Elle avait les n°2 et 4 transporteurs mondiaux de conteneurs pour clients voire plus, puisque CMA CGM a injecté des capitaux dans la start-up à peine fondée, en 2012 (l'armement français a ensuite participé à des augmentations de capital, totalisant, fin 2018, 29,6 % du capital), et MSC en 2016.
Le leader mondial tombe cette fois dans l'escarcelle de la jeune société marseillaise. Maersk annonce en effet qu’il rejoint ses deux « coreligionnaires » et néanmoins concurrents. « Par le biais de cet accord, Maersk prendra une participation au capital de Traxens, et aura des droits d’actionnaire similaires à ceux de CMA CGM et MSC. Maersk s’est également engagé à commander jusqu’à 50 000 dispositifs Traxens, une commande similaire à celles de CMA CGM (ces derniers jours, Ndlr) et de MSC ». Ce sont donc au total 150 000 dispositifs qui doivent être déployés (chacun planchant naturellement sur les contours de sa solution) au cours des 18 prochains mois. Et Traxens met ainsi la main sur un potentiel de 44,2 % de la flotte mondiale de conteneurs (18 % pour Maersk, 14,6 % pour MSC et 11,6 % pour CMA CGM).
Conviction originelle
Avec sa solution de tracking des conteneurs basé sur les technologies IoT (objets connectés), la société marseillaise entend écrire depuis 2012 quelques pages de l’histoire du « smart conteneur » et a, assez rapidement à vrai dire, trouvé sa place dans l’écosystème de la supply chain, en offrant de façon inédite aux clients la possibilité d’avoir des informations en temps réel sur leurs chargements (position, température, ouverture-fermeture, chocs et humidité) et aux acteurs de la supply chain, de la visibilité de bout en bout.
Chaque avarie rencontrée sur un conteneur (pertes, vols…) avec mention de sa valeur sert finalement les intérêts de Traxens. Qui connaît le secteur sait à quel point le transport maritime est complexe, notamment en raison de l’interdépendance entre contrats de vente international et contrat de transport, imposant une cascade de responsabilités de part et d’autre, et du caractère multimodal du conteneur qui fait intervenir une diversité d’intervenants durant son acheminement. Présumé responsable des avaries, le transporteur admet difficilement d’assurer les dommages subis par une marchandise dont il n’a pu constater l’état.
Dans ces conditions – et ce fut la conviction « originelle » de Michel Fallah, un des cofondateurs* de la société (un ingénieur en traitement numérique du signal issu de Gemplus devenu Gemalto qui avait au préalable sévi dans l'aérien en imaginant un tunnel d’identification des bagages) – un suivi électronique à la patte du conteneur permettrait de mieux situer les responsabilités des acteurs impliqués, comme par exemple pouvoir prouver que les scellés n’ont pas été violés sur le trajet, que la marchandise n’a pas subi de coup ou démontrer à quel moment exactement de la chaîne s’est produit ce qui peut devenir un contentieux. Même s’il ne s’agit pas là de son seul usage, la technologie de la start-up marseillaise Traxens a apporté un brique certaine à la concrétisation de ce sur quoi planchait alors le secteur du shipping depuis des années : la traçabilité. Le fait est que les 4 cofondateurs ont pu développer cette boîte noire à un coût économique acceptable, initialement « un prix inférieur à 50 centimes d’euro par jour pour un conteneur classique en location et environ 3 euros pour un conteneur frigorifique ».
« Traduction réelle de la stratégie de Maersk »
« Nous allons pouvoir accélérer notre développement à l’international et faire de notre solution un standard global pour le secteur de la logistique », indique aujourd'hui Jacques Delort, directeur général de Traxens, mentionné dans un communiqué d’usage.
« Avoir de la visibilité sur l’état et la localisation des cargaisons conteneurisés, c’est la traduction en situation réelle de notre stratégie qui consiste à offrir des solutions numériques de bout en bout », ajoute dans le communiqué Ingrid Uppelschoten Snelderwaard, vice-présidente et à la direction des Équipements chez A.P. Moller – Maersk, ne manquant pas de rappeler que le leader mondial a été « parmi les pionniers de l’utilisation de l’Internet des objets dans sa flotte de conteneurs réfrigérés ».
Pour rappel, Traxens ne travaille pas exclusivement pour le maritime : elle revendique d’ailleurs des contrats avec plusieurs dizaines d’entreprises issues du top 500 des entreprises de fret mondiales. L’automobile teste notamment des solutions de diagnostic de la chaîne logistique. SNCF Logistics est intéressée dans le cadre d’un train de fret digital. Le spécialiste supply chain et logistique Daher a aussi signé en 2018 un accord commercial avec Traxens pour fournir à ses clients (dont l’avionneur Airbus) un système de suivi et de traçabilité intelligent pour leurs flottes d'équipements sensibles.
Digitaliser la relation client
Pas qu'une affaire de start-up. Ces tout dernières années, les compagnies maritimes (Maersk, CMA CGM notamment) ont repris les initiatives sur le front digital, notamment pour digitaliser l'expérience client, exploitant notamment la blockchain, qui correspond en effet au petit point aux problématiques de traçabilité du secteur et de sécurité des transactions, mais aussi plus récemment, des outils permettant permettant aux chargeurs d'avoir accès à divers services, telle la réservation de conteneurs en ligne, « aussi facile que pour réserver un billet d'avion », permettant connaître de façon instantanée et immédiate les capacités disponibles sur les navires (la réelle valeur ajoutée d'un tel service).
CMA CGM vient de dévoiler un package de solutions permettant à ses clients, en quelques clics, d'avoir accès à un ensemble d'informations : devis instantanés, réservations, connaissements électroniques, tracing et tracking des conteneurs, paiement en ligne des factures, y compris un simulateur de détention et surestaries.
Ce qui n'est pas sans inquiéter les autres acteurs de la chaîne... Sous l’effet en partie de la sophistication et maturité des outils, l’environnement maritime se transforme. Les frontières entre les différents métiers se brouillent. De nouveaux entrants émergent, remettant en cause l'ordre des choses établies...
Adeline Descamps
*Avec Alain Hojeij (un spécialiste du suivi des flottes de véhicules), Pascal Daragon (expert des systèmes embarqués) et Mickael Nasreddine (qui pratiquait l’EDI dans la logistique). Traxens a développé sa solution avec l’appui de cinq labos et trois clusters *Telecom SudParis, Inria à Lille, École des Mines de Saint-Étienne, i3S, LEAT à Sophia Antipolis et les clusters Paca Logistique, SCS et Pôle mer Méditerranée