« Le ciel est la limite » (« The sky is the limit », selon l’expression consacrée par les anglo-saxons) pour les taux d'affrètement des porte-conteneurs qui grimpent en flèche depuis quelques mois. « Il n'y a pas aucun signe d’essoufflement du marché à moyen terme tandis que la demande reste robuste pour toutes les tailles de navires. Un cap a été franchi », convient Alphaliner qui a consacré un développement au phénomène dans sa dernière publication hebdomadaire.
Les prix sont en effet entrés en zone d’ébullition alors qu’un navire de 9 000 EVP a été fixé pour un contrat de cinq ans à environ 50 000 $/j (l’affréteur serait ZIM, grand consommateur des « locations », la compagnie ne possédant que deux des 85 navires qu’elle opère). Les plus petites tailles ne sont pas épargnées par la folle inflation. Un panamax de 4 300 EVP s’est négocié à 41 000 $ pour un emploi de 28 mois. C’est un niveau qui n'aurait pas été observé depuis 17 ans, relève l’analyste de la ligne régulière.
Planètes non alignées
À vrai dire, cela fait quelques mois que le marché de l’affrètement est en surchauffe. Les propriétaires non exploitants (NOO) – dont font partie Seaspan, Danaos, Global Ship Lease, Costamare, Diana Containerships, Box Ships… – n’ont pourtant pas eu les planètes alignées sur celles des compagnies exploitantes qui ont bénéficié dès le troisième trimestre des premiers effets de la forte reprise du secteur.
Témoin du décalage entre taux de fret et taux d’affrètement, les NOO n’ont vu les prix commencer à augmenter fortement qu’en toute fin d’année. Ainsi, parmi les NOO cotés en bourse, seul Seaspan a vu ses profits augmenter significativement au troisième trimestre. Les bénéfices ont été plus modestes chez Danaos et Global Ship Lease alors que Costamare et Navios Maritime Containers étaient encore dans le rouge.
Conteneur : embellie pour les propriétaires non-exploitants
Longue durée et prix élevés
L’insatiable demande couplée à une offre de tonnage réduite dans toutes les tailles de porte-conteneurs a provoqué une poussée soudaine des tarifs qui ont d’abord concerné les grandes unités (4 000 EVP et plus) avant de s’abattre sur les plus petites tailles. En novembre, en l’espace de deux semaines, les tarifs ont renchéri de 2 à 3 000 $.
Les contrats d'affrètement de porte-conteneurs actuellement signés sont conclus sur la base de tarifs élevés et de durées d’affrètement longs. « Les affréteurs continueront, au moins jusqu'à l'été, à se battre pour trouver le tonnage dont ils ont besoin, n'ayant d'autre choix que d'accepter les conditions offertes par les propriétaires pour arracher les quelques navires qui deviennent disponibles », indique Alphaliner.
Un autre analyste (Feanley) indiquait à ce propos que l’affermissement des taux d’affrètement allait certes peser sur les coûts d’exploitation mais que les taux de fret dont bénéficient les transporteurs actuellement permettent de compenser largement.
Alors que la part des navires inactifs atteint 0,8 % de la capacité totale de la flotte des porte-conteneurs – les transporteurs mobilisent tous les tonnages disponibles pour profiter du moment particulièrement lucratif – la course aux capacités devient un sport spéculatif. « La flotte inactive d'aujourd'hui se compose principalement de navires victimes d'accidents, touchés par des sanctions ou faisant l'objet de réparations urgentes ou d'un entretien régulier », décrypte Alphaliner qui a recensé, mi-avril 56 navires hors marché, représentant l’équivalent de 205 024 EVP. Sur ce total, 37 étaient sous le contrôle d'un transporteur (175 172 EVP) et 19, détenus par des armateurs non exploitants (29 852 EVP).
Trouver le tonnage ailleurs et/ou prolonger les contrats
Illustrant la pression sur les marchés, PIL qui revient aux affaires, sa restructuration financière soldée, aurait affrété le Genoa (5 544 EVP) à 39 000 $/j sur trente-six mois à un taux supérieur de 3 500 $ au niveau observé il y a un mois. Dans la catégorie plébiscitée des LCS « wide beam » (4 300-5 499 EVP), les rares navires disponibles à l'affrètement trouvent rapidement un employeur, lequel doit parfois aller chasser loin pour trouver du tonnage.
Ainsi, la compagnie française CMA CGM a déniché un panamax de 4 200 à 5 000 EVP, battant pavillon chinois et actuellement déployés sur le marché domestique. Ils ont été négociés pour deux ans à environ 37 500 $/j. L’armateur vient également de fixer le Wieland (4 957 EVP, actuellement affrété par MSC) pour une période allant jusqu'à quarante mois à 40 500 $/j, en hausse de 5 000 $ par rapport à sa dernière transaction. Dans la même logique, le transporteur américain Matson a mis la main sur un 4 380 EVP contrôlé par Dioryx à 41 000 $/j sur 28 à 30 mois. Du hors prix pour un service entre la Chine, Hawaii, Guam et les États-Unis.
Pour pallier le manque, les transporteurs jouent aussi les prolongations. Ainsi CMA CGM a prorogé le contrat du Louise sur une période de 36 à 39 mois à 33 000 $/j. La plupart des contrats sont d’ailleurs majoritairement scellés pour des durées de 30 à 36 mois, ont fait observer les courtiers ces derniers temps. Et l’on assiste même à des temps d’affrètement portés à cinq ans pour un moins de 3 600 EVP, une durée inhabituellement longue pour des unités de cette taille.
Effet papillon
Les marchés financiers n’ont pas tardé à frémir. Les actions des armateurs cotés en bourse ont toutes connu une hausse à deux chiffres au cours des six derniers mois. Le titre de Danaos a bondi de 420 % au cours du dernier semestre, celui de MPC Container Ships, de 380 %. L’action de Navios Partners, qui a récemment acquis Navios Containers, s’est inscrite dans la même trajectoire avec une croissance de 365 % tandis que celle d’Euroseas a pris un « shoot » plus modeste de 277 %.
Seul le prix du pétrole, qui manifestait des derniers temps des velléités de rebond, introduit un certain degré d'incertitude dans un marché qui semble parti pour durer un temps certain. L’agitation qui règne sur le marché, tant chez les exploitants qui chassent les capacités que chez les propriétaires qui s’empressent de commander, en est une nouvelle illustration.
Adeline Descamps