La lecture du marché des nouveaux carburants maritimes et de la stratégie des armateurs n’est pas toujours lisible. Le GNL a été le premier carburant non conventionnel à être utilisé mais positionné dès le départ comme un produit de transition. Après un fort engouement, le méthanol, présenté « comme le premier investissement dans le voyage vers un transport maritime neutre en carbone », a été récemment ramené à une énergie plus « intermédiaire ».
Après avoir dominé les commandes de navires l'année dernière, la part des contrats de construction avec le méthanol a fortement diminué au cours des neuf premiers mois de l'année. Le nouveau carburant, qui peut réduire les émissions de GES d'au moins 65 % par rapport aux combustibles fossiles conventionnels (en fonction de la matière première et du processus de production du méthanol), représentait, fin septembre, 21 % des commandes contre 51 % en 2023.
Sur les 264 commandes passées depuis le début de l’année (tous types de propulsion confondus), équivalant à 3,11 MEVP, plus des deux tiers peuvent être considérés en tant que tonnage « vert ». Mais le GNL a représenté 1,76 MEVP, soit quatre fois le volume de l’an dernier. Le carnet de commandes est désormais dominé par le GNL (41 % du total) contre 31 % pour la propulsion conventionnelle et 28 % pour le méthanol. La flotte motorisée au GNL compte désormais près de 1 200 navires alors que près de 1 000 sont en commande. Si cette tendance se poursuit, d'ici 2030, plus de 10 % de l'énergie utilisée par la flotte maritime mondiale pourrait provenir du gaz fossile.
Tout pour s'intégrer dans le paysage énergétique mondial
De prime abord, le méthanol coche pourtant de nombreuses cases pour s’intégrer dans un paysage énergétique décarboné et emporter la décision par rapport aux carburants traditionnels en dehors de ses atouts verts : infrastructure établie, disponibilité, stockage et manutention simplifiées (état liquide du méthanol à température et pression ambiantes), élasticité de la production (à partir de différentes matières premières telles que les déchets agricoles et municipaux, le gaz naturel, le charbon et même le dioxyde de carbone capturé)…
L'énergie n'est cependant pas sans poser de problèmes, principalement parce que sa densité énergétique est deux fois moins élevée que celle du diesel et qu'elle nécessite de ce fait un volume deux fois plus important. Aussi, si le passage au GNL (« gris ») permet de réduire les émissions de CO2 d'environ 20 % par rapport au fuel lourd (HFO), le méthanol « gris » ne permet pas de réduire les émissions de CO2 en tant que telles. Cela signifie que le succès du passage au méthanol dépend exclusivement d'un approvisionnement en méthanol « vert » dès le premier jour. Un facteur bloquant.
Des contrats d'approvisionnement en panique
Au cours des derniers mois, les principaux transporteurs utilisant du méthanol ont continué à contracter pour sécuriser leurs volumes mais la disponibilité future questionne.
Maersk a signé fin octobre 2024 un accord à long terme avec la société chinoise LONGi Green Energy Technology pour la fourniture de bio-méthanol à partir de début 2026 mais n’a pas précisé la quantité couverte par l'accord. Ce contrat, qui vient s'ajouter à une dizaine d’accords long terme, lui assure quelque 3 Mt, encore loin des 5 à 6 Mt de méthanol dont il aurait besoin d'ici à 2030 pour alimenter sa petite flotte au méthanol, qui d'ici 2028, sans nouvelles commandes, totalisera 400 000 EVP.
Hapag-Lloyd vient de s'engager avec le Chinois Goldwind pour la livraison de 250 000 t de méthanol vert par an (bio et e-méthanol) lui garantissant une réduction des émissions des GES d'au moins 70 %, assure l’armateur allemand, soit 400 000 t. Goldwind prévoit de construire une nouvelle usine de méthanol vert à côté de son projet existant à Hinggan League, en Chine. Mais la décision d’investissement doit encore être validée par son conseil d'administration. « Nous prévoyons de finaliser une première ligne de production de méthanol vert d'une mégatonne à la fin de l'année 2027 », assure néanmoins Liu Rixin, responsable de Goldwind Green Methanol. Les cinq navires affrétés de 10 100 EVP que Hapag-Lloyd et Seaspan convertiront en 2026 à un système de propulsion bicarburant adapté au méthanol seront alimentés par du méthanol vert. En 2023, Maersk, qui à compter de février 2025 sera un partenaire d’Hapag-Lloyd dans une nouvelle alliance (Gemini), avait également contracté avec le nouveau fournisseur chinois de son associé.
Le dernier contrat d'approvisionnement en méthanol connu de CMA CGM a été conclu par le biais d'un protocole d'accord avec Shanghai International Port Group (SIPG) en 2023 qui doit le rendre disponible à Shanghai. SIPG est par ailleurs engagé avec CoscoSL qui a par ailleurs signé un protocole d'accord en 2023 avec deux autres entités d’État, State Power Investment Corporation (SPIC) et China Certification & Inspection Group (CCIC) en vue de développer une chaîne industrielle chinoise de méthanol vert. Le quatrième armateur mondial de porte-conteneurs s’est plus récemment engagé via un protocole d'accord tripartite avec le groupe Charoen Pokphand (CP) et l'entreprise américaine Freeport Commodities pour du méthanol vert à partir de biomasse en Asie du Sud-Est.
Des revirements spectaculaires
Les doutes s'emparent et cela se voit. Maersk, militant-acteur de la première heure du méthanol vert, à l’origine de la commande des premiers porte-conteneurs du secteur (2021) et des contrats long terme pour amorcer la pompe à la production, a rejoint récemment le club des convertis au GNL. Après avoir été un redoutable procureur de son empreinte environnementale et ses fuites de méthane.
L’armateur danois a annoncé cet été la conversion d’une commande de 15 porte-conteneurs de petite taille (3 500 EVP) initialement contractée au méthanol en GNL. Il vient de compléter sa flotte au GNL en commandant 20 porte-conteneurs de 9 000, 15 000 et 17 000 EVP alors que le constructeur sud-coréen HHI vient de lui livrer la septième de ses unités de 16 592 EVP (21 rangées de conteneurs, 351 m de long).
Approvisionnement critique
Les craintes concernant l'approvisionnement en méthanol alors que plus des deux tiers des installations de production prévues n'ont pas de décision finale d'investissement, ainsi que les coûts élevés de production et des problèmes techniques dans les moteurs dual fuel, entament la confiance.
Selon l'Institut du méthanol, organisme de lobbying de l'industrie du méthanol, plus de 23 Mt de bio-méthanol et d'e-méthanol sont prévus d'ici 2029. L'offre actuelle est estimée à environ 0,5 Mt par an (0,2 Mtep/an) et doit passer à 3,6-6,1 Mtpa (1,7-2,9 Mtep/an) d'ici la fin de l'année 2030. La demande mondiale s'élève actuellement à 90 Mt, ce qui en fait l'un des cinq produits chimiques les plus transportés. Le produit est actuellement disponible dans 120 ports du monde entier alors que son prix sur le marché au comptant est d'environ 325 $/t dans des ports tels que Houston, Rotterdam ou Singapour.
La production de méthanol renouvelable reste néanmoins coûteuse. « Autour de 1 500 à 1 600 € la tonne, soit quatre fois le prix du fuel lourd, et la moitié de ce prix est dû à l'électricité », a expliqué au cours d'un débat tenu dans le cadre du Blue Maritime Summit Alexis Martinez, le CEO d’H2V. L'entreprise envisage sur le port de Marseille la construction de six unités de production d'hydrogène pour produire des carburants pour la mobilité lourde (SAF dans l'aérien et méthanol dans le maritime). « Pour développer une filière d'hydrogène, en général, on a besoin d'un outil net d'électricité de 40 € du mégawatt, le prix de l'électricité et la compensation carbone inclus. » Le dirigeant reste néanmoins confiant : « nous restons persuadés qu'après 2035, les besoins en méthanol pour le transport maritime vont augmenter de manière significative car on aura besoin de tous les leviers pour décarboner le maritime. On ne pourra pas faire abstraction du méthanol puis du e-méthanol ».
Aussi, la directive FuelEU et le système européen d'échange de quotas d'émission, vont augmenter le coût de la mise en conformité pour les transporteurs qui continueraient à utiliser des carburants fossiles. Selon les estimations de l’Institut du méthanol, ce coût passera de 300 $/t en 2025 à plus de 2 000 $ d'ici 2050. L’incitation économique sera-t-elle suffisante que le carburant vert dépasse le stade de toutes ses promesses ?
Adeline Descamps
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