Comme toutes les grandes économies, les États-Unis entretiennent un lien ténu avec les choses du commerce maritime. Les dossiers commerciaux et maritimes ne manqueront pas pour la nouvelle administration Biden. Ceux dont elle hérite et qu’il va falloir gérer. Ceux dont elle doit s’emparer au risque de heurter la grammaire courante du parti démocrate et de ses alliés. Tour d’horizon des « hot spot » de la nouvelle présidence. Par Paul Tourret, directeur de l’Isemar.
Promesse du « Make America Great Again » épinglée à la casquette, l'administration Trump n’aura eu de cesse, durant ses quatre ans de mandat, de contester la puissance du géant chinois. Il est d'ailleurs surprenant qu'une administration républicaine se soit ainsi déjugée d'un principe du libre-échange que les États-Unis ont quasiment imposé au monde. Il convient aussi de rappeler que la Chine est entrée en 2002 à l'OMC par la volonté même de Washington qui aura cherché ces quatre dernières années à l'en déloger.
Chaque année, les États-Unis importent de 20 à 21 MEVP dont 70 % en provenance du pays de Xi Jinping. La seule perspective du relèvement des barrières douanières américaines s'est traduite en 2017 et 2018 par des volumes records pour les exportations chinoises, profitant à plein de l'anticipation des importateurs américains à constituer des stocks avant que le couperet ne tombe. Une fois la sanction tombée, le trafic transpacifique s'est réduit de 14 à 13 MEVP mais a alimenté dans le même temps des flux de conteneurs vietnamiens et de camions mexicains.
Le boom des importations se matérialise aussi dans la balance commerciale américaine, aggravée en 2018, avant de retrouver un niveau habituel en 2019 (- 345 M$). La méthode Trump mélangeant rudesse et recherche d'un deal s'est finalement soldée par un premier accord en janvier 2020 selon lequel Pékin achètera pour 200 Md$ de produits agricoles américains sur une période de deux ans à partir d'un point de référence en 2017. Depuis, la Chine a traité sa fièvre porcine, renouvelé son cheptel et importé à nouveau du soja pour nourrir son bétail, dont une grande partie auprès des États-Unis. Les intérêts agricoles, pourtant rouge républicain ont clairement choisi Biden.
Négociations apaisées contre deal viril
Deal commercial et tension politique forment chez Donald Trump un curieux assemblage dans son rapport à la Chine. Le « virus chinois » n'a finalement que peu changé les choses. Les États-Unis importeront cette année 20,5 MEVP (- 4,9 %) dont presque les trois-quarts de Chine. L'économie chinoise sera en toute probabilité la moins affectée des deux économies et les Américains peuvent espérer vendre des produits agricoles.
Sur le plan commercial, la nouvelle administration Biden n’a pas de raison de rompre avec la politique de rigueur à l’égard de son partenaire commercial. Le monde peut attendre des États-Unis un comportement moins disruptif mais les intérêts commerciaux restent antagonistes. Les régions de l’acier et de l’aluminium aux États-Unis prônent le maintien de la rigueur douanière, avec le soutien de l’UE, du Canada et du Japon.
Gaz de schiste et GNL
Totalement dépendante des biens manufacturés importés, les États-Unis n'en restent pas moins une puissance énergétique. Depuis 2013, le pétrole et le gaz de schiste du bassin permien ont changé la face énergétique du pays. Ils ne sont pas étrangers à la belle décennie qu'a connu le continent américain. Ils lui offre de nouvelles capacités commerciales. Les États-Unis qui exportent traditionnellement des produits pétroliers (200 Mt hors Canada en 2020), peuvent désormais vendre du pétrole brut (110 Mt hors Canada). En août dernier, les exportations américaines étaient en progression de 14 % mais il est vrai avec un West Texas Intermediate (WTI), baril de référence à New York, spéculatif.
Grâce au gaz du schiste, de potentiels gros importateurs de gaz, les Etats-Unis sont devenus exportateurs de GNL. L'avenir productif de l'exploitation de ces deux énergies non conventionnelles reste toutefois incertain. Le camp démocrate, dont les convictions sont assez lointaines de ces énergies-là, ne s'aventurera sans doute pas à remettre en cause un grand secteur pourvoyeur d'emplois américains. L’administration démocrate devra faire le grand écart entre les intérêts économiques et les impératifs environnementaux. Mais cette fois, les compromis light des mandats Obama ne seront peut-être plus possibles.
Équilibre environnemental à trouver
Avec 35 Mt de GNL exportés en 2019, les acteurs américains pèsent 10 % du marché mondial. Et si le gaz de schiste n'a pas bonne presse en Europe – au point d'acculer le groupe français Engie à renoncer à un mirifique contrat aux Etats-Unis – la demande mondiale est forte. L'Asie et l'Inde sont des bons clients. L'Europe de l'Est, qui se détourne du gaz russe, va le devenir. En outre, il reste le destin du charbon de moins en moins dirigé vers l'Europe de l'Ouest et qui représente des territoires clés dans la vie politique américaine. Ils auront d'ailleurs occupé le devant de la scène durant toute la campagne électorale.
Les enjeux environnementaux peuvent brider une partie des dossiers les plus contestables (oléoducs, forages arctiques) mais le nouveau pouvoir à Washington ne pourra pas s’offrir le luxe de se priver d’un des atouts de l’économie américaine d’aujourd’hui. Par ailleurs, le dossier pétrolier mondial peut aussi évoluer avec la question iranienne apaisée.
Une industrie maritime décimée
Importateurs de bien manufacturés, exportateurs de matières premières. Le continent nord-américain a tout du profil maritime d'un pays du Sud. Les États-Unis ne tirent pas leur richesse des échanges non maritimes mais de la finance, des nouvelles technologies, de l’aéronautique ou encore de l’industrie du loisir. C'est de cette richesse économique dont tire profit le secteur maritime américain. La croisière embarque 14 millions de passagers chaque année au départ des ports américains. Et les trois grands opérateurs d'outre-Atlantique (Carnival, Royal Caribbean, Norwegian Cruise Line) trustent 74 % du marché. Affectées par le « no sail » des autorités américaines pendant plusieurs mois (levé ces derniers jours mais moyennant des conditions drastiques), les compagnies passent une année en enfer en brûlant collectivement autour d'un milliard de dollars par mois. La stratégie d'évitement du cadre social et fiscal américain se paye avec le rejet de toutes formes d'aide publique. Les compagnies plient l'échine, cherchent du cash et attendent des jours meilleurs en 2021.
Entre géants de croisière « offshorsés » et maigre secteur domestique protégé par le Jones Act, l'industrie maritime américaine se réduit à portion congrue. Le dernier grand transporteur pétrolier (OSG) a disparu il y a quelques années. La conteneurisation américaine s'oublie dans les limbes l'histoire. La disparition annoncée la marque commerciale APL (compagnie implantée aux Etats-Unis acquise par CMA CGM) ferme le ban.
Abandon du shipping
Les États-Unis occupent certes encore un rang mondial (7e) en tant que pays qui possède et contrôle une flotte mais cela cache des engagements grecs. Les 600 vraquiers et pétroliers de contrôle américains n'ont rien d'américains.
L'abandon du shipping par le capitalisme américain reste un fait marquant de l'histoire maritime du pays. Le financement du maritime à New York et la gestion des registres internationaux par quelques sociétés américaines resteront les seuls marqueurs de la maritimité américaine. Et à cela, aucune administration n'y changera rien.
Paul Tourret, Institut supérieur de l’économie maritime