Depuis mai 2020 avec le ralliement de poids de DP World et la reconnaissance en 2021 de son système de connaissement électronique (e-BL) par les membres de l’International Group of P&I Club, on n’entendait plus trop parler de la plateforme de blockchain annoncée par Maersk et IBM en 2017 et officiellement lancée en 2018. L’idée de TradeLens était d’offrir une visibilité sur l'ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de partager des données en temps réel et d’effectuer des échanges et transactions sans intermédiaires et de manière sécurisée. Son principal argument : réduire les coûts et créer de la valeur grâce à une meilleure efficacité opérationnelle induite par une plus grande visibilité sur les flux de conteneurs en amont et en aval du port.
CMA CGM, MSC, Hapag-Lloyd, ONE, ZIM et PIL avaient fini par rejoindre la plateforme décentralisée, dite neutre et transparente bien qu’initiée par Maersk, après avoir longtemps hésité.
D’après les dernières données disponibles (2020), TradeLens publiait 2 millions d'événements par jour et agrégeaient des données de plus de 600 ports et terminaux dans le monde, dix transporteurs et quelque 175 organisations
La plateforme, développée avec les services d’IBM, est une parmi de nombreuses initiatives basées sur la technologie de la blockchain, dont il est beaucoup attendu pour lever les verrous à la digitalisation du fret maritime et tendre vers l’interopérabilité et l’établissement de normes communes pour les interfaces et les données techniques,
Mise hors ligne au premier trimestre 2023
Ses deux promoteurs ont annoncé le 29 novembre 2022 leur décision de retirer les offres de TradeLens et d'arrêter la plateforme faute de viabilité financière. Elle devrait être mise hors ligne à la fin du premier trimestre 2023.
« TradeLens a été fondée sur la vision audacieuse de faire un bond en avant dans la numérisation de la chaîne d'approvisionnement mondiale en tant que plateforme industrielle ouverte et neutre. Malheureusement, alors que nous avons réussi à développer une plateforme viable, le besoin d'une collaboration industrielle mondiale complète n'a pas été atteint », a justifié Rotem Hershko, responsable des plateformes commerciales chez A.P. Moller – Maersk. « En conséquence, l’entreprise n'a pas obtenu les exigences commerciales nécessaires pour poursuivre ses activités et répondre aux attentes financières en tant qu'entreprise indépendante.»
Accord de la FMC
Dans son communiqué, Maersk entend poursuivre ses « efforts de numérisation de la chaîne d’approvisionnement » avec d'autres solutions et compte s’appuyer sur l’expertise acquise par TradeLens pour avancer dans ce sens.
La plateforme avait réussi notamment un coup de maître lorsque le gendarme américain du transport maritime (Federal maritime Commission, FMC) avait autorisé les parties prenantes à coopérer en ce qui concerne l’échange d’informations et de documents au sein de la chaîne d'approvisionnement.
L’abandon n’étonnera pas les détracteurs, ceux qui ne croyaient pas au fait que des concurrents puissent accepter de partager des informations touchant aux clients donc sensibles. Ceux qui étaient sceptiques quant à sa neutralité et sa transparence. Maersk et IBM ont même dû modifier la raison sociale de l’entreprise pour vaincre les dernières réticences.
Pour autant, certains ont continué de jouer les francs-tireurs. Un concurrent, Global Shipping Business Network (GSBN), est entré en service en mars 2021, avec Hapag-Lloyd comme actionnaire mais aussi Cosco ainsi que les opérateurs portuaires Hutchison Ports, SPG Qingdao Port, PSA International et le Shanghai International Port Group.
Décision étonnante
La décision est en revanche étonnante à un moment où les derniers événements ont prouvé toute la raison d’être de cette plateforme : son potentiel « à accroître la transparence et à réduire les erreurs et les retards alors que l'industrie repense et améliore la résilience des chaînes d'approvisionnement », comme le souligne André Simha, directeur du service numérique et de l'information du MSC, par ailleurs impliqué dans la Digital Container Shipping Association (DCSA), dont l’armateur de Genève est un membre fondateur.
Adeline Descamps