret au pic, la pire des solu- tions pour les clients est de prendre des engagements de long terme. En cherchant à contraindre les chargeurs à s’engager à long terme, les armateurs les empêchent de profiter de la baisse des taux de fret à venir.