C’est un appel à l’unisson de près de 30 associations en faveur de la libération des membres d’équipage du porte-voitures Galaxy Leader, le premier navire marchand attaqué par les rebelles houthis, le 19 novembre, et l’un des deux seuls (avec le vraquier Ruen) à avoir été arraisonné.
Le porte-voitures avait été escorté jusqu'au port yéménite de Salif (vrac sec), situé dans le gouvernorat de Hodeïda. Les 25 membres d’équipage, de différentes nationalités, dont le capitaine bulgare, mais aussi des Ukrainiens, des Philippins et Mexicains, sont depuis retenus en otages.
Parmi les signataires, des organisations maritimes ayant pignon sur mer (Bimco, chambre internationale de la marine marchande, chambre de la marine marchande de plusieurs pays) mais aussi des associations professionnelles (associations d’armateurs européens, espagnols, italiens, néerlandais, suisses, norvégiens, japonais, américains…) ; des syndicats d’employeurs et d’ouvriers du transport, des représentants de métiers du transport maritime (coutiers, agents maritimes, capitaines de navires, gestionnaires techniques) ou encore de segments (armateurs de navires-citernes).
Cette nouvelle urgence relaie les alertes répétées et conjointes de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), l’organisation syndicale représentant les gens de mer, et du Joint Negotiating Group of unions and employer organizations (les employeurs maritimes internationaux composant le groupe de négociation paritaire, JNG)*, qui ont sensibilisé à plusieurs reprises sur le sort des marins.
Trois mois de captivité
« Aujourd'hui, lundi 19 février 2024, cela fait trois mois que les Houthis se sont emparés du Galaxy Leader et de ses 25 marins en mer Rouge, victimes innocentes de l'agression en cours contre le transport maritime mondial, font valoir les 29 cosignataires de la déclaration. Les organisations internationales et les États doivent tout mettre en œuvre pour obtenir la libération des marins ».
Le porte-voitures, exploité par Nippon Yusen (NYK), est symbolique car, dès lors, la mer Rouge est devenue une histoire internationale (et médiatique dans la presse grand public). Le navire avait été saisi quelques jours après l'alerte à la navigation lancée par l'International Maritime Security Construct (IMSC), à la suite d'une série de provocations au large du Yémen.
« Nous coulerons vos navires », avait averti le 14 novembre un porte-parole des rebelles houhis. « Tous les navires appartenant à l'ennemi israélien ou traitant avec lui deviendront des cibles légitimes ». C’est la première fois que les rebelles houthis du Yémen, dont on avait presque oublié l’existence, se rappelait au souvenir du monde.
Le Yemen, pays le plus pauvre de la péninsule arabique (plus de 18 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population, dépendent de l'aide humanitaire), est depuis 2014 en proie à une guerre civile opposant le gouvernement, soutenu depuis 2015 par une coalition militaire conduite par l'Arabie saoudite, aux houthis proches de l'Iran qui contrôlent des pans entiers du pays, dont la capitale Sanaa.
Si une trêve a été négociée en avril 2022 par les Nations unies, la guerre entre Israël et le Hamas palestinien dans la bande de Gaza a réveillé les antagonismes, avec les craintes d'une escalade régionale du conflit entre Israël et son allié américain d'une part et d'autre part, des groupes armés proches de l'Iran qui soutiennent le Hamas au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen.
Méprise sur la nationalité du navire
Le PCTC (pure car and truck carrier) d’une capacité 5 100 CEU, qui faisait route vers l'Inde via la Turquie sans cargaison, appartient à la société britannique Ray Car Carriers, basée sur l'île de Man (britannique, mais a pour actionnaire principal l'Israélien Abraham Rami Ungar.
Dans les premiers jours qui ont suivi la prise d’otages, les images transmises par les Houthis étaient surréalistes. Symbole de leur combat, le navire est devenu un objet d’attraction sur lequel étaient organisées des visites !
Le 6 février, dans un interview à la chaîne de télévision bTV, le ministre des Transports bulgare Gueorgui Gvozdeykov avait indiqué que l’équipage était « sain et sauf » et était « logé dans un hôtel ». « Leur retour en Bulgarie est en train d'être organisé », avait-il ajouté, sans donner plus de détails.
Le Premier ministre bulgare Nikolay Denkov avait déclaré mi-janvier que leur libération faisait l'objet de « discussions avec les Houthis ».
Des négociations sont aussi en cours concernant un autre navire bulgare battant pavillon maltais, le vraquier Ruen, attaqué le 16 décembre à l'est de l'île yéménite de Socotra. Les pirates, qui ont remis un marin blessé aux garde-côtes indiens, ont emmené le navire et ses 17 membres d'équipage dans la région semi-autonome du Puntland en Somalie.
Droit de retrait
Jusqu'à présent, aucun marin n'a été blessé ou tué par les frappes des Houthis, malgré des attaques frontales.
Mais c’est bien la situation du Galaxy Leader qui a motivé la décision prise le 7 février, à l’occasion de l'International Bargaining Forum (IBF), forum qui réunit la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) et les employeurs maritimes internationaux du JNG, à inscrire dans les droits des gens de mer la possibilité de refuser de naviguer dans la zone à haut risque, laquelle a été étendue du sud de la mer Rouge à des zones plus vastes du golfe d'Aden et aux eaux environnantes.
En décembre, le groupe avait déjà approuvé la mise en œuvre de la définition des zones à haut risque permettant aux marins de recevoir une prime égale à leur salaire et une double indemnisation en cas de décès ou d'invalidité.
« Cette décision n'a pas été prise à la légère, car elle pourrait avoir un impact négatif sur le commerce mondial mais la sécurité des marins est primordiale », ont indiqué les groupes dans une déclaration commune. Ils signifient aussi par-là que la préoccupation (sincère) pour la sécurité des gens de mer ne doit pas occulter l'économie, maîtresse des décisions.
Préavis et indemnisation
Selon les termes de l'accord, les marins doivent disposer d'un préavis de sept jours avant d'entrer dans la zone à haut risque. S'ils font valoir leur droit de retrait, ils doivent être rapatriés aux frais de la compagnie avec une compensation égale à deux mois de salaire de base.
L'indemnité de deux mois de salaire de base ne s'applique pas si le marin est transféré sur un autre navire appartenant ou lié au même armateur/manager, au même rang et au même salaire et dans toutes les autres conditions.
Il ne doit pas y avoir de perte de revenus ou de droits pendant le transfert et la compagnie doit prendre en charge tous les frais et la subsistance pendant le transfert.
La mise au point permettra de régler une réalité passée sous le radar : plusieurs équipages ayant menacé de refuser de naviguer ont pu être menacés de résiliation de contrat.
Quel que soit l'accord conclu entre les partenaires sociaux, la sécurité des marins est une responsabilité mondiale qui exige des solutions mondiales, indique le texte.
« En conséquence, la collaboration entre les gouvernements locaux et internationaux, les États du pavillon, les ports et les aéroports sera cruciale pour que les marins puissent être rapatriés rapidement et en toute sécurité s'ils le demandent ». Afin de ne pas répéter la crise de la relève des marins engendrée par la pandémie ? Un temps critique durant lequel les marins, piégés sur les navires, ont servi bien au-delà du seuil légal des neuf mois, souvent jusqu'à 18 mois.
Adeline Descamps
* Le groupe de négociation paritaire (JNG, Joint Negotiating Group) se compose aujourd'hui du Conseil international des employeurs maritimes (IMEC), de l'International Mariners Management Association of Japan (IMMAJ), de l'Association des armateurs coréens (KSA) et de la société Evergreen.
Les cosignataires de la déclaration
Les armateurs
Yuichi Sonoda, secrétaire général d’Asian Shipowners Association (ASA, armateurs asiatiques) ; Elena Seco, DG de l’Asociación de Navieros Españoles (ANAVE, armateurs espagnols) ; Domenico Rognoni, président de Bahamas Shipowners Association ; Mario Zanetti, président de la Confederazione italiana Armatori (Confitarma, armateurs italiens) ; Anne H. Steffensen, PDG de Danish Shipping (armateurs danois) ; Toshiya Morishige, directeur général de l’Association des armateurs japonais (JSA) ; Kierstin Del Valle Lachtman, secrétaire général du Liberian Shipowners' Council (LSC) ; Harald Solberg, PDG de la Norwegian Shipowners’ Association (NSA, armateurs norvéviens) ; Annet Koster, DG de la Royal Association of Netherlands Shipowners (KVNR, armateurs néerlandais) ; Éric André, président de la Swiss Shipowners Association (SSA, armateurs suisses) ; Sotiris Raptis, secrétaire général de l’European Community Shipowners’ Association (ECSA, association des armateurs de la Communauté européenne).
Les chambres maritimes
Guy Platten, secrétaire général de l’International Chamber of Shipping (chambre internationale de la marine marchande) ; Bruce Burrows, PDG de la Chamber of Marine Commerce ; Kathy J Metcalf, président de la Chamber of Shipping of America ; Thomas Kazakos, directeur général de la Chambre de la marine marchande de Chypre ; Sarah Treseder, PDG de la UK Chamber of Shipping.
Les syndicats
Francesco Gargiulo, DG de l’International Maritime Employers’ Council (IMEC) ; Stephen Cotton, secrétaire général de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF).
Les organisations
David Loosley, secrétaire général et PDG du BIMCO (organisation d’exploitants de navires, 65 % du tonnage mondial) ; John W. Butler, PDG du World Shipping Council (WSC) ; Patrick Verhoeven, directeur général de l’International Association of Ports & Harbors (IAPH) ;
Les métiers et les filières
Kelly Craighead, présidente et CEO de la Cruise Lines International Association (CLIA, croisière) ; Javier Dulce, président de la FONASBA (Fédération des associations nationales de courtiers et d'agents maritimes) ; Jim Scorer, secrétaire général de l’International Federation of Shipmasters' Associations (IFSMA, capitaines) ; Kuba Szymanski, secrétaire général d’InterManager (shipmanagers) ; Iain Grainger, PDG de l’International Marine Contractors Association (IMCA, prestataires de services maritimes dans les secteurs du pétrole et du gaz offshore et des énergies renouvelables) ; Manish Jain, président de l’IPTA (armateurs de navires-citernes) ; Révérend Mark Nestlehutt de The Seamen’s Church Institute et Jason Zuidema, secrétaire général de l’International Christian Maritime Association.