L’art du méthanier pourrait ne plus être, dans une poignée d’années, l’exclusif pré-carré des chantiers navals sud-coréens, détenteurs quasi uniques d’un savoir-faire dans ces navires sophistiqués, complexes, techniques et à haute valeur ajoutée pour toutes ces raisons. La Chine, qui dispute avec son voisin le leadership mondial dans la construction navale, a longtemps été écartée de ce marché haut de gamme, cantonnée aux fabrications plus grossières.
Les dernières attributions de marché n’abusent plus sur la montée en gamme des constructeurs chinois qui avaient brisé pour la première fois le monopole sud-coréen en 2008 en livrant le premier méthanier de grande taille fabriqué en Chine.
L’ascension, qui fut d’abord lente avec des commandes croissantes ces dernières années, s’est accélérée ces derniers mois dans le contexte de l'aggravation de la crise énergétique en Europe, qui fait exploser la demande de GNL et a déclenché une vague de construction pour des méthaniers alors que le déséquilibre entre l’offre et la demande a favorisé une montée rapide des tarifs d’affrètement. Au cours des huit premiers mois de l'année, le nombre total de commandes de nouveaux navires GNL a atteint le chiffre record de 111 dans le monde, selon Clarksons Research. Les navires actuellement disponibles sont des denrées rares, notamment dans le bassin atlantique. Les trois principaux constructeurs de navires sud-coréens affichent complet jusqu’en 2025, tous les créneaux d’amarrage étant réservés jusqu’à cette date, ce qui laisse plus de latitude aux constructeurs chinois pour manœuvrer.
Premier camouflet pour les sud-coréens
Un grand pas avait été franchi ces deux dernières années lorsque Qatar Energy a fini par retenir, à l’issue d’une long processus de sélection s’étalant entre 2019 et 2021, le géant chinois de la construction navale CSSC pour la construction de plusieurs méthaniers entrant dans le cadre de son vaste programme de construction neuve portant sur 100 à 150 unités moyennant un investissement de 20 Md$. La première commande qatarie a été confiée au seul chantier chinois alors capable de délivrer des méthaniers de grande taille, Hudong-Zhonghua.
L’accord sino-qatari avait été un véritable camouflet pour les chantiers sud-coréens (Hyundai Heavy Industries, DSME et Samsung Heavy Industries) qui avaient jusqu’alors construit tous les méthaniers commandés par le Qatar de 2004 à 2007. En avril dernier, Hudong-Zhonghua Shipbuilding a de nouveau remporté un contrat avec Qatar Energy pour la construction de quatre méthaniers.
Accélération
En mars, le chantier naval de Jiangnan à Shanghai, également une unité du géant CSSC, a signé un contrat avec Adnoc Logistics&Services, la division maritime d'Abu Dhabi National Oil, pour la fabrication de deux méthaniers de 175 000 m3.
Dalian Shipbuilding Industry et China Shipbuilding Trading de la China State Shipbuilding Corp (CSSC) viennent de recevoir une nouvelle commande de China Merchants Energy Shipping. dont la première série sera assurée par le chantier naval de Dalian. Selon le média Trade Wind, la société danoise Celsius Tankers envisagerait de confier dix à douze méthaniers à Yangzijiang Shipbuilding et China Merchants Heavy Industry.
Avant 2022, seuls quatre constructeurs de navires dans le monde étaient en mesure de construire des méthaniers à grande échelle : Hudong-Zhonghua Shipbuilding en Chine et les trois sud-coréens. La communauté s’élargit.
Une part de marché mondiale de 25 %
Dernier symptôme. GTT, la spécialiste des systèmes de confinement, qui permettent de stocker et transporter du GNL à -163°C, a signé avec Yangzijiang Shipbuilding un accord de licence, quatrième chantier naval chinois (après les constructeurs Hudong-Zhonghua, Jiangnan et Dalian shipbuilding) à pouvoir utiliser les membranes Mark III si spécifiques de la société française.
À fin juillet, les constructeurs navals chinois avaient décroché un total de 32 commandes de méthaniers, soit le plus grand nombre de commandes annuelles dans l'histoire du pays. Selon diverses sources, la part de marché des chantiers navals chinois serait désormais proche de 25 % à l'échelle mondiale.
Adeline Descamps