Après une suspension involontaire de huit mois, même si les conditions ne permettent toujours pas à la centaine de délégués des gouvernements, de l'industrie et des organisations du monde entier de se retrouver physiquement à Londres, au siège de l'Organisation maritime internationale des Nations unies, les négociations sur la stratégie climat du transport maritime doivent néanmoins reprendre. Une session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC), initialement prévue en mars, se tiendra de façon virtuelle du 16 au 20 novembre.
Plusieurs propositions, scindées en deux grandes approches, d’ordre opérationnel et technique, doivent y être débattues. La ligne de crête est, elle, fixée. Elle a fait l’objet d’un très long arbitrage qui a finalement abouti au printemps 2018. Pour réduire les émissions de CO2 dans le transport maritime international et ainsi se conformer aux objectifs de l'accord de Paris sur le climat, il a été décidé de réduire l'intensité carbone d'au moins 40 % en 2030 et à 70 % en 2050, date à laquelle les émissions de gaz à effet de serre devront, au minimum, avoir diminué de moitié par rapport à 2008.
Opérationnel ou technique
Si les soumissions ont fait l’objet de débats, revoyures et revers, le cadre est désormais plus ou plus moins stabilisé. Une première approche défend un ensemble de mesures opérationnelles, parmi lesquelles un objectif de réduction obligatoire (pourcentage à définir) par navire en fonction de son type, de sa taille et de son potentiel de réduction. Les moyens pour y parvenir seraient laissés à la libre appréciation de l'exploitant ou du propriétaire du navire. Le Danemark, la France et l'Allemagne sont à l'origine de cette proposition avec une échéance à 2023.
L’autre logique privilégie la voie technique : les navires existants doivent se conformer à des critères spécifiques d'efficacité énergétique basés sur le type et la taille dans un indice appelé EEXI. Ce dernier s'inspire de l’EEDI actuel, qui vise à garantir l'efficacité des nouvelles constructions. La proposition, portée par le Japon et la Norvège, est soutenue par plusieurs pays ainsi que par les principales organisations de transport maritime telles que le BIMCO (armateurs), ICS ou encore Intertanko (opérateurs de vraquiers). Elle entrerait en vigueur en 2022.
Enfin, la Chine et le Brésil sont à l'origine d'une autre formule qui vise à attribuer une cote aux navires en fonction de leur efficacité énergétique mais qui ne peut pas suffire à elle seule.
Quoi qu’il en soit, les États membres doivent se mettre d'accord sur la manière de faire, dès cet automne, car une approche doit être définitivement adoptée l'année prochaine si le transport maritime veut honorer la première échéance de 2030.
Jeu de quilles
Dans ce contexte, l’Union européenne est venue troubler encore un peu plus le jeu. D’une part, parce qu’elle a présenté son propre plan pour limiter les émissions du transport maritime. D’autre part, parce que les parlementaires européens se sont prononcés majoritairement pour inclure le secteur dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission, le SCEQE, à partir de 2022.
La situation a eu un effet assez inattendu. Elle a généré une coagulation d’intérêts jusqu’à présent divergents. Une quinzaine de pays, ainsi que la Chambre internationale de la marine marchande ICS, préconisant jusqu’à présent des stratégies opposées pour réduire la pollution du secteur maritime avant 2030, ont trouvé un terrain d’entente et ont déposé une proposition commune, dont la ligne directrice reste à trouver.
Au sein de cette ligue des nations figurent la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, l'Allemagne, la Norvège, Singapour, la Croatie, l’Espagne, la Chine, le Japon, la Corée, l’Inde, la Malaisie, le Nigéria, le Ghana et les Émirats arabes unis.
Ils défendent une ligne associant « des mesures obligatoires à court terme basées sur des objectifs pour chaque type de navires qui devront se conformer à des exigences opérationnelles et techniques ». En somme, une agrégation d’éléments contenus dans les différentes propositions actuellement sur la table. Les délégués doivent examiner au préalable cette proposition lors de la session technique (du 19 au 23 octobre) qui précède la réunion du Comité de la protection du milieu marin.
Une proposition... consensuelle
Schématiquement, le document, qui sort subrepticement du chapeau, milite en faveur de l'efficacité énergétique des navires existants (l’indice EEXI proposé par le Japon et la Norvège). La deuxième composante de la nouvelle offre reprend les idées de la Grèce, du Japon et de la Norvège visant à renforcer le rôle exercé par le SEEMP, le plan de gestion de l'efficacité énergétique des navires. On y retrouve également des éléments défendus par la France, le Danemark et l'Allemagne qui plaident pour un objectif de réduction obligatoire et propre à chaque navire.
Question des pénalités
Mais des désaccords de fond ne sont pas pour autant aplanis : la question des pénalités à appliquer aux navires qui ne seraient pas dans les clous en fait partie. Le sujet des sanctions divise les partisans de la ligne dure (qui vont jusqu’à proposer la perte du droit d’exploitation) et ceux qui entendent privilégier une voie plus modérée (imposer aux contrevenants un plan indiquant les mesures pour atteindre les niveaux requis).
L’accord in extremis ne semble pas convaincre l'ONG Transport & Environnement. « C’est une coquille vide », lâche Faig Abbasov. Le directeur du programme de transport maritime de l’association note que la coalition ne fixe pas d'objectifs en matière de réduction car ils doivent être clarifiés dans les lignes directrices sur lesquelles l’ONG sait que les parties prenantes vont inévitablement achopper.
Transport & Environment dénonce en outre un défaut d’ambition de la nouvelle initiative, qui tiendrait selon elle à son attelage baroque : « Si vous voulez juger une mesure par son ambition, il vous suffit de regarder ceux qui la parrainent. Un pays exportateur de pétrole qui soutient cette proposition indique que quelque chose ne va pas. » L’ONG fait allusion aux Émirats arabe unis. Les négociations à l’OMI avec des puissances pétrolières autour de la table n’est pas un fait nouveau...
Adeline Descamps
* Une mesure fondée sur le marché est un instrument qui utilise le prix et les marchés pour inciter les émetteurs de gaz à effet de serre à réduire leurs émissions. Les taxes, les subventions et les systèmes d'échange de droits d'émission sont des exemples de mesures fondées sur le marché.
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