Le mur du son a été franchi dans le transport maritime. L'indice Drewry World Container Index, publié le 27 mai, a pointé l’exploit : il en coûte10 174 $ pour transporter un conteneur de 40 pieds (FEU) de Shanghai à Rotterdam, l'une des routes les plus âpres, soit une hausse de 3,1 % par rapport à la semaine précédente et un bond de 485 % par rapport à l'année précédente, à période comparable. Le composite, qui prend en compte huit des principaux taux de transport maritime dans le monde, a augmenté de 293 % par rapport à l'année précédente et de 2 % supplémentaires la semaine dernière pour atteindre 6 257 $. Cet indice a dépassé les 5 000 $ pour la première fois en 2021.
C’est tout à fait prévisible au regard de la montée de façon discontinue des prix. Les taux de fret atteignaient le 13 mai les 8 331 $ (+ 493 % en un an), près de six fois plus élevés qu’à la mi-mai 2020. Entre Asie-Méditerranée, ils étaient proches des 10 000 $ (9 387 $), en hausse de 377 % par rapport à l'année précédente. Le thermomètre hebdomadaire du secteur conteneurisé, le SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), composé des taux spot pour les conteneurs au départ de Shanghai, augmente en moyenne de 8 % chaque semaine depuis la mi-mai.
Pour autant, entre 2016 et 2020, les tarifs des conteneurs, bien que fluctuants, n’ont jamais dépassé les 3 000 $, selon les données de Drewry Shipping Consultant.
Lourd tribut
Selon les dernières informations sur le marché fournies par les indices publics XSI® de Xeneta, qui s'appuient sur les taux des principaux chargeurs et transitaires*, les taux contractuels à long terme sont aussi « historiquement élevés » avec une nouvelle hausse des prix de 9 % en mai. Toutes les routes sont concernées et la croissance des taux, au cours des cinq premiers mois, reste spectaculaire, les exportations d’Asie et les importations d'Europe toutes deux en hausse de plus de 50 %.
« La situation est stressante pour les chargeurs, reconnaît Patrik Berglund, le PDG de la plateforme d'analyse du marché et de comparaison des taux de fret aérien et maritime. Ils paient littéralement un lourd tribut à ce succès. Le manque d'équipements et les impacts par ricochet du coronavirus, ajoutés à des aléas imprévus comme le blocage du canal de Suez, ont mis une telle pression sur les chaînes d'approvisionnement que les capacités sont proches du point d'éclatement. »
Accords rompus
Les chargeurs sont donc confrontés à des négociations de plus en plus unilatérales et même les contrats signés ne sont plus une garantie, signifie-t-il. Nul n’est désormais à l’abri des rollovers (conteneurs chargés sur un autre porte-conteneurs que celui prévu initialement) voire des accords rompus. Les transporteurs, déterminés à saisir pleinement l’opportunité du moment, manœuvrent pour gérer une demande particulièrement élevée et tirer parti des taux les plus lucratifs.
Le PDG de Xeneta ne s’aventure pas à fixer un horizon pour entrevoir une détente des taux enfiévrés. « Comme nous ne le savons que trop bien, les choses peuvent changer du jour au lendemain, il est donc utile de garder un œil sur les dernières informations – et cela concerne tout le monde – dans le but d'obtenir une valeur optimale dans les négociations futures », prévient-il. À court terme, en tout cas, « les transporteurs semblent avoir toutes les cartes en main. »
Gains mensuels substantiels
En Europe, la référence des importations a augmenté pour le sixième mois consécutif, de 3,9 % en mai, pour atteindre 51,6 % en glissement annuel et 53,5 % depuis le début de 2021. Les exportations européennes, quant à elles, ont bondi de 8,6 % (+ 15,5 % par rapport à la même période de l'année dernière). L'Extrême-Orient a enregistré des gains mensuels substantiels, tant au niveau des importations (+ 13,8 %) que des exportations (+ 12,2 %).
Aux États-Unis, l'indice de référence des importations a connu sa plus forte hausse mensuelle en deux ans (+ 13,3 %). Les exportations américaines ont cependant connu une évolution plus modeste, mais néanmoins forte, avec une augmentation de 8,7 % depuis la fin de l'année dernière.
Retour des opportunistes
Dans ce nouveau marché qui s’organise, des petites compagnies opportunités tentent de s’aménager une part du gâteau en marge des poids lourds du secteur. La compagnie chinoise qui a créé la surprise en début d’année en se positionnant entre l'Asie et l'Europe, ne cesse depuis d’augmenter la fréquence et la capacité de son service.
Son service express Asie-Europe AEX passera en juin d’une fréquence mensuelle à deux fois par semaine. La compagnie chinoise alignera désormais quatre porte-conteneurs de 4 250 EVP sur son nouveau service lancé en janvier.
« Un armateur résiste rarement aux bonnes affaires », dit-on dans le secteur pour traduire le fait qu’un exploitant de flotte est toujours tenté d’acheter des navires quand les conditions lui permettent. Après des années de mauvaise fortune et au regard des coûts actuels de construction, la période est trop tentante pour ne pas céder aux vieux démons. Depuis le début de l'année, les armateurs de porte-conteneurs ont totalisé l’équivalent de 2,2 MEVP de commande. Un volume plus de 60 % supérieur au précédent record datant du début de 2005, selon les données de BIMCO.
Adeline Descamps
*ABB, Electrolux, Continental, Unilever, Lenovo, Nestlé, L'Oréal, Thyssenkrupp, Volvo Group, John Deere, etc.