Sept ans avant la date assignée par l’OMI, A.P. Moeller-Maersk annonce qu’il exploitera le premier navire neutre en carbone d’ici 2023. Un feeder bicarburant de 2 000 EVP mais qui sera alimenté dès le premier jour de sa mise en service avec un méthanol d’origine renouvelable. Dans deux ans donc…
Maersk continue de construire le propre récit de sa décarbonation, jalonnant les étapes qui doivent le conduire à exploiter une flotte totalement neutre en carbone d’ici à 2050. Depuis deux ans, il presse le pas. En leader mondial de la ligne régulière, il semble vouloir donner le tempo avec plus ou moins d’écho et de succès auprès de ses semblables. Ces deux dernières années, il a initié plusieurs actions visant à enrôler les parties prenantes de la chaîne de valeur dans des coopérations industrielles. Il avait commencé par inviter en 2018 l’ensemble de la filière, et surtout ses homologues, à une « étroite collaboration de toutes les parties pour développer le nouveau type de navires zéro carbone qui naviguera en 2050 ».
L’armateur danois a ensuite contribué à la création de la coalition « Getting to zéro coalition », rejointe par une soixantaine d’entreprises dont des affréteurs, des négociants, de compagnies pétrolières, des banques, des équipementiers… Puis il a adhéré à diverses alliances au-delà même de son secteur et avec toutes plus ou moins le même objet : développer des technologies alternatives, les carburants de substitution et infrastructures adaptées à une flotte de navires marchands libérés de ses émissions de CO2.
C’est avec quelques-uns des industriels répartis dans ces coalitions ‑ ABS, Cargill, MAN Energy Solutions, Mitsubishi Heavy Industries, NYK Lines et Siemens Energy ‑ que le danois a lancé en juin 2020 le Maersk-McKinney Møller Center for Zero Carbon Shipping, en hommage à celui qui dirigea l’entreprise, Arnold Maersk Mc Kinney Møller, décédé en 2012. L’organisme à but non lucratif, entend aussi « développer des solutions pour rendre le transport maritime plus neutre en CO2 ». Il a bénéficié pour l’amorçage d’un don 60,3 M$ de la Fondation AP Møller.
Maersk prévoit de commander des navires neutres en carbone d'ici trois ans
Convictions faires : méthanol, le biogaz et l'ammoniac
Dans chacune de ses interventions publiques, Søren Skou, le PDG d'A.P. Møller Mærsk, répète que, pour que la filière soit prête en 2050, les premiers navires neutres en carbone doivent entrer dans la flotte d'ici 2030 au plus tard. Il a toujours accroché son horizon à cette date. Sans cela, argue-t-il, le secteur ne pourra pas honorer les objectifs de l’OMI sur les émissions carbone (diviser par deux par rapport au niveau de 2008, les émissions totales de GES du secteur d’ici 2050 et de 40 % d’ici 2030).
Dans une série intitulée « Outrage + Optimisme », diffusé en janvier dernier, Søren Skou avait annoncé qu’il allait commander ses premiers navires neutres en carbone dans les trois ans, ajoutant qu’ils serviront à nourrir la « littérature » et acquérir de l’expérience « sur ce qui fonctionne sur le plan opérationnel et de la sécurité de façon à être prêts à commander de grands navires vers la fin de cette décennie ».
Les convictions du dirigeant sont connues : il ne croit pas au GNL, émetteur de méthane selon lui, pas davantage à la technologie de capture et stockage de carbone, qui enthousiasme pourtant ses semblables. Il s’intéresse plus particulièrement au méthanol, au biogaz et à l'ammoniac. Des carburants d’avenir qu’il a identifiés dès octobre 2019 et dont il sait pourtant qu’ils posent encore des problématiques de sécurité à bord et de toxicité.
Décarbonation : Maersk a sélectionné quatre carburants d'avenir
Envoyer un signal aux fournisseurs de carburants
« Dans deux ans, un feeder d'environ 2 000 EVP, exploité sur les lignes intrarégionales, naviguera au méthanol vert », a indiqué la société dans un communiqué de presse en date du 17 février. « Notre ambition d'avoir une flotte neutre en carbone d'ici 2050 était un coup de semonce lorsque nous l'avons annoncé en 2018. Aujourd'hui, nous considérons qu'il s'agit d'un objectif ambitieux, mais réalisable », avoue Søren Skou.
Dorénavant, les futurs navires de la compagnie seront commandés avec des motorisations bicarburant, soit un fuel à faible teneur en carbone et un carburant neutre en carbone. En l’occurrence pour le feeder, il est prévu un méthanol « dès le premier jour de sa mise en service. »
« L’approvisionnement dans les délais impartis sera un défi majeur. Notre succès dépend de l'adhésion des clients et de l’intensité de notre collaboration avec les fabricants de carburant. Nous estimons que mettre en service le premier navire de ligne neutre en carbone au monde d'ici 2023 est le meilleur moyen d’accélérer la mise à l'échelle de la production dont nous aurons besoin », soutient Henriette Hallberg Thygesen, PDG de Fleet & Strategic Brands, A.P. Møller - Maersk. La compagnie assure qu’elle est en négociation avec plusieurs fournisseurs de méthanol.
Coûts opérationnels significatifs
D'ici 2030, Maersk s'est fixé comme objectif une réduction de 60 %, par rapport à 2008, des émissions CO2 générées par ses activités de transport maritime. Dans ses intentions, le transporteur va donc plus loin que la réglementation. Elles ont généré 33,9 Mt de carbone en 2020, dont 96 %, provient de la motorisation des navires, selon son rapport d’activité annuel
Pour l’armateur, il ne sera pas beaucoup plus coûteux de construire des navires zéro carbone. En revanche, les coûts opérationnels devraient être plus importants. Il l’assume. Les clients devront-ils payer pour des navires « climatiquement neutres » ? Maersk semble penser qu’ils y sont prêts. C’est du moins ce qui ressort de ses études marketing.
Adeline Descamps