Comme annoncé début juillet, le cap des 600 $ la tonne de ferraille a été franchi la semaine dernière dans certains chantiers de démantèlement du Bangladesh, de l’Inde et du Pakistan, qui concentrent les activités de recyclage de navires. Quand les prix de l’acier recyclé n’ont pas passé la ligne de crête, ils sont sur le seuil de la porte. Les prix moyens pour les vraquiers ont atteint 580 $ la tonne et les pétroliers 590 $ au Bangladesh. Le Pakistan est aligné avec 590 $ pour les porte-conteneurs, 570 $ pour les vraquiers et 580 $ pour les navires-citernes, soit 30 dollars par tonne de plus que les prix de la ferraille en Inde, indique l'acheteur au comptant GMS.
Un navire-citerne de taille moyenne au Bangladesh vaut actuellement le double d'il y a un an. Quelque 151 navires de plus de 10 000 tpl ont été mis au rebut jusqu'à présent en 2021, selon les données de Lloyd's List Intelligence.
Depuis le début de l’année, les prix de l’acier sont pris dans une spirale haussière avec des répercussions sur la tonne de ferraille qui, depuis mars, s’envole. GMS, le plus important acheteur mondial de navires en fin de vie, n’a pas connu de prix aussi fermes depuis les « jours grisants de 2008 et la crise financière mondiale. La barrière des 600 $/LDT [tonne de déplacement léger, NDLR], comme on le soupçonnait en début de mois, a effectivement été franchie sur un certain nombre de navires. Reste à savoir combien de temps cet élan va durer. »
Les taux offerts ne manifestent en tout cas aucun découragement alors que la saisonnière mousson s’installe dans le sous-continent indien et que les vacances de l'Aïd au Pakistan et au Bangladesh vont ralentir l’activité. GMS estime que la demande est loin d'être satisfaite : « Les taux d'affrètement des pétroliers continuent de souffrir. Les prix actuellement records vont peut-être inciter les armateurs à se débarrasser de leurs unités vieillissantes. »
Pas de candidats à la fin de vie
L’emballement des prix offerts pour la tonne recyclée n’est pas la seule anomalie du marché. Malgré l’extrême valorisation des taux, les candidats ne se précipitent toujours pas dans les chantiers de fin de vie. En conséquence, le tonnage disponible sur le marché de la démolition est rare.
« Nous insistons à nouveau sur le fait qu'il ne devrait pas y avoir une trop forte dépréciation des prix et nous pensons que ces niveaux impressionnants devraient se maintenir au Pakistan et au Bangladesh, la demande locale restant élevée et l'économie mondiale continuant à se redresser après la pandémie. L'Inde reste donc un peu à la traîne par rapport à ses voisins, avec des niveaux de prix qui se situent toujours dans la fourchette des 500 € », indique Clarkson Platou Hellas.
Tout comme sur le sous-continent, les taux se seraient également améliorés en Turquie au cours des dernières semaines ainsi que dans les chantiers de recyclage hors UE avec néanmoins des prix qui restent à 300 $. Dans les chantiers européens, dont le nombre est encore limité du fait de l’agrément exigé par l’UE , « les prix restent les plus élevés que nous ayons vus pour le recyclage, avec des niveaux oscillant autour de 200 $ », ajoute le courtier maritime.
Optimisme mitigé
Pour Allied, la situation est tout aussi anormale. Le manque d'intérêt pour la démolition a même gagné l’un des marchés les plus actifs de l'année, à savoir le Bangladesh. Cependant, « les prix attractifs offerts et les perspectives décourageantes pour la demande de transport pétroliers maintiennent l’optimisme des acteurs locaux qui anticipent de nouvelles affaires dans les semaines à venir », assure le professionnel. L’Inde ne partage pas le même enthousiasme car l’activité est limitée depuis le début de l'année. Les prix de l'acier local ont pourtant augmenté et la situation épidémique a montré des signes de reflux.
« Les nouvelles réglementations sur le recyclage des pétroliers sont en outre susceptibles de freiner l'intérêt des propriétaires d'unités anciennes », ajoute l’expert en courtage.
Marché trop dynamique dans le conteneur
Les ventes de démolition ont chuté au premier semestre 2021, indique pour sa part Alphaliner. Les porte-conteneurs ne sont en effet pas intéressés par le démantèlement, compte tenu d’une offre hyper dynamique et de la flambée des taux de fret et d’affrètement. Seuls 15 navires ont été envoyés dans des chantiers de recyclage jusqu’à présent pour un total de 12 431 EVP. À mettre en perspective avec les 51 500 EVP et 26 navires vendus pour démolition au second semestre 2020, et bien en deçà des 143 000 EVP et 56 navires au premier semestre de l'année dernière.
Alphaliner prévoit donc que 2021 sera une année particulièrement faible avec une mise à la casse qui devrait être bien inférieure aux 194 500 EVP recyclés en 2020.
Des fondamentaux pas près de s’épuiser
La donne actuelle du marché de recylage s'inscrit dans un contexte de forte demande d'acier et de hausse des prix du minerai de fer, fondamentaux qui ne seraient pas près de s’épuiser selon les analytes. S’ils estiment peu probable que les prix du minerai de fer se maintiennent au-dessus de 200 $ la tonne, ils devraient rester fermes autour de 150 $ pendant une bonne partie de l'année prochaine, conviennent-ils. Les contrats à terme du minerai de fer ont atteint des niveaux record en Chine cette année. Le plus actif sur le Dalian Commodity Exchange, pour la livraison en septembre, a atteint les 1 241 yuans (191,5 $) il y a quelques jours.
Adeline Descamps