Comme ses cinq prédécesseurs, le Zulu 06 est un ponton automoteur dédié à la logistique urbaine. Doté d’une grue, il embarque ses marchandises sur le pont et non à fond de cale. La grande différence avec les autres Zulu tient à l’énergie utilisée : l’hydrogène, ce qui en fait le premier de cette taille en France à être propulsé avec cette énergie. Une unité dotée d’une pile à hydrogène navigue certes à Nantes depuis 2019, mais il s’agit d’un petit passeur de rive sur la rivière Erdre, qui n’embarque que 12 passagers pour un trajet de seulement 2 minutes.
Un long parcours réglementaire
L’utilisation d’une pile à combustible sur un bateau de transport de marchandises revient au groupe havrais Sogestran, dès 2017. Il devait alors s’agir d’un pousseur naviguant sur le Rhône. Mais cela obligeait à stocker l’hydrogène dans la salle des machines, ce qui était considéré comme trop complexe pour garantir la sécurité de l’installation. C’est donc finalement avec un Zulu, série de sa filiale de logistique urbaine Blue Line Logistics, que Sogestran a choisi d'éprouver l’hydrogène. Les flux urbains, souvent à plus forte valeur ajoutée, peuvent en effet absorber des coûts d’exploitation plus importants. Les distances parcourues, sans être négligeables, sont inférieures à celles d’un pousseur de ligne. Enfin, un tel bateau naviguant en milieu urbain peut servir de vitrine technologique et de démonstrateur d’une logistique verte. Un programme qui a le vent en poupe avec le développement des zones à faible émission.
Projet européen Flagship
Le développement s'est inscrit dans le projet européen Flagship, un programme financé par l’Union européenne, dont l'objectif est de faire naviguer des démonstrateurs dont l’expérience profitera aux autres opérateurs. Initialement, l’armateur norvégien Norled y participait dans le cadre d'un projet de navire à passager. Mais la compagnie a finalement quitté le programme tout en construisant son ferry. Le H2 Hydra, livré en juillet 2021, a d’abord fonctionné en diesel électrique puis est passé à la pile à hydrogène en mars 2023.
Un autre armateur fluvial, cependant, a rejoint Flagship en février 2022 : il s’agit du néerlandais Futur Proof of Shipping (FPS), dont l’automoteur rhénan Maas de 135 m, alimenté au diesel, a été converti à la propulsion électrique et doté d’une pile à combustible à hydrogène. Renommé H2 Barge 1, il navigue depuis mai 2023 à l’hydrogène, transportant des conteneurs entre les Pays-Bas et la Belgique. Un second automoteur de FPS a été converti à l’hydrogène en février 2024.
FPS a dégainé le premier
Sogestran, qui avait pourtant une longueur d’avance sur ses concurrents, s'est heurté à des embûches administratives. Faute de précision sur la norme s’appliquant au réservoir à hydrogène, l’équipement du bateau a été retardé. La dérogation préfectorale pour naviguer sur une zone restreinte en utilisant l’hydrogène n’a pas été accordée. C’est donc une autre voie réglementaire qui a été choisie : une autorisation de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), dont les certificats sont reconnus dans toute l’Union européenne. Ouvrant ainsi la voie à FPS, qui a bénéficié des ajustements réglementaires opérés par la CCNR pour lancer son service hydrogène.
Quel client ?
« Nous sommes allés au niveau européen, faute d’obtenir une autorisation en France pour une zone restreinte », expliquait en octobre dernier Matthieu Blanc, directeur du métier fluvial au sein du groupe Sogestran, qui intervenait au cours de Vert le fluvial, l’évènement de Voies navigables de France (VNF) dédié à la décarbonation du transport fluvial. « Cela a débloqué le dossier pour FPS, avec un chargeur, Nike, prêt à payer 1,5 fois le prix du transport. Nous allons devoir stocker le Zulu 06 à quai pour l’instant, le temps que le marché intègre que nous avons l’outil parfait pour de la distribution urbaine. »
Blue Line Logistics destine la barge à la région parisienne, pour acheminer des marchandises jusqu’au cœur de Paris depuis la banlieue, le groupe Sogestran disposant d’un entrepôt à Gennevilliers, principal port fluvial d’Île-de-France. Le Zulu 06, cependant, n’a pas encore de client pour l’instant.
Étienne Berrier
Zulu 06 fabriqué par le chantier roumain de Piriou
Zulu 06 a été fabriqué à Giurgiu, par le chantier roumain de Piriou. Comme le Zulu 05, cet automoteur de 50 m de long pour 8 m de large peut emporter 400 t de marchandises en pontée, alors que les quatre premiers Zulu sont limités à 300 t. Du chantier de Giurgiu, le Zulu 06 a remonté le Danube grâce aux deux générateurs diesel de 300 kW actionnant ses propulseurs électriques. Il a ensuite rejoint, via la Main et le Rhin, le port de Rotterdam d’où il est parvenu au Havre en mars 2022 à l’issue d’un remorquage maritime. Il a ensuite attendu de longs mois pour être équipé de ses deux piles à combustibles de 200 kW chacune, fournies par la société canadienne Ballard et intégrées par ABB, deux des partenaires du projet Flagship.
Le stockage d’hydrogène, de la taille d’un conteneur de 20 pieds, est placé sur le pont arrière. Les 300 kg à 300 bars offrent une autonomie de 500 km. « Le choix de la propulsion à l’hydrogène décarboné est avant tout un choix engagé. S’il est actuellement plus cher que les autres modes de production d’hydrogène, il est le seul à garantir une décarbonation totale », indique Sogestran.
E.B.